A Saint-Hubert, la cheffe estonienne Anu Tali dirigera le Belgian National Orchestra. © getty images

Trésors nordiques

Pour la première fois cet été, les Festivals de Wallonie prêtent l’oreille aux neuf pays bordant la mer Baltique, et à ce que leurs eaux charrient de légendes, d’histoires… et de belles musiques.

Avec  » Baltica  » pour thème, il ne revient pas qu’aux pays baltes (l’Estonie, la Lituanie et la Lettonie) de remplir cette année le sac à malices du grand rassemblement musical belge. C’est à un périple beaucoup plus vaste que les Festivals de Wallonie convient leurs amateurs (mélomanes avertis et simples curieux), puisque les 150 concerts programmés jusqu’à l’automne ont extrait leurs pépites des berges des six autres Etats (le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Allemagne, la Pologne et la Russie) longeant cette mer intracontinentale méconnue, et de prime abord un peu  » hermétique « .

Pourtant, forte de terres convoitées dès l’Antiquité, carrefour du commerce et des idées – l’ambre s’y négocie bien avant la fondation, au Moyen Age, de la Ligue hanséatique -, cette immense région a littéralement aimanté les créateurs venus d’Europe méridionale.  » A la fin du xviiie siècle, beaucoup d’Allemands ou d’Italiens y composent déjà, rappelle Isabelle Bodson, directrice et programmatrice des Festivals de Wallonie. On les connaît mal, ces Hartmann, Uttini, Müller et Kraus, mais leurs oeuvres sonnent tout à fait comme du Mozart.  » A la tête des Agrémens, le chef Guy Van Waas, l’un des deux artistes associés des FDW 2018 (avec la violoniste lettone Vineta Sareika) les sortira d’ailleurs de l’ombre, pour jouer leurs raretés à quatre reprises. Au xixe siècle, ensuite, nombre de ces pays participent intensément à l’émergence d' » écoles nationales « , leurs tenants veillant à teindre les mélodies d’une couleur spécifique, basée sur des éléments qui en constituent un véritable idiome : la langue, la littérature, l’histoire, les légendes… Enfin, en absolvant la parenthèse maussade de deux guerres mondiales (et d’un joug totalitaire écrasant), la création contemporaine y affiche surtout une vitalité sans limite.  » D’où une très large variété de styles. Après avoir consulté les ambassades, nous avons pioché dans pas mal de propositions. Enormément d’artistes sont très actifs chez eux, et également aux Etats-Unis, mais n’ont pas l’habitude de s’arrêter chez nous…  »

Guy Van Waas, l'un des deux artistes associés des Festivals de Wallonie 2018.
Guy Van Waas, l’un des deux artistes associés des Festivals de Wallonie 2018.© laurent cools

Fallait-il faire entendre les grandes pointures (le Norvégien Grieg, le Finlandais Sibelius, le Danois Nielsen), ou les moins familières ? Ou inviter avant tout des interprètes baltes ? Chacun des sept festivals a choisi de décliner la thématique comme il l’entend, en fonction de ses publics, de ses contingences ou de son projet propre – en le tirant parfois par les cheveux, comme les Nuits de septembre, qui proposent des motets français… dont les manuscrits sont seulement conservés à Uppsala. Mais, au-delà de ce kaléidoscope où se côtoient musiques baroque, romantique, chorale, contemporaine ou d’opéra, des fils rouges tissent aussi des liens entre ces airs venus du froid…

Arvo Pärt travaille un registre épuré, d'inspiration profondément religieuse.
Arvo Pärt travaille un registre épuré, d’inspiration profondément religieuse.© BELGAIMAGE

Mélancolie, quand tu nous tiens

Longtemps zone de combats douloureux (cinquante ans d’occupation soviétique, pour les trois petites républiques baltes ! ), la région a subi, au xxe siècle, un développement industriel et une pollution qui ont incontestablement infusé ses oeuvres récentes.  » Bon nombre expriment un petit quelque chose de pesant, un tiraillement entre obscurité et lumière « , relève Isabelle Bodson. Le compositeur letton Peteris Vasks n’est certes pas un grand comique, mais ça n’empêche pas sa musique sombre et dissonante d’être aujourd’hui exécutée dans le monde entier.

Une ode à la nature

Plus au nord, l’infinie Suède, jalonnée de lacs, de forêts, de cascades, de plaines agricoles et de petites îles, a développé un mode de vie orienté vers la pureté, la fonctionnalité et l’harmonie sociale. La Finlande, le plus septentrional des pays scandinaves, demeure, elle, un paradis écologique, tout en déployant une grande énergie sur la scène musicale. Des images d’éleveurs de rennes, chez Grieg, aux oeuvres actuelles évocatrices de paysages inconnus, la référence à la nature imprègne incontestablement la musique balte.

Une musique épurée… comme le design

Célèbre en Estonie comme à l’étranger, Arvo Pärt, 82 ans, a travaillé un registre minimaliste, épuré, d’inspiration profondément religieuse, d’où émane une étonnante impression de simplicité. Cette recherche de la sonorité pure épouse les credo du design nordique, fondé également sur une  » économie de moyens  » – au cours de longs mois dominés par l’obscurité, la neige et le froid, chacun tente de tirer le maximum des ressources naturelles, sans inutilité ni gaspillage. Durabilité, fiabilité, honnêteté, limpidité, modestie et cocooning : autant de valeurs qui imbibent les partitions comme le mobilier.  » Mais le design reste fonctionnel, là où la musique ne l’est pas forcément « , souligne Isabelle Bodson.

Le folk et les traditions, en bonus

Ils sont nombreux, les musiciens baltes, à maîtriser parfaitement une double formation classique et folklorique, et à procéder avec allégresse à des mélanges… insolites.  » Nous, ça nous étonne encore. Mais chez eux, c’est tout à fait intégré « . La violoniste Kreeta-Maria Kentala mêle joyeusement le baroque à des airs traditionnels de Kaustinen, sa bourgade finlandaise : elle enlèvera les partitas de Bach d’une façon libre et osée, qui risque d’un peu déranger.

Hauts les choeurs

Membres d’une chorale amateur ou d’un ensemble réputé, les Baltes donnent l’impression qu’ils chantent tous en groupe depuis le berceau. Nourri au sentiment d’appartenance national, leur riche patrimoine choral fait la fierté des Etats. Le Choeur de chambre d’Helsinki, le Canto Fiorito lituanien et le Choeur de chambre philharmonique estonien, de renommée internationale, se produiront plusieurs fois dans des répertoires très différents, de Bach à Pärt, de Rautavaara à Tormis.

Dynamisme de la création

C’est la vraie surprise de cette programmation : l’énergie (voire l’optimisme) des compositions modernes (très sensuelles, rarement  » intellos « ), accompagnée d’une authentique politique d’exportation des artistes. Et qui n’omet jamais d’inclure les femmes. A ne pas manquer, dès lors : la brillante Anu Tali, cheffe estonienne parmi les plus intrigantes de la scène internationale, qui dirigera, à Saint-Hubert, le Belgian National Orchestra.

7 lieux, 7 dates

? Le festival Musiq’3, du 29 juin au 1er juillet, à Bruxelles (voir page 85).

? Le festival musical de Namur, du 29 juin au 8 juillet.

? Le Royal juillet musical de Saint-Hubert, du 22 juin au 30 juillet.

? Le festival de Stavelot, du 29 juillet au 5 août.

? Les Nuits de septembre de Liège, du 7 septembre au 7 octobre.

? Le festival musical du Hainaut, du 18 septembre au 23 octobre.

? Le festival musical du Brabant wallon, du 23 septembre au 19 octobre.

? www.lesfestivalsdewallonie.be

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