Ralf Speth: "Il est essentiel d'avoir un libre accès au marché européen." © DR

« La voiture électrique arrivera vite »

Le Vif

Après être passé par BMW et Ford, Ralf Speth est depuis 2010 à la tête de Jaguar Land Rover. Comment voit-il l’avenir de JLR et les conséquences du Brexit pour son groupe ?

Jaguar Land Rover est le constructeur qui enregistre en Europe la croissance la plus rapide. L’an dernier, JLR a progressé de 74 %. À l’origine britannique, le groupe est depuis 2008 entre les mains du magnat de l’acier indien Ratan Tata. Après la reprise, ce dernier a confirmé sa confiance dans l’équipe de management et a confié à Ralf Speth le poste de CEO du groupe. Depuis, il siège également au sein du conseil d’administration du holding familial de Tata. Né en 1955, Ralf Speth est devenu Knight Commander of the Order of the British Empire.

Une distinction élevée qui ne l’empêche pas de rester modeste et de se mettre rarement en avant. Cet honneur, il le laisse à ses directeurs du style, Ian Callum (Jaguar) et Gerry McGovern (Land Rover). Dans une rare interview accordée au quotidien économique allemand Handelsblatt, il s’en explique.  » Ces dernières années, nous avons énormément travaillé et en sommes aujourd’hui récompensés. En ce qui concerne Jaguar, notre progression est essentiellement le fruit du succès majeur rencontré par un modèle, la F-Pace. Nous sommes naturellement fiers et heureux de ce succès mais cela ne doit pas nous faire oublier le fait que JLR n’est qu’un acteur de petite taille dans le segment Premium par rapport à Audi, BMW ou Mercedes. Nos parts de marché fluctuent aux alentours de 3 ou 4 %. Il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.  »

 » Depuis peu, nous avons beaucoup investi dans l’élargissement de notre gamme. Avec les nouveaux Range Rover Evoque et Land Rover Discovery, ainsi que la nouvelle Jaguar XE, nous avons pu nous adresser à de nouveaux groupes-cibles et attirer des clients jusque-là fidèles aux marques de luxe établies. Ce succès, nous le devons à nos designers Gerry McGovern et Ian Callum. Ils disposent tous deux de leur propre équipe et développent des idées et des concepts de manière totalement indépendante, nous permettant d’avoir les meilleurs projets.  »

 » Contrairement aux marques allemandes, nous ne voulons pas absolument être présents dans chaque niche du marché. Nous devons travailler de manière ciblée et efficace. Le Jaguar F-Pace en est un parfait exemple. En moins d’un an, il a permis à notre chiffre d’affaires de progresser de 50 %. Nous attendons aussi beaucoup du Range Rover Velar. Ce modèle doit combler le trou entre le Range Rover Sport et l’Evoque. Jusqu’il y a peu, 90 % de nos clients venaient d’une autre marque. Aujourd’hui, nous parvenons à les fidéliser.  »

 » Avoir de nouveaux modèles attractifs est juste une partie de la réponse. Pour pouvoir perpétuer le succès à plus long terme, nous devons continuer à développer notre réseau et mieux organiser notre service. Notamment en assurant des délais de livraison courts. C’est pour cette raison que nous investissons dans une nouvelle usine, située à Nitra en Slovaquie, et que la production du nouveau I-Pace sera confiée à Magna, dont l’usine se situe à Graz en Autriche. Magna a l’expérience requise dans la production de produits Premium et bénéficie d’une capacité de production libre.  »

Ralf Speth n’envisage pas pour le moment d’ouvrir une usine aux USA.  » L’Europe est notre plus grand marché et c’est également ici que JLR dispose du plus grand réseau de distribution. Nous avons donc logiquement cherché à augmenter, en priorité, notre capacité de production dans le centre de l’Europe. Nous visons un volume annuel d’environ 150.000 unités. Nous avons aussi des sites de production en Inde, au Brésil et en Chine. La situation actuelle ne nécessite pas la création d’une nouvelle usine aux USA, d’autant que nous ne savons pas dans quelle direction va aller la politique commerciale américaine.  »

Quelles sont les conséquences possibles du Brexit pour votre groupe établi au Royaume-Uni ?

Ralf Speth :  » Nous suivons de près les développements sur le plan politique. Pour l’instant, nous ne pouvons pas savoir ce qu’il adviendra des négociations, ni s’il y aura des taxes à l’importation ou à l’exportation, encore moins à combien elles pourraient s’élever. Pour que notre développement se poursuive, il est essentiel d’avoir un libre accès au marché européen. Si cet accès n’est pas libre, nos produits seront beaucoup plus chers, ce qui nuirait à notre position concurrentielle.  »

L’I-PACE POUR RÉPONDRE AUX DÉFIS

L’an prochain, Jaguar lancera donc le I-Pace, un SUV entièrement électrique qui a d’ores et déjà suscité énormément de réactions dans le secteur automobile mondial. Jaguar aligne aussi sa propre équipe dans le championnat de Formule E et croit vraiment en l’avenir de l’électromobilité. Pourtant, Ralf Speth demeure prudent vis-à-vis de ce mode de propulsion:  » Je dois reconnaître que j’ai toujours été un peu sceptique car cela n’a guère de sens à mes yeux d’installer une batterie de 700 kg dans une voiture. Sans parler de savoir comment l’électricité est produite ou de ce qu’il faut faire avec les batteries usagées. Il est important d’apporter une réponse satisfaisante à ces questions avant de nous concentrer pleinement sur l’électromobilité. Ce qui ne veut pas dire que je ne crois pas dans l’avenir de la technologie. Je pense même que la voiture électrique arrivera plus rapidement que ce que tout le monde pense ! À cause du dieselgate, les moteurs Diesel souffrent d’un important problème d’image. Certaines villes menacent même de les interdire d’accès. Si la politique poursuit dans cette voie, la voiture électrique arrivera extrêmement vite. Avec notre I-Pace, nous sommes bien armés pour répondre aux défis qui s’annoncent et avons une plus grande marge de manoeuvre que certains de nos concurrents.  »

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