Pour son solo, François Chaignaud a collaboré avec le couturier Romain Brau, pour un costume hors du commun, " qui crée ce qui est possible et impossible physiquement ". © ILARIA SCALPA

Dancing King

Dans le cadre du tout nouveau festival Legs, François Chaignaud se produira à Bruxelles en solo. Sans sa comparse Cecilia Bengolea, donc, mais avec un engagement et une proximité poussés au summum, pour faire de la danse un moment extra-ordinaire.

 » Avec Cecilia, on a toujours été à la fois très proches et très indépendants. Ce solo n’est pas la marque d’une rupture. Ce n’est pas pour rompre avec elle, mais pour aller intensément dans les possibilités de ce format « , précise François Chaignaud à propos de sa nouvelle pièce, Dumy Moyi. C’est vrai que depuis une dizaine d’années, le nom du Français (Rennes, 1983) est systématiquement associé à celui de la danseuse d’origine argentine Cecilia Bengolea. A eux deux, ils ont passablement bousculé la scène de la danse contemporaine française dans les années 2000 avec un certain nombre de propositions hors norme. A commencer par Pâquerette (2005), qui rendait la pénétration anale chorégraphiquement spectaculaire. Chocking pour les uns, d’une renversante audace pour les autres, ce duo avec godemiché fit en tout cas connaître avec fracas leurs noms associés et celui de leur compagnie, Vlovajob Pru ( » Ça ne veut rien dire, on a juste choisi des lettres qui nous semblaient intéressantes, on ne voulait pas un nom de compagnie qui allait figer une identité « ).

Suivirent Sylphides (2009), où leurs corps étaient emballés sous vide dans une poche de plastique noir, et Castor et Pollux (2010),  » pièce pour spectateurs allongés « , rejouant le mythe grec des jumeaux héroïques en apesanteur, grâce à un système de câbles et de poulies.  » Le point de départ des premiers spectacles avec Cecilia, c’était vraiment une expérience, explique François Chaignaud. Une expérience qui nous transforme et qui va déterminer l’esthétique, le rythme et même les mouvements. On déléguait la danse à une expérience physique contraignante et globale.  » Le duo se frotte ensuite à la danse libre qui, au début du xxe siècle, entendait rompre avec les codes du classique et dont les figures de proue furent Loïe Fuller, Isadora Duncan et François Malkovsky.  » Ça a pas mal modifié notre façon de travailler, se rappelle le danseur. Ça nous a montré une direction où l’on croirait entièrement à la puissance de la danse, sans devoir la soumettre à un dispositif ou un concept. Tout ça nous a beaucoup inspirés pour créer des pièces moins entravées et plus dansées.  »

Fraternité

Désentraver. Décloisonner. Le duo Cecilia Bengolea – François Chaignaud a largement ouvert la porte de ses créations suivantes aux danses des clubs et urbaines. Le récent DFS (2016, toujours en tournée) confrontait dans un dialogue énergisant la danse classique et la musique vocale de Guillaume de Machaut (xive siècle) au dancehall jamaïcain. Dub Love (2013) faisait évoluer des danseurs en collants et chaussons sur de la musique dub live. Dans altered Natives’ Say Yes To Another Excess – TWERK (2012), c’était le genre musical grime qui était à l’honneur. Quant à (M)IMOSA (2011), il résultait de la rencontre avec le  » voguing  » new-yorkais (danse de club née dans la communauté gay noire de New York) :  » Les vogueurs ont un rapport à l’art vraiment incandescent – c’est une chose que l’on ne rencontre pas beaucoup dans nos environnements institutionnels.  »

 » La danse en tant qu’expression populaire et spontanée se pratique dans plein d’endroits différents, poursuit le Rennais. A chaque fois, ce sont des essais pour les gens qui la pratiquent de renouer des liens, des tentatives de dialogue, de fraternité entre différentes sources de danse. Nous avons un intérêt sincère pour ces danses, mais notre intérêt traduit aussi un questionnement plus large : qu’est-ce qui fait que telle ou telle pratique va connaître tel ou tel destin institutionnel, communautaire ? Le statut et la visibilité de ces danses racontent beaucoup de l’architecture des sociétés. « 

Pour Dumy Moyi, ( » Mes pensées  » en ukrainien, le titre d’une des chansons qu’il interprète lui-même), c’est le theyyam, une danse rituelle indienne ultracodifiée, qui a été particulièrement inspirant. Parés de costumes imposants et de maquillage coloré, les danseurs y endossent traditionnellement le rôle de divinités, dans des prestations en plein air pouvant s’étendre jusqu’à 24 heures. Dans un solo d’une trentaine de minutes qu’il joue plusieurs fois par jour devant un public disposé en  » U  » autour de lui, François Chaignaud emprunte au theyyam la démesure du costume, grâce à la complicité du couturier Romain Brau, qui a pour l’occasion joyeusement mixé mâchoires, fourrures, cheveux, feuillages, oiseaux, branches, cristaux, papier mâché et aluminium.  » Dans cette pièce, le costume a une importance vraiment capitale parce qu’il était à l’origine même du projet. Quand j’en ai parlé avec Romain, je lui ai demandé de ne pas faire un costume pour danseur : un costume qui soit maniable, qui ne fasse pas mal, qui ne soit pas lourd, et avec lequel j’aurais pu faire tous les mouvements possibles. J’avais au contraire envie que les contraintes du costume dictent aussi la danse. Ici, le costume impose, il propose beaucoup, il entrave mais il n’est pas juste un habillage, il crée ce qui est possible et impossible physiquement, mais aussi une allure, une silhouette, un volume, qui font me projeter différemment que si j’étais en jogging ou nu.  » Une sorte d’aboutissement pour celui qui, enfant, commença la danse classique mû par  » le désir de se transformer « .  » Je sentais que la danse allait autoriser beaucoup de déguisements, d’invention de soi. Je ne dirais pas que c’était un prétexte parce que j’aimais, et j’aime toujours beaucoup bouger pour bouger, mais il y avait aussi le fait que la danse est un art du spectacle, dans ce rapport au déguisement.  » Un art que François Chaignaud parvient à porter à un niveau particulièrement intense.

Dumy Moyi (déconseillé aux moins de 15 ans) : le 28 avril à la Raffinerie de Charleroi danse, à Bruxelles, www.charleroi-danse.be

Les Inconsolés.
Les Inconsolés.© MARC DOMAGE

La danse en héritage

Legs, nouveau festival lancé par Charleroi danse, entend mettre en avant la mémoire de la danse, et la manière dont les héritages se transmettent de génération en génération. Outre le solo de François Chaignaud, on pourra y voir la première mondiale de A l’Ouest, d’Olivia Grandville, autour de la figure du compositeur aveugle américain Moondog, un hommage de Lara Barsacq à son aïeul Léon Bakst, peintre des décors et des costumes des Ballets russes, celui de Paula Pi à la chorégraphe allemande Dore Hoyer et celui de Jule Flierl à la danseuse allemande Valeska Gert, mais aussi la recréation des Inconsolés d’Alain Buffard. Entre autres. Une façon différente, vivante, de lire l’histoire de la danse.

Legs : du 17 au 28 avril à la raffinerie de Charleroi danse, Bruxelles, www.charleroi-danse.be.

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