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Dieselgate: premier grand procès

Le Vif

Le premier grand procès de consommateurs en Allemagne s’ouvre lundi contre Volkswagen, regroupant des centaines de milliers de clients qui demandent réparation pour leurs voitures diesel truquées, quatre ans après l’éclatement du « dieselgate ». Le point sur cette affaire qui aura secoué tout le secteur automobile.

L’audience, qui devrait s’étaler sur plusieurs années, s’ouvre à 08H00 GMT au tribunal régional de Brunswick, à une trentaine de kilomètres du siège historique de Volkswagen à Wolfsburg (Basse-Saxe). Plus de 450.000 personnes se sont inscrites pour cette requête groupée — la première de ce type en Allemagne, selon une procédure adoptée dans la foulée du dieselgate.

Le scandale des moteurs diesel truqués secoue tout le secteur automobile depuis son éclatement chez Volkswagen il y a quatre ans. Tout commence en septembre 2015, après des accusations de l’agence environnementale américaine (EPA), Volkswagen reconnaît avoir truqué 11 millions de véhicules avec un logiciel capable de les faire apparaître moins polluants lors de tests en laboratoire que sur les routes. Les émissions réelles d’oxyde d’azote (NOx), mis en cause dans des maladies respiratoires ou cardiovasculaires, sont jusqu’à quarante fois supérieures à la limite légale. Or si les moteurs diesel émettent moins de CO2 que l’essence, ils dégagent plus de NOx. La tricherie concerne principalement la marque VW du groupe, mais également Audi, Porsche, Seat et Skoda.

Herbert Diess, CEO de Volkswagen
Herbert Diess, CEO de Volkswagen© AFP

Volkswagen a-t-il délibérément nui à ses clients ?

L’association de consommateurs VZBV fait office de requérant unique et accuse le groupe automobile d’avoir délibérément nui à ses clients en installant à leur insu un logiciel faisant paraître le véhicule moins polluant qu’il ne l’est en réalité. Ce procès est pour l’instant le plus important en Allemagne dans ce scandale à tiroirs, alors que le constructeur tente de tourner la page en misant sur l’électrique. Concrètement, les juges devront trancher une cinquantaine de points, mais la question principale sera de déterminer si Volkswagen a « causé un préjudice » et agi « de manière contraire à l’éthique ». Klaus Müller, directeur de la VZBV, se dit « convaincu » de voir le tribunal conclure en ce sens. Mais Volkswagen soutient qu’il « n’y a pas de dommages et donc pas de fondement à cette requête ».

Conséquences judiciaires

Pourtant l’affaire a déjà eu des conséquences judiciaires en Allemagne. Ainsi, les marques Volkswagen, Audi et Porsche ont payé en 2018 et 2019 respectivement 1 milliard, 800 millions et 535 millions d’euros d’amende. Fin septembre, le parquet a renvoyé l’actuel patron, Herbert Diess, et le chef du conseil de surveillance, Hans Dieter Pötsch, pour « manipulation de cours boursier », aux côtés de M. Winterkorn, déjà renvoyé pour « fraude aggravée ». L’ancien patron de la marque Audi Rupert Stadler se trouve également dans l’antichambre d’un procès. Un procès face aux investisseurs s’est ouvert en septembre dernier: ils demandent environ 9 milliards d’euros de dédommagements, accusant Volkswagen d’avoir trop tardé à informer les marchés financiers de la triche qui a fait chuter l’action de plus de 40% en deux jours. Plus de 60.000 requêtes individuelles de clients ont été déposées dont une partie a débouché sur des accords à l’amiable.

Mais il n’y a pas qu’en Allemagne aux États-Unis aussi. Là, Volkswagen a plaidé coupable de fraude et obstruction à la justice et seule l’Autorité des marchés financiers (SEC) poursuit encore le groupe. Neuf anciens et actuels dirigeants du groupe ont été inculpés, dont l’ancien patron Martin Winterkorn. Deux ingénieurs ont été condamnés. La justice a approuvé en 2017 l’indemnisation de quelque 600.000 clients, portant à plus de 22 milliards de dollars les dépenses pour satisfaire autorités, clients et concessionnaires.

Martin Winterkorn
Martin Winterkorn © Reuters

Et ailleurs en Europe, le parquet de Paris a ouvert en février 2016 une information judiciaire pour « tromperie aggravée »; une plainte collective a été déposée au Royaume-Uni; une enquête est ouverte en Suisse, et les clients sont invités à s’inscrire auprès du ministère public, qui estime à quelque 175.000 le nombre de personnes lésées. L’autorité italienne de la concurrence a condamné Volkswagen en 2016 à une amende de 5 millions d’euros pour « pratiques commerciales incorrectes ».

Et les autres constructeurs ?

BMW a reconnu en 2018 avoir « par erreur » équipé des véhicules diesel avec un logiciel non conforme. Le constructeur, qui a toujours démenti avoir triché, a accepté de payer début 2019 une amende de 8,5 millions d’euros mais l’enquête pénale pour « fraude » a été classée sans suite.

DAIMLER a accepté de payer fin septembre 2019 870 millions d’euros d’amende pour avoir vendu des véhicules diesel qui ne respectaient pas les normes antipollution mais conteste l’utilisation d’un logiciel illégal. Les enquêtes pénales notamment pour « fraude » restent en cours contre quatre responsables du fabricant des Mercedes Benz.

OPEL, filiale allemande de PSA, est également visée par une enquête.

FIAT CHRYSLER a conclu en janvier un accord à l’amiable avec les autorités américaines qui l’accusaient d’avoir équipé ses véhicules d’un logiciel truqueur.

– Virage électrique –

Pour l’instant le scandale a depuis 2015 coûté au groupe plus de 30 milliards d’euros en frais juridiques, amendes et dédommagements, déboursés pour l’essentiel aux États-Unis. Pour l’heure, le constructeur n’a payé en Allemagne que trois amendes d’un total de 2,3 milliards d’euros, mais reste donc sous la menace d’une cascade de procédures civiles et pénales. En 2016, Volkswagen avait affiché pour la première fois en 20 ans une perte annuelle. Le groupe a depuis retrouvé des niveaux de bénéfice record, mais plus récemment les investissements massifs dans la transition vers l’électrique pèsent sur la rentabilité.

Dieselgate: premier grand procès

Pour Volkswagen, le scandale du diesel « appartient à l’histoire du groupe » au même titre que « la coccinelle et la Golf », reconnaît Ralf Brandstätter, responsable de la marque VW. Mais il assure que le groupe a « profondément changé »: le constructeur mise 30 milliards d’euros sur sa nouvelle gamme électrique pour « regagner l’estime de la société ». Au-delà du front judiciaire, le scandale a accéléré le déclin du diesel et les voitures diesel risquent d’être bannies de plusieurs villes allemandes en raison de leur niveau de pollution en oxydes d’azote (NOx).

Chronologie d’un scandale

Voici les principaux développements du scandale des moteurs diesel truqués par Volkswagen, qui trouve ses origines il y a plus de dix ans et donnera lieu à partir de lundi à un vaste procès en Allemagne.

Avant 2015

2006: Volkswagen lance son projet de moteur adapté aux normes anti-pollution américaines, plus strictes qu’en Europe.

2007: confrontés à l’échec de ce projet, « des employés » développent un logiciel pour contourner les tests de pollution, selon les déclarations ultérieures de Volkswagen à la justice américaine.

2014: une étude américaine mesure des niveaux d’émissions parfois 40 fois supérieurs aux niveaux autorisés. Les autorités demandent alors des explications à Volkswagen, qui n’admet pas de fraude.

