Le ministre de la Défense Steven Vandeput (N-VA) tente de faire atterrir le dossier politiquemen miné du remplacement des F-16. © BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Remplacement des F-16 : un choix sous pressions

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le F-35 va-t-il remporter le « contrat du siècle » ? Le gouvernement devrait trancher sous peu la question du remplacement des F-16. Un choix politiquement délicat, alors que la guerre commerciale est déclarée entre les Etats-Unis et l’Europe.

Serein, Steven Vandeput. La bourrasque est passée. Mieux : le SP.A, qui voulait faire tomber le ministre N-VA de la Défense dans le dossier du remplacement des F-16, a perdu, début juin, toute crédibilité. En cause : l’incroyable imprudence de John Crombez. Le président des socialistes flamands défendait la thèse selon laquelle la hiérarchie militaire,  » en connivence totale avec le ministre « , manipule depuis des années le marché afin de faire valider par le politique l’achat du F-35 de l’avionneur américain Lockheed Martin. Crombez a diffusé deux mails présentés comme la preuve que Vandeput a menti devant le Parlement sur la durée de vie des F-16. Il aurait été au courant de l’existence d’une étude évoquant la possibilité de prolonger cette vie de six ans. Or, il est vite apparu que les mails, truffés d’erreurs de fond et de forme, sont des faux.

 » Le ministre de la Défense est sorti renforcé de cette affaire « , convient Wouter De Vriendt, député fédéral Groen ! Resté pendant des semaines sur la défensive face aux attaques de l’opposition, Steven Vandeput se sent aujourd’hui suffisamment fort pour accélérer le tempo du programme de remplacement des avions de chasse et présenter sa note finale au conseil des ministres. L’ACCaP, le bureau qui gère au sein de la Défense le processus de sélection, a analysé les deux offres qui lui sont parvenues : l’américaine pour le F-35 et la britannique pour l’Eurofighter. Le groupe d’experts a comparé les réponses aux 164 questions techniques posées aux agences étatiques, les coûts d’acquisition et de fonctionnement des avions et les projets de partenariat. Le tableau comparatif a été transmis au ministre qui, sur cette base, finalise ces jours-ci la rédaction de sa note. Le timing indiqué dans le RfGP, le cahier des charges, est à peu près respecté : il prévoyait un démarrage du  » processus de décision  » en mai 2018.

Toutes les options

Le ministre de la Défense continue donc à s’en tenir à la procédure classique d’appel d’offres lancée par le gouvernement, à laquelle la France n’a pas participé. Charles Michel et le MR avaient pourtant tenu à ce que la proposition française – l’avion Rafale en échange d’un vaste partenariat militaire et économique – ne soit pas écartée. Néanmoins, la note finale qui sera présentée pour avis devant la commission des achats de la Chambre pourrait inclure toutes les options, selon certaines sources : non seulement les candidatures du F-35 et de l’Eurofighter, mais aussi des considérations sur l’offre française de partenariat stratégique et sur la prolongation de la durée de vie du F-16.  » Les jeux ne sont pas encore faits, estime le député fédéral CD&V Hendrik Bogaert. Toutes les pistes restent ouvertes jusqu’au terme du processus.  »

Paris semble croire encore en ses chances : Claude-France Arnould, l’ambassadrice de France à Bruxelles, s’est livrée ces derniers jours à un lobbying politique et médiatique intense.  » La pression française est gigantesque « , confirme un spécialiste du dossier.  » Reste que l’offre de la France ne peut être prise en compte que si le gouvernement belge utilise l’article 8 du RfGP, qui permet l’arrêt de la procédure de marché public, remarque Benoît Hellings, député fédéral Ecolo. Les soumissionnaires ne peuvent être lésés et les deniers publics doivent être protégés.  » En clair, soit la Belgique maintient le marché public et en respecte les règles jusqu’au bout, soit elle l’annule et peut négocier avec un allié proche un partenariat stratégique.

Les menaces de Trump

Si la question se pose aujourd’hui, c’est surtout parce que la donne géostratégique a changé depuis le lancement de l’appel d’offres pour acquisition de 34 chasseurs-bombardiers. Comment justifier l’achat de l’Eurofighter Typhoon, avion majoritairement britannique, en plein Brexit ? Ou le choix du F-35 américain, alors que Donald Trump menace les alliés des Etats-Unis de droits de douane alourdis et leur a infligé, le 10 juin, un camouflet en retirant brusquement son soutien au communiqué final du sommet du G7 ? A la bataille commerciale transatlantique qui se profile s’ajoutent les pressions de Trump sur les alliés de l’Otan pour qu’ils augmentent leurs dépenses militaires, faute de quoi son pays n’assurerait plus leur sécurité.  » Les Etats-Unis paient la quasi-totalité du coût de l’Alliance, protégeant les mêmes pays qui nous volent sur le commerce « , a tempêté le président américain dans l’un de ses tweets du 11 juin dernier.

 » La Belgique est prise dans une tenaille infernale, estime Hellings. Au sommet de l’Otan des 11 et 12 juillet prochains, qui se tient à Bruxelles, elle devra présenter un plan d’investissements militaires plus abouti que celui de l’an dernier. Mais acheter le F-35, favori de la compétition, serait un choix contraire à la direction européiste indiquée par Charles Michel après la victoire de son ami Emmanuel Macron à la présidentielle française.  » Le Premier ministre belge avait alors défendu l’idée d’une relance de l’Union européenne autour de projets communs, à commencer par l’Europe de la défense. Seule certitude : la décision du gouvernement sera avant tout politique. Elle pourrait faire partie d’un vaste marchandage au sein de la majorité, de nombreux autres dossiers étant appelés à sortir des limbes avant les vacances d’été.

Steven Vandeput : « Le sommet de l’Otan n’est pas une date butoir »

Le groupe d’experts de l’armée vous a remis son analyse des offres pour le F-35 et l’Eurofighter. Le gouvernement choisira-t-il le successeur du F-16 avant le sommet de l’Otan des 11 et 12 juillet, pour que la Belgique puisse y faire bonne figure ?

C’est vous, les médias, qui présentez ce sommet comme un deadline pour le bouclage du dossier. Je n’ai jamais parlé de cette échéance. J’ai dit seulement qu’il était souhaitable que le gouvernement prenne une décision avant la fin de cette année. En attendant, je rédige ma note pour le conseil des ministres.

Les demandes de démission et autres attaques récentes de l’opposition, SP.A en tête, vous ont-elles déstabilisé ?

Ce n’est pas agréable d’être ainsi pris pour cible. Les dernières polémiques ont pris une telle ampleur que le doute finit par s’insinuer. L’appel d’offres envoyé en mars 2017 à cinq agences étatiques était pourtant une première dans ce type d’achat. Dans le passé, jamais il n’y a eu une procédure aussi transparente.

La hiérarchie militaire a-t-elle oeuvré en coulisse, au sein même de votre cabinet, afin que le pouvoir politique opte pour l’achat d’un avion de combat de cinquième génération, donc pour le F-35 américain ?

On prête à mon ex-chef de cabinet, le lieutenant-général Claude Van de Voorde, ancien patron de la composante aérienne, un rôle majeur dans le processus de remplacement des F-16. Alors que j’ai veillé à ce qu’il ne soit pas impliqué dans ce dossier.

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