Manifestation en 1962 : "Ne touchez plus aux limites de Bruxelles." © Belgaimage

2 juillet 1954 : la tache d’huile n’ira pas plus loin

Dorénavant, Bruxelles compte dix-neuf communes. En une loi, trois communes flamandes (Berchem-Sainte-Agathe, Evere et Ganshoren) deviennent bruxelloises. Pour le Mouvement flamand, cet élargissement a le goût d’une défaite. D’ailleurs, c’est bien simple : il veillera à ce que ce soit la dernière !

La frontière linguistique voit le jour en 1921, avant d’être confirmée par une loi de 1932. Le but du législateur est de préciser la langue dans laquelle l’administration doit traiter ses administrés. Il crée un territoire unilingue de langue « flamande » (en 1921, on ne parle pas encore du néerlandais), un territoire unilingue de langue française et une région bilingue appelée « agglomération bruxelloise ». En 1932, elle se compose de seize communes.

Précision de taille : la frontière n’est pas fixe, elle est mouvante. Tous les dix ans, elle peut être redessinée en fonction des résultats d’un recensement. En clair, si une majorité de francophones se dégage soudainement en Flandre, la commune peut être versée dans une province wallonne. Et inversement. Démocratique ? Sans doute. Mais inquiétant aussi. Surtout pour les Flamands. D’année en année, ils voient croître la présence francophone autour de Bruxelles. Ils craignent que la région bilingue s’étende aux dépens du territoire flamand. De plus en plus, ils se demandent comment contenir cette « olievlek » – cette tache d’huile.

En 1940, la tenue du recensement est perturbée par l’éclatement de la guerre. Il faut attendre 1947 pour que le gouvernement en organise un nouveau. Mais les résultats tardent à tomber. En novembre 1949, les chiffres filtrent enfin – et encore, ils sont incomplets. Ils révèlent une forte francisation de la périphérie bruxelloise. Aussitôt, les débats s’enflamment. Il faut dire qu’entre Question royale, répression de la collaboration et volontés séparatistes flamandes, le contentieux linguistique est lourd au lendemain de la guerre. Le gouvernement est mal pris. Hésitant, il retarde l’annonce officielle des résultats, tout comme les modifications de frontière qui en découlent. Ce n’est que le 2 juillet 1954 qu’une loi ancre Berchem, Evere et Ganshoren dans Bruxelles.

Un tournant vient d’avoir lieu. Les mouvements de frontière apparaissent désormais comme une question hautement polémique. Et comme une bombe politique. Le droit des gens, cher aux francophones, s’oppose au droit du sol, cher aux Flamands. Ceux-ci refusent de perdre encore la moindre parcelle de terrain. Quant aux Wallons, la plupart d’entre eux se désintéressent du sort des Bruxellois. Le recensement du 1er janvier 1960 est menacé de boycott par de nombreux bourgmestres flamands, et postposé. Pire : en 1961, le gouvernement décide de supprimer des recensements les questions ayant trait aux langues. Quelques années plus tard, en 1963, la frontière linguistique est coulée dans le marbre. Bruxelles ne s’étendra plus.

Par Vincent Delcorps

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