Au fédéral, le gouvernement Michel I (dans sa première version) se conforme à la parité linguistique. La parité des genres , c'est une autre histoire (au dernier rang, les secrétaires d'Etat). © reporters

Femmes et hommes à parts égales dans les gouvernements ? On est encore loin du compte

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le Vif/L’Express a sondé toutes les parlementaires féminines du fédéral, au nord comme au sud du pays. Verdict : en faire une obligation légale séduit peu. Les élues aspirent au pouvoir mais désavouent majoritairement le passage en force pour devenir ministre.

Quatorze ministres fédéraux, sept néerlandophones et sept francophones : le compte est bon, l’impératif constitutionnel respecté. La parité linguistique au sein d’un gouvernement fédéral est chose bien trop sacrée pour que l’on puisse imaginer un seul instant qu’il y soit dérogé. Il y va de la garantie des droits et de la défense des intérêts de 40 % de francophones face à 60 % de Flamands. La survie même du ménage belge est en jeu.

Quatorze ministres fédéraux, onze hommes et trois femmes : le compte n’y est pas du tout. Qu’à cela ne tienne, vu qu’un déséquilibre entre les genres n’est en rien proscrit. Que les femmes décrochent une courte majorité au sein de la population belge (50,77 % en 2017) mais restent allègrement traitées en minorité dans les centres de décision politique ne vaut pas un blocage. La Belgique sait fixer ses priorités.

Elues à la faveur de quotas, les députées ne sont souvent pas prêtes à soutenir cette logique au sein des gouvernements

Arracher une représentation féminine garantie sur les listes électorales par le biais de quotas instaurés depuis 1994, c’est bien. Obtenir un équivalent digne de ce nom au coeur des réacteurs politiques que sont les gouvernements, ce serait encore mieux. L’envie de quitter le stade du voeu pieu pour se résigner à user de la contrainte est dans l’air du temps. En Wallonie, collèges communaux et provinciaux entreront dans l’ère des quotas après les élections d’octobre prochain. Au niveau régional, Ecolo-Groen porte le combat en Région bruxelloise et les verts bataillent pour imposer un tiers de femmes au sein du gouvernement wallon. Au fédéral, le groupe PS à la Chambre part à son tour en croisade, en plaçant la barre au niveau d’une égalité parfaite entre les sexes au sein des gouvernements fédéral, communautaires et régionaux. Dans l’espoir qu’on y discute un peu moins souvent d’homme à homme. Aux grands maux les grands remèdes :  » Force est de constater que si la voie de la sensibilisation a été et reste essentielle, celle-ci n’a hélas pas produit tous les effets escomptés.  » Pas mal vu.

La balle atterrira tôt ou tard dans le camp des élu.e.s du peuple, appelé.e.s comme leurs pairs masculins à se prononcer sur cette volonté d’habiller les futurs gouvernements d’une touche aussi féminine que masculine. Au prix d’une adaptation de la Constitution et des lois spéciales de réforme institutionnelle.

Effervescence en vue sur les bancs féminins de l’assemblée fédérale ? Elles sont 57 à siéger sur 150 députés. Elles n’y disposent donc pas d’une majorité pour emporter seules la partie. A supposer qu’elles voteraient comme un seul homme en faveur de ce nouveau pas dans la conquête d’un pouvoir qui persiste à les snober au sommet des gouvernements. La Belgique attend toujours une Première ministre, les ministre- présidences wallonne, flamande, bruxelloise et germanophone se refusent jusqu’ici à une femme et l’exécutif de la Communauté française est bien le seul à avoir fait exception.

Pas de FDF, de Front des femmes

Le Vif/L’Express a pris le pouls de l’intégralité de la représentation parlementaire féminine au fédéral, au nord comme au sud du pays. En poussant l’audace jusqu’à soumettre à ces députées deux pistes supplémentaires que le PS ne songe pas à mettre à l’ordre du jour. A quand une alternance obligatoire homme-femme au poste de Premier ministre, à chaque changement de législature ? A quand un système de pondération qui garantisse une parité qualitative des genres dans l’attribution des postes ministériels, histoire d’éviter que les femmes ne se retrouvent obstinément écartées de certaines compétences historiquement et politiquement en vue ? Ceci non plus n’est pas une affirmation en l’air : au fédéral, en plus du 16, rue de la Loi, les Finances, les Affaires étrangères et la Défense restent depuis 1830 d’imprenables bastions masculins.

