Carte blanche

Candidats aux élections : il est urgent d’atterrir

Alors que le parlement britannique vient de déclarer l’état d’urgence environnementale et climatique, la Belgique peine à se demander si elle va entamer un début de commencement de  » transition «  écologique.

« La transition », un terme que nous recommandons bien vite à ses partisans de ranger au placard tant il accommode ses adversaires qui ont beau jeu de repousser toujours à ailleurs et à demain les efforts à fournir ici et maintenant. La transition est toujours à venir, c’est un processus en devenir permanent, un peu comme le remboursement de la dette, le « RER » ou le « stade national ».

Ainsi, il faut prendre le temps de rappeler qu’avant le vote historique -mais avorté…- de la loi climat, tous les parlements de Belgique ont voté -à l’unanimité ou presque- une résolution visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de la Belgique de 55% à l’horizon 2030. 2030, aujourd’hui pour la planète, une éternité en politique…

En attendant d’hypothétiques « lendemains qui chantent », le citoyen pourra légitimement se demander comment, au milieu des invectives et de la démagogie qui animent la campagne, les partis vont réellement réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 5% d’ici la fin de l’année prochaine. Ne cherchez pas le débat public sur ce sujet, il est presque inexistant, et l’atterrissage n’est pas pour demain.

Car certains partis planent à 10.000 mètres d’altitude, loin de l’urgence de réduire nos émissions, loin de nous pauvres terrestres. Le MR se surprend à philosopher et dénonce ceux qui veulent « moraliser » les comportements, quand il ne puise pas dans son fonds de commerce en sifflotant la rengaine éculée de la « conspiration des gauches à la rage taxatoire ». Pendant ce temps, son meilleur ennemi, le PS, l’imite en cherchant à polariser le peu qu’il nous reste de débat public sur l’axe gauche-droite, campé derrière sa ligne rouge démagogique : « qu’on ne demande pas aux gens de faire des efforts ! ». Tout cela est bien confortable, le terme « convenu » est le plus approprié. Mais le citoyen n’a toujours pas un début de réponse quant aux pistes concrètes et chiffrées d’atterrissage en matière d’émissions de GES.

En pleine catastrophe environnementale planétaire -le lecteur avisé lira le dernier rapport du GIEC ou de l’IPBES [1] pour s’en convaincre- nous subissons les voeux pieux des techno-optimistes du Centre Jean Gol. Là-bas, le PDG d’Amazon investit dans un programme pour migrer sur des colonies spatiales auto-suffisantes [2]. Ici, le directeur du Centre Jean Gol nous explique avec assurance qu' »On peut réduire considérablement les surfaces agricoles en cultivant massivement fruits et légumes dans d’immenses fermes verticales ou souterraines sous des lampes LED » [3]. Protéger la biodiversité ? Facile ! Il suffit « d’implanter un GPS sur toutes les baleines de l’océan pour en faire la propriété de quelqu’un ».

2000 ans plus tard, on reconnaît dans ces mots le vieil « optimisme de la Raison »: « La Raison/Dieu/la Technologie va nous sauver ! », toujours ce même message. Après 2000 ans de progression lente et continue, nous assistons au triomphe de la gangrène nihiliste. La prophétie nietzschéenne s’est accomplie :  » Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ? » — Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’oeil. La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps. » [4]. Nous pourrions opposer n’importe quel argument au Dernier homme, il « cligne de l’oeil » et en appelle à « l’optimisme de la Raison ». Qui a dit que le Fait Religieux reculait ?

Citoyens, ne cherchez pas à opposer des arguments au fait religieux, encore moins le Sens du tragique. Nos élus l’ont perdu, et cela va nous coûter très cher. Le processus est déjà enclenché. L’ONU a estimé le coût du réchauffement à 2000 milliards de dollars par an [5].

Nous lançons donc un appel au milieu du désert qui progresse. Un appel à retrouver le courage d’affronter le réel qui griffe et qui mord. « Non », les Belges ne sauveront pas la planète. Mais nous, et singulièrement nos élus qui nous représentent, avons la responsabilité, envers nous-même, ceux qui nous ont précédés et ceux qui nous succéderont, de nous battre pour la continuité au milieu de la discontinuité. Pour nous les Belges, cela signifie réduire nos émissions de gaz à effet de serre ici et maintenant, avec la technologie dont nous disposons, d’au moins 5% d’ici l’année prochaine. Et ceci n’est possible qu’avec le concours de nos institutions, de l’Etat, l’émanation de la puissance d’agir de la multitude.

Désormais il ne s’agit plus d’opposer « droite » et « gauche », mais de départager les candidats nihilistes qui planent, dans l’illusion de leurs élucubrations, des candidats responsables qui veulent nous permettre de continuer à vivre ancrés dans le réel terrestre, trop terrestre.

Et nous disons ceci à nos concitoyens : il n’y a pas de pilote à bord de cet avion qui plane 10.000 mètres au-dessus de nos têtes, il n’y en a jamais eu. Alors forçons l’atterrissage et exigeons de nos représentants de l’action concrète, ici et maintenant.

Thibault de La Motte et Cédric Chevalier, membres du Comité Déclarons l’état d’urgence environnemental et social !

[1] Intergovernmental science-policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. L’IPBES est le pendant du GIEC en matière de biodiversité.

[2] Make it, le 8 mars 2019, Jeff Bezos: Forget Mars, humans will live in these free-floating space pod colonies.

[3] La Libre Belgique en ligne, le 23 avril 2019 : « sans notre modèle économique et technologique, il sera impossible d’atteindre l’excellence écologique ».

[4] Friedrich Nietzsche, « Ainsi Parlait Zarathoustra« , prologue.

[5] Le Figaro en ligne, le 02 mai 2016, Le coût du réchauffement climatique estimé à 2000 milliards par an.

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