Jeune fille dans un cercueil de verre, 1932. © SABAM BELGIUM 2017 /PETER COX

Le manège désenchanté

Soixante ans après sa mort, l’artiste bruxellois Edgard Tytgat est décrypté en 70 tableaux au M-Museum Leuven, qui explore les multiples facettes d’une oeuvre méconnue.

Souvent considéré à tort comme un  » peintre naïf « , Edgard Tytgat (1879 – 1957) figure parmi les inclassables, à la fois impressionniste et expressionniste, déployant un univers coloré et doux-amer peuplé de carrousels, de chapiteaux de cirque et de jeunes filles en fleurs dont la candeur se mêle à une inquiétante étrangeté. A y regarder de plus près, l’artiste puise dans la Bible, l’histoire de l’art et les thèmes classiques pour transcender sa propre biographie et orchestrer ses obsessions – érotisme, maladie, mort. Peintre, écrivain et graveur, Tytgat était avant tout un fantastique conteur d’histoires. Avec un grand sens du détail, il observait le quotidien ou bien puisait son inspiration dans la mythologie, peignant des images complexes où la fantaisie, l’absurdité et l’humour dialoguent de manière désarmante. Comme l’explique Gust Van den Berghe, cocommissaire de l’exposition qui met en lumière son travail au M-Museum Leuven,  » Tytgat peignait des contes sans intrigue. Lorsqu’on regarde ses oeuvres, on découvre rapidement des bribes d’une histoire plus vaste, invisible. Sans intrigue, donc, mais avec beaucoup trop de points communs pour qu’il puisse s’agir de simples coïncidences. « Son confrère Peter Carpreau renchérit :  » Cette méthode complexe et raffinée est ce qui fait que l’héritage de Tytgat, par son contenu, est immense. Il fut le premier à intégrer dans la peinture toutes les techniques de narration visuelle existant depuis le Moyen Age.  »

Edgard Tytgat et son épouse Maria (1950).
Edgard Tytgat et son épouse Maria (1950).© KONINKLIJKE MUSEA VOOR SCHONE KUNSTEN VAN BELGIË

Fausse insouciance

Fils d’un graveur et imprimeur, Tytgat se forme aux cours du soir de l’Académie des beaux-arts de Bruxelles, où sa mère l’a inscrit en cachette, puis s’installe à Watermael et fréquente Rik Wouters. Il épouse Maria  » mon coeur  » De Mesmaeker en mai 1914 et l’emmène en Angleterre quand la Grande Guerre éclate. Une parenthèse qui lui permettra d’approfondir la gravure sur bois, avant de revenir à Bruxelles, où il élaborera toute sa production depuis sa maison de Forest. Si son art n’est pas directement définissable par un  » -isme « , son style est pourtant clair et reconnaissable. Il peindra près de 500 toiles et réalisera des milliers d’aquarelles, gravures sur bois, eaux fortes et dessins, exploitant sans relâche les mêmes thèmes – innocence perdue de la jeunesse, peur de la mort, univers halluciné de la fête foraine. C’est que, marqué par un accident de manège qui lui vaudra une enfance difficile après avoir frôlé la mort, Tytgat exploitera sans relâche cet épisode fondateur pour décliner le motif de la kermesse dans des scènes grinçantes (Jeune fille dans un cercueil de verre, 1932). Féru de dessin mais aussi d’écriture, il élaborera sa propre mythologie dans plusieurs entreprises narratives comme Quelques images de la vie d’un artiste (1946) ou son étrange cycle érotique Huit dames et un monastère (1941-1947), qui fait des femmes de sa vie les muses soumises aux aléas d’un jeu de cartes décidant de leur sort. Cette série inédite d’aquarelles, composée de cinq livres (soit plus de 500 pages), a été réalisée sur une période de cinq ans. Elle est curieusement, sans doute, la moins connue de ses oeuvres, et l’une des belles surprises de cette exposition.

Edgard Tytgat. Souvenir d’une fenêtre aimée, jusqu’au 8 avril prochain, au M-Museum Leuven. www.mleuven.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire