Gérald Papy

2014 ou le retour de la provocation

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le thème de la rupture aurait pu symboliser 2014. Quand Kris Peeters et Charles Michel annoncent, le 7 octobre, un accord entre les trois partis néerlandophones N-VA, CD&V, Open VLD et les seuls libéraux francophones, la Belgique rompt avec plus d’un quart de siècle de gouvernements de compromis entre la gauche et la droite, tire un trait sur 25 ans de présence socialiste au fédéral et installe, pour la première fois, un parti séparatiste flamand, la N-VA, aux commandes de l’Etat. Le – quasi – plus jeune Premier ministre dans les annales du pays, Charles Michel, peut briguer le titre de personnalité de l’année. Son avènement marque l’Histoire autant qu’il crée un séisme. On ne tardera pas à en constater les répercussions dans la rue…

A côté de la rupture, une autre ligne de force s’est imposée en 2014 : le retour de la provoc’, froide ou impulsive, étudiée ou feinte, innocente ou malveillante. Ainsi, Charles Michel, Laurette Onkelinx, Jan Jambon, Melchior Wathelet mais aussi Vladimir Poutine, Jean-Claude Juncker, Valérie Trierweiler ou le pape François ont en commun, au cours des douze derniers mois, d’avoir usé, sous des formes très diverses et parfois à leur corps défendant, de la provocation dans la conduite de leurs actions.

La perception de la provocation en politique est nécessairement affaire de point de vue. Certains en ont décelé une dans le choix du MR de faire alliance avec la N-VA ; d’autres l’ont analysée comme une démonstration de courage. D’aucuns ont estimé provocante la solide réplique au nouveau gouvernement d’un PS amer et de l’Action commune ravivée alors que les autres l’ont soutenue au nom de l’exercice logique de la démocratie. La plupart des Européens de l’Ouest ont jugé inacceptable l’annexion de la Crimée ukrainienne par la Russie quand Vladimir Poutine l’a justifiée par la mainmise occidentale sur le pouvoir à Kiev et par la discrimination présumée à l’encontre des Ukrainiens russophones. Le best-seller Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler a été perçu tantôt comme la réponse légitime d’une femme humiliée, tantôt comme la vengeance narcissique d’une Cruella sadique… Et quelle subtile provocation pour le nouveau président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker d’imaginer, en maintenant la confiance à certains membres controversés de son équipe, que ce sont les anciens braconniers qui font les meilleurs gardes-chasses, lui qui a dirigé un gouvernement luxembourgeois spécialisé dans les accords de ruling fiscaux qu’il est censé combattre aujourd’hui ?

La provocation a des vertus. Le débat politique n’avait plus été aussi animé en Belgique depuis longtemps

Si l’on exclut celle, mortifère, des égorgeurs illuminés de l’Etat islamique que rejoignent trop de jeunes Européens sur la base d’une attirance qui dépasse l’entendement, la provocation peut même receler des vertus. Le débat politique n’avait plus été aussi animé en Belgique depuis longtemps. Au consensus mou d’antan, succède une vraie confrontation idéologique qui devrait contribuer à briser des tabous. Mais, on l’a observé à la faveur de la polémique de fin d’année entre défenseurs du droit de grève et thuriféraires de la liberté de travailler, cette évolution porte aussi en elle les germes d’une fracture profonde de la société. Pour nos dirigeants, de la majorité comme de l’opposition, ce sera un des défis de 2015 de la prévenir. En Europe et dans le monde, la Belgique, hors la dimension communautaire, n’est pourtant pas la plus exposée aux déflagrations. Elle est un des pays où les inégalités (dont le succès du livre de Thomas Piketty, Le capitalisme au XXIe siècle, a popularisé l’aggravation) ont le moins augmenté.

Gardons-nous donc de conserver de 2014 une vision trop lugubre. Après tout, elle a aussi donné lieu à des provocations réjouissantes. Le geste d’ouverture de Barack Obama à l’égard de Cuba, l’essor de l’économie collaborative, les fanfaronnades de l’Ice Bucket Challenge pour lutter contre la maladie de Charcot ou les déclinaisons jubilatoires et planétaires du Happy de Pharrell Williams, antidote à la crise, inclinent à espérer plus encore de 2015.

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