Le club des onze chefs de groupe bruxellois : tous engagés pour une meilleure transparence... © Christophe Licoppe/photo news

Un an après le Samu Social – Le nouveau baromètre transparence à Bruxelles

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Après le scandale Mayeur-Peraïta, tous les partis bruxellois ont multiplié les promesses de bonne gouvernance et de transparence. Un an après leur engagement, et six mois après notre baromètre « Brussels-Papers », Le Vif/L’Express, La Capitale et Transparencia.be font le point.

Les lanceurs d’alerte peuvent contacter le site Anticor, sans oublier d’indiquer l’article via lequel ils ont trouvé ce lien.

Il y a déjà un an… Le scandale du Samusocial, à la Ville de Bruxelles, a laissé des traces dans l’opinion. Prononcez le nom de cette asbl d’aide urgente aux sans-abris et vous entendrez aussitôt parler des rémunérations mirobolantes perçues par Yvan Mayeur et Pascale Peraïta. Le scandale fut si grand que les deux figures socialistes bruxelloises ont très rapidement démissionné de leur poste de bourgmestre, pour l’un, de présidente du CPAS, pour l’autre. Et une commission d’enquête parlementaire a indagué sur ces mandats chers payés, concluant que 100.000 euros de jetons de présence – pas une paille, donc – ont été indûment perçus par les deux susnommés.

On peut raisonnablement penser que ce séisme a aussi laissé des traces chez les responsables politiques bruxellois, qui ont voulu se racheter une conduite à grand renfort de transparence. Le 13 juin 2017, très vite après les premières révélations de la presse, dont Le Vif/L’Express en première ligne, sur le Samusocial, les onze chefs de groupe (ou leur délégué) de tous les partis représentés au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ont signé un « Engagement solennel ». L’initiative venait de la très entreprenante association Transparencia (1), émanation d’Anticor-Belgique et de Cumuleo, qui lutte pour un meilleur accès aux documents administratifs et une plus grande clarté dans la gestion des mandats.

Des promesses…

Cet « Engagement solennel » contenait, en gros, trois promesses. La première: conférer à la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) un pouvoir plus coercitif. La Cada, ou plutôt les Cada (il en existe trois en Région bruxelloise et une en Région wallonne), sont des outils essentiels pour améliorer la transparence: lorsqu’un citoyen veut obtenir un document administratif en vertu de la législation sur la publicité de l’administration et que l’administration sollicitée refuse, le citoyen peut saisir la Cada, qui rendra alors un avis. Mais, sauf pour les matières d’environnement et d’urbanisme, ce ne sera qu’un avis. La Cada n’a aucun pouvoir de contrainte face au refus persistant d’une administration.

La deuxième promesse était de rendre contraignant l’article 8 de l’ordonnance du 12 janvier 2006 sur la transparence des mandats votée au parlement bruxellois dans la foulée du scandale wallon de la Carolo. Cette ordonnance visait à rendre transparents tous les mandats publics, y compris les mandats « dérivés », ces mandats au sein d’asbl publiques et d’intercommunales que les élus se partagent, à côté de leur fonction d’échevin ou de conseiller communal (Le Vif/L’Express du 8 décembre 2017). Il y en a un paquet. Tous ne sont pas rémunérés, mais certains peuvent rapporter gros. Or, l’ordonnance de 2006 établit un plafond de rémunération globale pour les élus bruxellois (fixé à 150% de la rémunération brute d’un député fédéral).

Une peine de prison à la clé

Et l’article 8 prévoit que tous les mandats, rémunérations, frais de représentation et avantages de toutes natures soient déclarés auprès du secrétaire communal. Lequel doit transmettre ces données à l’autorité de tutelle, la Région, qui est censée publier un rapport annuel sur le sujet (cela n’a jamais été fait!). Les distraits qui oublient de transmettre leur déclaration encourent une peine pénale, jusqu’à trois ans de prison, et peuvent aussi être frappés d’inéligibilité. Fin 2017, les parlementaires bruxellois ont adopté un nouveau texte qui élargit le champ d’application du précédent et précise les sanctions en cas d’infraction. Les règles sont désormais très claires. Encore faut-il les appliquer.

Toujours de grandes disparités entre les 19 (ici, Olivier Deleuze, de Watermael-Boitsfort, Philippe Close, de Bruxelles-Ville, et Bernard Clerfayt, de Schaerbeek)
Toujours de grandes disparités entre les 19 (ici, Olivier Deleuze, de Watermael-Boitsfort, Philippe Close, de Bruxelles-Ville, et Bernard Clerfayt, de Schaerbeek)© THIERRY ROGE/belgaimage

Enfin, troisième promesse de l' »Engagement solennel » du 13 juin 2017: les communes doivent publier, sur leur site Web: les subsides qu’elles accordent aux asbl (avec leur convention d’utilisation), les documents des enquêtes publiques, des permis d’urbanisme et d’environnement, ainsi que la composition des cabinets communaux et régionaux. Ce genre de données a son importance. Avec la liste des cabinets (les noms des collaborateurs, leurs fonctions, etc.) et celle des asbl, par exemple, on peut prévenir ou déceler d’éventuels conflits d’intérêts.

Engagement tenu?

La première promesse concernant la Cada n’a pas encore abouti. Dire que cela traîne est un euphémisme. Le 28 novembre dernier, face à la presse, les chefs de groupe bruxellois avaient pourtant répété leur profession de foi en avançant quatre projets d’ordonnance dont l’une relative à la publicité des documents administratifs, laquelle était reconnue, dans le texte, comme « un aspect important de la bonne gouvernance ». Depuis lors, un premier projet a été rédigé mais s’est vu recaler par le Conseil d’Etat. Le gouvernement a alors engagé les services d’un avocat et professeur en droit administratif réputé pour plancher sur un nouveau texte. Lequel est toujours sur la table de l’exécutif. Nous avons pu le consulter.

Il vise à fusionner les trois Cada bruxelloises (de la Région, de la Cocof et de la Cocom), ce qui constitue un casse-tête juridique. Quant au caractère contraignant, la nouvelle loi indique que la Cada peut prendre des décisions, avis et propositions, mais, même en dotant la commission d’un nouveau pouvoir d’investigation, elle ne prévoit pas de mesures coercitives ni de sanctions en cas de non respect d’une décision. C’est le cas aujourd’hui pour la publicité des documents en matière d’environnement et d’urbanisme : la Cada peut déjà prendre des décisions, mais, lorsque celles-ci ne sont pas suivies d’effets, elle ne peut que le constater…

En outre, la proposition fixe le délai dans lequel doit répondre l’administration à 30 jours (20 jours ouvrables) et même à 60 jours (40 jours ouvrables) – c’est une nouveauté – lorsque l’information requise est trop volumineuse et complexe. C’est un record parmi les Cada européennes! Soulignons aussi que, si le texte est adopté tel quel, toute demande devra désormais être accompagnée de la copie d’une pièce d’identité (article 26), ce qui mettra à mal le travail de Transparencia qui publie ses demandes en ligne. Quel citoyen se risquera à divulguer ainsi sur le Web sa carte d’identité?

Toujours des récalcitrants

La deuxième promesse, celle de renforcer l’obligation de déclarer tous ses mandats rémunérations et frais, n’est pas encore remplie partout. Loin de là. Le 8 décembre dernier, Le Vif/L’Express et cinq autres médias établissaient un baromètre de la transparence à Bruxelles. Le constat était décevant. Depuis lors, comme nous l’avons indiqué, la Région a précisé sa législation en la matière. Celle-ci a-t-elle eu de l’effet sur les mandataires? Premier constat: on observe toujours une grande disparité entre les 19 communes. Les meilleurs élèves de la classe, un peu plus nombreux, sont Watermael-Boitsfort, Etterbeek et Ixelles, qui publient en ligne les mandats des membres de leur collège et de leur conseil communal, y compris les mandats dérivés (avec les rémunérations et les frais) pour les années 2016 et 2017.

Pas loin de ce trio de tête, Woluwe-Saint-Pierre,Saint-Gilles et Uccle publient une liste complète des mandats électifs et dérivés de leurs élus, avec rémunérations, mais uniquement pour une seule année, soit 2017, soit 2016. A Anderlecht et Jette, l’unique liste des « dérivés » n’est pas datée. Rappelons que l’ordonnance régionale prévoit qu’une liste soit mise à jour, par le secrétaire communal, chaque année, et ce depuis 2006. Aucune commune n’a rempli ses obligations sur les douze années. Malgré tout, dans le cadre de l’affaire du Samusocial, il est évidemment intéressant d’avoir au moins un cadastre de tous les mandats avant et après le scandale, soit 2016 et 2017, pour pouvoir comparer…

Des trous dans les cadastres

Schaerbeek publie également ses mandats dérivés, pour 2016 seulement. Mais, apparemment, des données manquent: aucun jeton mentionné pour le conseil de police, par exemple, et rien non plus pour la Maison de l’emploi ou l’asbl Neptunium qui ont déjà défrayé la chronique pour mauvaise gestion ou jetons indus. Idem pour Saint-Josse, dont la liste globale de mandats en ligne comporte des trous pour les rémunérations des mandats dérivés : ce n’est pas clair.

Un an après le Samu Social - Le nouveau baromètre transparence à Bruxelles

A Woluwe-Saint-Lambert aussi, il y a des lacunes dans l’unique liste 2017: rien n’est renseigné pour les rémunérations des mandats chez Wolu TV et Ethias. Quant au mandat du bourgmestre à la scrl L’Habitation moderne, deux tableaux donnent des informations différentes: une fois Olivier Maingain (DéFI) est rémunéré (pour participation au comité de gestion), une fois il ne l’est pas (en tant qu’administrateur). Pour Ganshoren, qui était bon dernier dans notre baromètre de décembre et a enfin fait l’effort de publier des mandats dérivés, des données sont manquantes (« non communiqué ») pour un échevin et sept conseillers, dont Pierre Kompany, le père de Vincent. Selon la législation, ils devraient donc être inéligibles aux prochaines élections…

Le pas en arrière de Bruxelles-Ville

Pour le reste: Molenbeek, Forest, Auderghem et Evere (la commune du ministre-président PS Rudy Vervoort), mettent en ligne une liste de mandats dérivés mais sans les rémunérations. Or, celles-ci sont, on le sait, le nerf de la guerre pour la transparence. Idem pour Bruxelles-Ville (la commune du Samusocial) qui ne publie ni les rémunérations ni même les noms des mandataires, alors qu’il y a quelques semaines encore on trouvait sur son site un cadastre nominatif exhaustif, avec moteur de recherche. Après avoir essayé de nous expliquer – en vain – que la nouvelle présentation restait transparente, la porte-parole de Bruxelles-Ville a reconnu, à demi-mot, qu’il s’agissait bien d’un pas en arrière, mais que c’était dû à la suppression de nombreux mandats, et que le cadastre remanié serait publié dans sa version précédente avant l’été. Nous verrons…

Enfin, Koekelberg et Berchem-Sainte-Agathe sont les bonnets d’âne: ils ne publient rien sur les mandats dérivés, alors qu’il doit nécessairement y avoir des jetons de présence, ne fût-ce que dans des intercommunales.

Cabinets peu transparents

Enfin, la troisième promesse, celle de mettre en ligne une série de documents, fait aussi l’objet d’une grande disparité. Il faut parfois bien fouiller pour les trouver, ces documents… Le moteur de recherche des sites Web communaux s’avère indispensable. Nous nous sommes concentrés sur la composition des cabinets – un excellent révélateur en matière de bonne gouvernance – d’autant que Transparencia a aussi lancé des requêtes en ce sens auprès des 19 communes pour la mise en ligne du site Cabineto, qui rassemblera la composition de tous les cabinets exécutifs. Premier constat: la majorité des communes ne donnent pas d’information précise et complète sur qui fait quoi au sein des cabinets de leur collège.

Commençons par les cancres, cette fois. Berchem-Sainte-Agathe, Jette, Woluwe-Saint-Pierre, Schaerbeek, Woluwe-Saint-Lambert, Molenbeek, Evere (encore une fois la commune du ministre-président PS Vervoort) ne publient non seulement rien en ligne mais n’ont, en outre, pas répondu favorablement à Transparencia. A Schaerbeek, le bourgmestre Bernard Clerfayt (DéFI) avait pourtant promis, début mars dernier, de dévoiler la composition des cabinets. Promesse non tenue… Et aujourd’hui, il se justifie auprès de Transparencia en se réfugiant derrière le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Saint-Josse publie juste une liste de trois collaborateurs du bourgmestre et snobe aussi Transparencia.

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Si peu de subsides aux asbl

Pour Saint-Gilles, Forest et Uccle, on ne trouve rien sur les sites Internet, mais une composition des cabinets (nombre, barèmes…), sans les noms des collaborateurs, a été envoyée à Transparencia. Koekelberg publie sur son site la composition, avec les noms des collaborateurs, du cabinet mayoral, mais n’a rien envoyé à Transparencia. On ne sait donc pas s’il y a d’autres collaborateurs pour le reste du collège de cette petite commune. A Bruxelles-Ville et Anderlecht, c’est le contraire: rien en ligne, mais Transparencia a reçu la composition complète des cabinets sur plusieurs législatures, qui se retrouvera bientôt sur Cabineto.be.

Pour le reste, Auderghem affirme que plus aucun agent ne dépend du collège depuis 1977, d’où l’absence de liste en ligne. Sur le site d’Etterbeek, on trouve uniquement la composition du cabinet du bourgmestre Vincent Dewolf (MR), lequel a néanmoins fourni les noms et fonctions des collaborateurs de l’ensemble du collège à Transparencia. Idem pour Ganshoren qui décidément multiplie les efforts en matière de bonne gouvernance. Enfin, Watermael-Boitsfort et Ixelles (depuis ce 8 juin) publient, sur leur site, la composition complète de leurs cabinets pour la législature en cours.

Concernant les autres documents que les politiques bruxellois s’engageaient à mettre en ligne, relevons que seulement sept communes publient une liste spécifique des subsides versés aux asbl: Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert, Saint-Gilles, Uccle, Ixelles, Auderghem et Berchem-Sainte-Agathe. A Schaerbeek, les asbl de contrat de quartier n’étant pas reprises dans la liste, on se demande si celle-ci est complète.

Enfin, concernant les marchés publics, toutes les communes les mettent en ligne, en tout cas pour 2017, sauf Ganshoren et Saint-Josse (qui ne publie même aucun rapport d’activité annuel). A Evere, les marchés publics sont éparpillés dans le rapport annuel et les montants pas toujours indiqués. Quant aux enquêtes publiques (urbanisme et environnement), la plupart des communes les publient, mais avec des différences de qualité telles qu’il faudrait y consacrer un dossier entier.

(1) Les lanceurs d’alerte peuvent contacter le site Anticor, sans oublier d’indiquer l’article via lequel ils ont trouvé ce lien. »

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