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100 ans après Destrée, 20 personnalités écrivent au roi

A l’occasion du centième anniversaire de la lettre de Jules Destrée adressée au roi Albert Ier, « sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre » (« Sire, il n’y a pas de Belges… »), Le Vif/L’Express a demandé à vingt personnalités belges d’écrire, aujourd’hui, au roi Albert II. Pour lui faire part de leur vision de l’avenir de la Belgique.

Voici la lettre rédigée par Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce. Le libéral flamand y affirme sans détour que « séparer la Belgique n’est pas très utile, voire impossible. »

« Sire, la folie communautaire » Sire,

Excusez-moi de me permettre de vous écrire. Mais il ne nous reste plus que l’arme de la plume.

C’est un libéral qui ose vous écrire et qui, en tant qu’ancien président de parti et ancien ministre, n’ignore pas combien ce pays est compliqué, voudrait le réformer complètement dans le meilleur des mondes mais sait aussi, et mieux que quiconque, que cela est devenu presque impossible. J’en suis sûr, même après une nouvelle réforme et après une nouvelle redistribution des compétences, les problèmes seront les mêmes.

On le connait un peu ce pays, n’est-ce pas Sire ? Quand bien même voudrait-on le divorce – ce que je ne veux pas et vous certainement encore moins je suppose – avez-vous la moindre idée de la façon dont on pourrait l’organiser? Comment trouver un accord sur la répartition de la dette d’Etat ? Que faire avec la Sécurité sociale ? Et avec Bruxelles, notre capitale et celle de l’Union européenne ? Comment les marchés financiers vont-ils réagir si on lance une nouvelle réforme sans que la sixième soit finie ? Pour combien d’années en a-t-on de nouveau ? Ce n’est pas notre faute, Sire. Mais après les 560 jours de bagarre que nous avons dû subir sous les regards du monde entier, tout le monde sait que ce n’est pas très utile, voire impossible de diviser la Belgique. Pourquoi personne n’ose-t-il l’admettre à haute voix ?

Sire, soyons un peu gamins. J’ai une idée. Si nous proposions maintenant de faire de la Belgique une bonne démocratie dans laquelle les citoyens eux-mêmes, individuellement, pourraient choisir ceux et celles qui les représenteraient au niveau du pays et ce qu’ils et elles veulent sans être enfermés derrière les barrières de leur groupe linguistique? Un Flamand ou une Flamande pourrait être en faveur de la préservation de la Sécurité sociale fédérale et un Wallon ou Wallonne pourrait contester ce fardeau fiscal étouffant, sans courir le risque d’être ridiculisé comme un traître. Un parti flamand pourrait collaborer avec un parti de l’autre côté de la frontière linguistique, sans être accusé de briser le « front » linguistique. Pourquoi ce qui est possible entre partis au niveau européen ne le serait-il pas au niveau belge ? Les communautés pourraient finalement signer des accords de coopération culturelle. Pourquoi ne pas bâtir une démocratie où la politique menée actuellement changerait radicalement sans mettre en question l’existence-même du pays? Imaginez-vous, Sire, le temps et l’énergie perdus au cours des dernières années que l’on pourrait investir dans la durabilité de notre système de Sécurité sociale ou la réforme de notre jungle fiscale !

Ce n’est qu’une suggestion, mais peut-être serait-ce quelque chose à mentionner dans votre discours de Noël ? Je sais que dans cette hypothèse, vous courriez de grands risques et vous vous exposeriez au reproche de faire de la politique. Demander que la Constitution soit mise en pratique telle qu’elle est, c’est dans notre pays faire une déclaration politique radicale. On le sait nous deux. Je ne veux pas que vous preniez le risque de vous mettre en difficulté avec ce geste audacieux.

Cordialement,

Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce, Open VLD

Les autres personnalités ayant pris la plume :

Bruno Colmant, docteur en économie appliquée (ULB) et membre de l’Académie royale de Belgique : « Sire, il n’y a plus d’Etat »

Siegfried Bracke, député fédéral N-VA : « Sire, frappez, mais écoutez »

Pierre Mertens, écrivain : « Sire, comme le gouvernement, vous régnez et ne gouvernez pas »

Bart Maddens, politologue : « Sire, il n’y a pas de démocratie belge »

Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne : « Triste Sire, tout n’est pas noir »

Jean-Maurice Dehousse, ancien ministre-président de la Région wallonne : « Sire, changez l’Europe, changez d’Europe »

Christian de Duve, prix Nobel de Médecine : « Sire, qu’elles sont futiles, nos querelles politico-linguistiques »

Vincent Van Quickenborne, bourgmestre Open-VLD de Courtrai : « Sire, notre avenir réside dans la collaboration entre villes européennes »

Karl-Heinz Lambertz, ministre-président de la Communauté germanophone : « Sire, transformons la diversité en valeur ajoutée »

Rik Torfs, sénateur CD&V : « Sire, nous devons avoir le courage de choisir l’inattendu »

Luc Tuymans, artiste plasticien : « Sire, ce monde n’est plus que conformisme et médiocrité »

Christian Panier, professeur de droit judiciaire à l’UCL : « Sire, il n’y aura bientôt plus de vraie justice en ce pays »

Jacques Borlée, entraîneur sportif : « Sire, il y aura toujours des Belges »

Nicolas Vadot, dessinateur pour Le Vif/L’Express et L’Echo : « Sire, ce pays ne rime plus à rien »

Pierre Kroll, dessinateur pour Le Soir et la RTBF : « Sire, s’il ne devait plus y avoir de Belgique, on s’en fiche »

Cécile Bertrand, dessinatrice pour La Libre Belgique : « Sire, la lettre de Jules Destrée est toujours d’actualité »

Frédéric Dubus, dessinateur pour La Dernière Heure/Les Sports : « Sire, seul le style a changé »

Marec, dessinateur pour Het Nieuwsblad et Dag Allemaal : « Sire, il y a encore des Belges »

Gal, dessinateur pour Knack : « Peuple belge, seul ton voisin est étranger »

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