2015

18 sept: l’agence américaine de l’environnement (EPA) accuse Volkswagen d’avoir violé la règlementation anti-pollution à l’aide d’un logiciel capable de tromper les contrôles sur les émissions d’oxydes d’azote (NOx).

22-23 sept: Volkswagen admet avoir équipé du logiciel fraudeur 11 millions de ses véhicules dans le monde, son patron Martin Winterkorn démissionne et la justice allemande ouvre une enquête pénale. L’action accuse 40% de baisse par rapport au 18 septembre.

15 oct: l’agence allemande de l’automobile ordonne à Volkswagen de rappeler 2,4 millions de voitures. Le groupe étend le rappel à l’ensemble des 8,5 millions de véhicules concernés en Europe.

2016

22 avril: Volkswagen affiche pour la première fois en 20 ans une perte annuelle.

28 juin: Volkswagen accepte de débourser 14,7 milliards de dollars pour indemniser ses clients américains, ouvrant la voie au rachat potentiel de quelque 480.000 voitures.

29 juil: une commission d’experts français ayant testé 85 véhicules diesel décèle des « anomalies » dans un tiers des cas, et n’exclut pas le recours par d’autres constructeurs à des logiciels truqueurs.2017

11 jan: Volkswagen plaide coupable aux États-Unis pour fraude et obstruction à la justice.

1er fév: Bosch accepte de verser plus de 300 millions de dollars de dédommagement aux Etats-Unis mais n’admet pas sa culpabilité.

25 août: un ex-ingénieur de Volkswagen, James Liang, est condamné aux États-Unis à 40 mois de prison.

6 déc: Oliver Schmidt, un ex-dirigeant de Volkswagen, est condamné à sept ans de prison par un tribunal américain.

2018

23 fév: BMW reconnaît avoir « par erreur » équipé des véhicules diesel avec un logiciel non conforme mesurant les gaz d’échappement. Le groupe de Munich, qui a toujours vigoureusement démenti avoir triché, rappelle 11.700 voitures dans le monde.

3 mai: les autorités américaines engagent des poursuites judiciaires contre Martin Winterkorn, l’ancien PDG de Volkswagen, et cinq autres dirigeants du groupe.

13 juin: Volkswagen accepte de payer un milliard d’euros d’amende en Allemagne.

10 sept: ouverture à Brunswick du procès d’actionnaires réclamant près de 9 milliards d’euros d’indemnités.

16 oct: Audi accepte de payer 800 millions d’euros d’amende.

24 oct: Porsche SE, l’actionnaire principal de Volkswagen, est condamné à 47 millions d’euros de dommages et intérêts à des investisseurs.

1 nov: l’association de consommateurs VZBV dépose la requête groupée dont le procès s’ouvre lundi.

2019

10 jan: Fiat Chrysler accepte de verser jusqu’à 515 millions de dollars à différentes autorités américaines qui l’accusaient d’avoir équipé plus de 100.000 véhicules d’un logiciel destiné à fausser leurs émissions polluantes.

25 fév: BMW accepte une amende de 8,5 millions d’euros tandis que l’enquête pénale pour « fraude » est classée sans suite.

15 avril: l’ancien patron de Volkswagen, Martin Winterkorn, ainsi que quatre responsables du constructeur sont renvoyés devant un juge en Allemagne pour « fraude aggravée », « violation de la loi contre la concurrence déloyale » et « abus de confiance »

7 mai: Porsche accepte de payer une amende de 535 millions d’euros.

31 juil: l’ancien patron et trois cadres d’Audi sont renvoyés devant la justice allemande pour

« fraude ».

24 sept: le parquet de Brunswick demande le renvoi pour « manipulation de cours boursier » de l’actuel PDG de Volkswagen, Herbert Diess, de son président du conseil de surveillance, Hans Dieter Pötsch, ainsi que de l’ancien patron, Martin Winterkorn.

24 sept: Daimler accepte de payer une amende de 870 millions d’euros.

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