Les retours des questionnaires ont pâti du parti des abstentionnistes (61 %) par distraction, indifférence ou parce que les sondées avaient d’autres chat.t.e.s à fouetter. Le dépouillement de la vingtaine de copies aimablement renvoyées (dix élues néerlandophones – treize élues francophones) ne trahit la présence d’aucune féministe exaltée parmi l’échantillon. Il ne dégage pas non plus d’adhésion franche et massive à cette révolution des moeurs politiques.

Les partisanes déclarées ou les  » pas opposées  » au principe d’une parité obligatoire hommes-femmes au sein des gouvernements ne l’emportent pas sur les opposantes affirmées à une telle mesure (11 pour – 12 contre). Les pistes lancées par Le Vif/L’Express font encore nettement moins recette. Une alternance obligatoire des genres à la fonction de Premier ministre fait l’unanimité contre elle ou arrache tout au plus un timide  » why not ? On peut toujours rêver « . Une parité qualitative associée à la répartition des postes ministériels passe aussi très mal la rampe (7 pour, 16 contre). Le  » oui, faut voir « , d’usage courant à la gauche de l’échiquier politique, contraste avec le  » non  » exprimé de manière catégorique et qui domine quand s’affiche une sensibilité de droite .

Au gouvernement bruxellois, Céline Fremault est la seule femme à avoir rang de ministre. Un cran en dessous, secrétaire d'Etat est en revanche un monopole féminin (3 sur 3 : en gris).
Au gouvernement bruxellois, Céline Fremault est la seule femme à avoir rang de ministre. Un cran en dessous, secrétaire d’Etat est en revanche un monopole féminin (3 sur 3 : en gris).© Didier Lebrun/photo news

« Bonne chance, les filles… »

Le pouvoir, non merci ? Question idiote. Les heureuses élues en politique n’aspirent qu’à l’exercer. Mais pas jusqu’à s’imposer dans un gouvernement par la grâce d’une contrainte. Le principe même les indispose majoritairement, les agace, voire les offusque. Parce que le procédé est jugé dérangeant, dégradant, en tout cas incompatible avec la primauté à accorder à la compétence et à la motivation, que l’on soit femme ou homme. Le coup de pouce d’une loi pour devenir ministre et plus encore Première ministre n’emporte pas les suffrages féminins. Le sexe dit faible ne désespère pas de parvenir à sensibiliser le sexe dit fort sur la nécessité de lui faire une juste place dans un gouvernement.

Pas question donc de casser brutalement les codes d’un jeu politique où les hommes font encore la loi. Comprenne qui pourra ? L’incrédulité se mêle à une dose de consternation chez Pascale Vielle, professeure de droit social à l’UCL, mise au parfum de ces tendances lourdes :  » Ces élues restent tellement marquées par la culture politique belge. A mon avis, elles se leurrent par les arguments qu’elles avancent. Partir du raisonnement que si elles ont su arriver en politique, d’autres femmes le peuvent aussi, ne résiste pas à la réalité sociologique : à compétences égales, l’inégalité dont souffrent encore les femmes au niveau du pouvoir exécutif reste indiscutable.  » Cette spécialiste de la question du genre peine à saisir la cohérence de la posture :  » Alors que les quotas introduits sur les listes électorales ont permis, et c’est démontré, l’émergence des femmes dans la vie politique et parlementaire, alors même que ces députées ont été élues à la faveur de ces quotas, elles ne sont majoritairement pas prêtes à prolonger cette logique pour obtenir une juste présence jusque dans les gouvernements. Bonne chance les filles…  »

Et longue vie à l’homme au pouvoir.

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