Ambulance, 1969. Une des septante oeuvres de Fernand Flausch, trempées à l'effervescence pop et aux couleurs acides, exposées au musée de La Boverie. © fernand-flausch

Salade liégeoise

En dédiant une rétrospective majeure à Fernand Flausch, La Boverie consacre un artiste à l’appétit visuel immense. Peinture, design, bande dessinée, urbanisme… : le Liégeois emporte tout sur son passage.

S’il est une illusion que les musées se plaisent à entretenir, c’est bien celle de l’art comme discipline au-dessus des contingences. Cette idée, totalement fausse, selon laquelle l’artiste est un demi-dieu qui regarderait le sublime et la pérennité droit dans les yeux. On le sait, l’argument est vendeur, qui emmène les simples mortels faire un tour de l’autre côté du sablier. Pourtant, dans les faits, la modestie est de mise, car l’immortalité est rarement, si pas jamais, un horizon. Le plasticien qui aborde une oeuvre ne peut en aucun cas présumer du devenir de celle-ci, forcément accidentel. Les idées et les formes se cassent les dents contre la réalité… Que ce ne soit jamais vraiment ce que l’on a voulu qui advient, seul le travail des artistes émouvants en porte le stigmate.

Fernand Flausch (1948 – 2013) appartient à la catégorie des touche-à-tout modestes et géniaux. Ceux qui ont naturellement montré une dimension d’humilité propre aux individus conscients d’être aux prises avec une pratique les débordant de toutes parts. Sans doute le meilleur exemple pour l’évoquer consiste-t-il à rappeler le destin emblématique de La Mort de l’automobile. Inaugurée au coeur du musée en plein air du Sart-Tilman, cette pièce cultive l’ambiguïté, dit la réalité d’un créateur qui tâtonne et que le réel viendra doubler. Pour rappel, il s’agit d’une Cadillac des années 1970 dont la partie avant disparait dans le béton d’un socle sur lequel Flausch a jugé bon d’ajouter  » Ap. J-C  » après la mention  » 1980 « . En la voyant, impossible de ne pas imaginer l’artiste en proie à des interrogations environnementales même si la réalité est plus complexe que cela : Flausch n’a jamais caché sa fascination pour la voiture comme objet technique inextricablement mêlé à notre quotidien – ce dont témoigne, entre autres, un tableau sans titre de 1985 composé de plusieurs dizaines de vignettes autos  » chocolat Jacques  » collées sur une toile recouverte d’acrylique.

Mais en réalité, peu importe l’intention de son auteur car quelques jours après l’inauguration de cette  » bagnole qui pique du nez dans le ciment « , comme on pourrait la décrire sans circonlocutions, un tag sera apposé à même la carrosserie : un  » L’auto, c’est la liberté  » rageur. Plutôt que de s’en offusquer, le Liégeois s’amusera de la situation et s’appropriera l’intervention intempestive à la faveur d’une oeuvre photographique que n’aurait pas reniée Richard Prince. Autre avatar non sans intérêt pour ce qui nous occupe : l’oeuvre en question, qui se situe au bord d’une route où ne circule aucun piéton, pas plus que les transports publics, est essentiellement contemplée par des regardeurs… montés sur quatre roues. Enfin, comble de l’ironie : près de cinquante ans plus tard, et alors que tout porte à croire que la voiture a encore de beaux jours devant elle, la dernière opération de rénovation de l’oeuvre de Fernand Flausch a confirmé l’inéluctable. Le polystyrène déversé dans la partie visible du véhicule s’étant resserré, il a laissé l’eau s’infiltrer. C’est donc la rouille qui aura le dernier mot de l’histoire. Il y a fort à parier que l’anecdote – la  » mort de l’automobile « , à travers la disparition de la sculpture elle-même – aurait fait sourire l’intéressé qui y aurait vu l’une de ces bonnes blagues dont l’existence n’est pas avare.

Au Sart-Tilman, La Mort de l'automobile, l'oeuvre immobile de Fernand Flausch.
Au Sart-Tilman, La Mort de l’automobile, l’oeuvre immobile de Fernand Flausch.© fernand-flausch-spooner-dr

Exubérance dynamique

En exposant 70 oeuvres trempées à l’effervescence pop, La Boverie dessine en filigrane le portrait d’un artiste joyeux qui a aimé. Certes, tout n’est pas du même niveau, mais ce que l’on peut estimer d’un intérêt moindre (un tapis par-ci, une colonne en plexi par-là…) prouve que l’homme était de ceux qui disent oui à la vie. Une  » toile  » – le mot est utilisé par défaut – condense tout particulièrement l’exubérance dynamique de Fernand Flausch : Clic Clac, une composition de 2012. C’est l’idée d’une déflagration qui surgit lorsqu’on la regarde. Une explosion de couleurs acides (il s’agit là d’un fil rouge qui traverse toute sa production), mais aussi une explosion formelle. L’ajout d’une boîte en carton et de figurines en plastique qui prolongent le propos en trois dimensions dit la volonté de sortir du cadre. Bien sûr, on retrouve les marqueurs habituels du mouvement pop (comics américains mais également une Vache qui rit), témoignant d’un artiste belge qui a su également regarder vers la France, entre autres à travers sa rencontre avec les Nouveaux Réalistes façon César, Arman et Ben. La Vache en question s’affiche avec deux boucles d’oreille en forme de banane directement empruntée à l’imagerie du Velvet Underground. L’oeil décèle dans un motif jaune et noir appuyé façon Marsupilami l’hommage à Franquin. Et, vraiment, Flausch ne se prive jamais de renvoyer le regardeur vers des univers qu’il vénère : tel chapeau salue clairement Antonio Segui, telle onomatopée adresse ses bons voeux à Roy Lichtenstein.

Ce qui se dégage, c’est le sentiment d’un artiste proche, immergé dans son époque, qui a voulu en embrasser tous les aspects. Un sentiment renforcé par le fait que Flausch est littéralement parti à la conquête des surfaces et des supports. Impressionné par le maître conceptuel Joseph Kosuth, le Liégeois livrera sa version de l’usage des néons, soit une utilisation jubilatoire, proche des fascinations de la petite enfance. L’intégration de CD à certaines compositions – par exemple, L’Arbre à CD (1997) – est à comprendre de la même façon, si ce n’est qu’il faut y lire aussi sa passion pour la musique. On pointera également une aventure comme Radical Café, entreprise avec Stéphan Colman. Cette bande dessinée expérimentale, parue aux très cultes éditions Magic Strip, se passe entièrement de phylactères. Elle déroule le rêve graphique et futuriste d’un personnage coincé dans un petit bar au Nouveau-Mexique. Mais peut-être est-ce lorsqu’il s’occupera d’urbanisme avec l’architecte Charles Vande Velde, ou lorsqu’il signera des oeuvres publiques affectant directement le public que  » Flaush Gordon  » (comme le surnommaient ses amis en raison de son goût pour les super-héros) donnera la pleine mesure de son génie. Qu’il s’agisse des plans d’aménagement de la place Saint-Lambert, dessinés avec le soin d’un orfèvre, des luminaires  » La Mystérieuse  » dont les lignes font se croiser l’ancien et le nouveau, de l’éclatante façade du cinéma Churchill, à Liège, ou encore des deux fresques épiques réalisées dans la station de métro Ribaucourt, à Bruxelles… Autant de contextes effervescents qui lui vont si bien.

Rétrospective Fernand Flausch : au musée de La Boverie, à Liège, jusqu’au 31 juillet prochain. www.laboverie.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire