Un couteau dans l’eau

Les livres de Céline Lapertot ont la force d’une incantation. Leur solennité est égale à leur concision. Il y a, chez cette auteure, une confiance viscérale en la puissance de l’écrit, et une manière désespérée, démesurée, de s’y engouffrer pour en faire le lieu d’un radical état d’urgence. Des hommes et des femmes prennent la parole et mettent leurs tripes sur la table. Leurs corps, à vif, deviennent les marqueurs d’un monde qui implose, traversé par une déroute embrassée frontalement.

Cette fois-ci, c’est une guerre mondiale causée par une forte pénurie d’eau. Certains l’avaient vu venir, la plupart lui ont tourné le dos. La scène d’ouverture décrit l’exode de 300 bouches assoiffées traversant les continents pour aller boire à la source d’une grande citerne construite par un chef populiste et autocrate. L’eau avait été confisquée, privatisée, injectée dans des tuyaux pour couler sans qu’on ait le moindre effort à faire. Bientôt, la citerne explose, noyant une enfant, provoquant la déroute de ce peuple aveuglé par l’abondance pendant que, de l’autre côté des déserts, d’autres ont soif.  » Il aura fallu du sang pour qu’on comprenne que l’eau, ça se partage « , commente une voix aux accents d’oracle. Non loin de la citerne trône aussi un pénitencier, où sont enfermés ceux qui ont trahi ou dénoncé. Parmi eux, ce jeune garçon coupable d’avoir quitté sa chambre pour aller, la nuit, inscrire des chants de liberté sur les murs de la ville. Il raconte son histoire tout en regardant le ciel à travers les barreaux de sa cellule. Avec d’autres prisonniers, il se révolte, accompagnant une prise de conscience générale et le renversement de l’ordre établi.

Pour dire le monde en état de choc et d’alarme, Céline Lapertot creuse des personnages tourmentés, incandescents, douloureusement lucides. D’une sophistication très animale, son écriture tranchante va droit vers l’allégorique et l’abstrait. Le roman n’en est pas moins physique et charnel. Dans un pays imaginaire, il fait entendre une série de cris humains, dont l’origine se loge dans l’urgence de la crise migratoire, environnementale et politique. La soif n’est pas ici une métaphore, mais le symptôme bien réel d’une société qui devient folle.

Ne préfère pas le sang à l’eau, par Céline Lapertot, éd. Viviane Hamy, 152 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire