Nicolas Maduro (ici, avec le président iranien, Hassan Rohani, en 2015), poursuit la politique étrangère de son prédécesseur Hugo Chavez. © Reuters/Miraflores Palace

Pourquoi la connexion du Venezuela au monde arabo-musulman est cruciale

Le Vif

Aux yeux du président Nicolas Maduro, la connexion de Caracas avec le monde arabo-musulman est essentielle à la survie de son régime en faillite.

Verra-t-on des bâtiments de guerre iraniens naviguer sur les flots bleus du golfe du Mexique, au nez et à la barbe des Etats-Unis ? Il s’agit non pas de politique-fiction, mais du scénario très sérieux annoncé, la semaine dernière, par le haut commandement naval de la République islamique d’Iran.  » Dans un futur proche, une flottille appareillera pour l’océan Atlantique afin d’aller rendre visite à des Etats amis, en Amérique du Sud et dans le golfe du Mexique « , a en effet déclaré, le 28 novembre, le contre-amiral Hossein Khanzadi, commandant de la force navale iranienne. Des  » Etats amis  » ? Il s’agit, bien sûr, de Cuba et du Venezuela, principaux alliés des mollahs iraniens dans la région.

 » Sans être comparable avec l’US Navy, la marine iranienne est toutefois solide et sérieuse « , observe le géographe français Bernard Hourcade, fin connaisseur de l’Iran. Elle est, par exemple, active dans la lutte contre les pirates somaliens de la Corne de l’Afrique. En se projetant dans l’Atlantique nord, les Iraniens entendent démontrer une capacité militaire augmentée et lancer un message diplomatique qui se résume à ceci :  » Puisque les Américains croisent dans le golfe Persique, nous sommes fondés à naviguer près des côtes américaines.  » Reste à savoir si cet exercice naval se concrétisera : en 2014, après une fanfaronnade similaire, l’Iran avait finalement renoncé à envoyer une flottille à proximité des eaux territoriales américaines.

Hugo Chavez appelait Mahmoud Ahmadinejad (à g.), le président iranien,
Hugo Chavez appelait Mahmoud Ahmadinejad (à g.), le président iranien, « mi hermano », « mon frère ». Ici à Caracas, en 2012.© Carlos Garcia Rawlins/Reuters – Juan Barreto/Afp

En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’activisme de Téhéran témoigne en tout cas d’une nouvelle ère, commencée voilà un quart de siècle après la chute de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide. Washington renonce alors à faire la pluie et le beau temps dans son backyard (arrière-cour), désormais considéré comme non prioritaire. En 1999, les Américains rétrocèdent le canal de Panama et ferment leurs bases militaires stratégiquement situées sur l’isthme centre-américain. Les Yankees tournent le dos au sous-continent. Aujourd’hui, Donald Trump va plus loin : il veut ériger un  » mur de Berlin  » entre le monde latino et lui, le long de la frontière mexicaine.

Avec l’avènement de Hugo Chavez, également en 1999, de nouveaux rapports de force se dessinent. Ultra-antiaméricain, le colonel vénézuélien, qui décédera en 2013, établit une alliance stratégique avec Cuba. Avec son comparse Fidel Castro, il recrute des alliés anti-impérialistes et fonde l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), qui inclut, entre autres Etats, la Bolivie, le Nicaragua et l’Equateur. Parallèlement, la Chine s’invite dans la région, à grand renfort de prêts et d’investissements, notamment au Venezuela, dont Pékin détient 60 milliards de dollars de dettes (qu’il aimerait bien récupérer un jour, même si cette perspective paraît irréaliste compte tenu de la faillite retentissante du régime chaviste de Nicolas Maduro).

Bientôt une flottille iranienne dans le golfe du Mexique ?

Autre acteur : la Russie, qui, plus d’un demi-siècle après la  » crise des missiles  » de 1962, est de retour dans la région sous l’impulsion d’Igor Setchine, vice- Premier ministre russe et président de la compagnie pétrolière Rosneft. Au cours de la décennie écoulée, Moscou est devenu le premier fournisseur d’armes du Venezuela. Et l’année prochaine – nouveau pied de nez aux Américains ! – une usine de fusils d’assaut Kalachnikov et de munitions doit ouvrir au Venezuela dans le cadre d’un accord bilatéral annoncé la semaine dernière.

Mais, dans ce  » grand jeu « , le plus étonnant demeure l’émergence d’un axe stratégique entre Caracas et le monde arabo-musulman. En fait, il s’appuie sur une histoire ancienne : la présence d’une diaspora arabe en Amérique du Sud remonte en effet au xixe siècle avec l’arrivée de commerçants libano-syriens, essentiellement chrétiens. Cette communauté s’est amplifiée et diversifiée après la Seconde Guerre mondiale, avec la fin du mandat français sur la Syrie et le Liban. Elle compte aujourd’hui plus de 15 millions de personnes, dont 6 millions de confession musulmane. Et elle a donné deux chefs d’Etat au Nouveau Monde. D’origine syrienne, éduqué dans la foi islamique puis converti au catholicisme, Carlos Menem a présidé aux destinées de l’Argentine de 1989 à 1999. Quant au petit-fils d’immigrants libanais Abdala Bucaram, il a gouverné l’Equateur pendant six mois avant d’être destitué pour  » incapacité mentale  » en févier 1997.

Druze d'origine syrienne, le vice-président vénézuélien Tareck El Aissami est accusé de blanchiment d'argent de la drogue par Washington.
Druze d’origine syrienne, le vice-président vénézuélien Tareck El Aissami est accusé de blanchiment d’argent de la drogue par Washington.© AFP

Au Venezuela, c’est l’actuel vice- président, Tareck El Aissami, promu en janvier dernier, qui est d’origine moyen-orientale. Issue d’une famille druze libano-syrienne, il est le fils du fondateur du parti Baas au Venezuela et le petit- neveu d’un des fondateurs de la même formation politique en Syrie. Radicalement  » anti-impérialiste « , ce fringant quadragénaire est visé par des sanctions américaines depuis le mois de février. Le département du Trésor l’accuse de blanchiment d’argent de la drogue et lui reproche ses liens présumés avec le Hezbollah, organisation islamiste libanaise proiranienne considérée comme terroriste par Washington. En cas de destitution de Nicolas Maduro, c’est lui qui dirigerait le pays. Autre personnalité dans le viseur du FBI : Gazhi Nasr al-Din. Natif de Beyrouth, ce diplomate vénézuélien, qui possède également la nationalité libanaise, est recherché pour son implication dans le financement du Hezbollah et pour avoir fourni des faux passeports vénézuéliens à des personnes en lien avec le terrorisme lorsqu’il se trouvait en poste à l’ambassade du Venezuela à Damas, en Syrie.

Autrefois apolitique, l’immigration moyen-orientale s’est politisée au fil des décennies. A partir des années 1960, la diaspora épouse le combat des indépendantistes algériens, s’inspire de la révolution cubaine et soutient activement la cause palestinienne. L’union sacrée des révolutionnaires antiaméricains et antisionistes s’incarne d’ailleurs en la personne d’un Vénézuélien illustre : le terroriste Ilich Ramirez Sanchez, alias  » Carlos « , que Hugo Chavez a toujours admiré et soutenu. Emprisonné en France, Carlos n’est autre que le cousin germain de Rafaël Ramirez, ex-PDG de la compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA et, jusqu’à sa disgrâce la semaine dernière, ambassadeur du Venezuela aux Nations unies.

L’Amérique du Sud, nid de terroristes ? Selon les services de renseignement américains et israéliens, la présence du Hezbollah est attestée depuis plus de trente ans dans la ville paraguayenne de Ciudad del Este, fameux carrefour de contrebande à la frontière du Brésil et de l’Argentine. Selon le défunt juge argentin Alberto Nisman, c’est dans cette ville du  » Far-West latino  » qu’aurait été fomenté l’attentat à la bombe contre l’Association mutuelle israélite (Amia) à Buenos Aires en 1994 (85 morts).

Emprisonné en France depuis 1994, le terroriste venézuélien Carlos était considéré comme un
Emprisonné en France depuis 1994, le terroriste venézuélien Carlos était considéré comme un  » héros  » par Hugo Chavez.© Reuters tv

Selon un rapport de 2011 du Département d’Etat américain, le commerce de contrebande à Ciudad del Este par la diaspora libano-syrienne aurait permis de financer des groupes extrémistes au Moyen-Orient à hauteur de 300 000 à 500 000 dollars par an. Cependant, sous le règne de Hugo Chavez, Ciudad del Este aurait été supplantée par l’île vénézuélienne de Margarita.  » C’est aujourd’hui un paradis pour les narcotrafiquants et les terroristes, ainsi que le principal refuge du continent pour le Hezbollah « , signalait, voilà six ans, le même rapport rédigé par le sous- secrétaire d’Etat pour les Amériques Roger Noriega.

Bernard Hourcade nuance :  » J’ignore s’il existe des cellules dormantes terroristes en Amérique latine, ne fantasmons pas trop. En ce qui concerne l’Iran, l’objectif n’est pas de faire exploser des bombes mais, au contraire, d’être considéré comme un acteur international sérieux avec lequel il faut compter. Ce que Téhéran cherche à Caracas, c’est à établir des relations durables d’Etat à Etat, afin d’étendre son influence, comme il le fait partout où des opportunités se présentent.  »

Entre ces deux pays, l’affinité remonte à la création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), en 1960, dont ils sont tous deux membres fondateurs. Sous Hugo Chavez (1999 – 2013) et Mahmoud Ahmadinejad (2005 – 2013), les deux partenaires historiques se rapprochent comme jamais. C’est l’amour fou. Les deux présidents, qui se considèrent comme des frères –  » Mi hermano !  » dit Chavez à l’autre – sont unis par leur détestation des Américains. Ils totalisent une quinzaine de voyages officiels dans leurs deux pays. En 2007, une liaison aérienne hebdomadaire est ouverte entre Caracas et Téhéran, avec escale à Damas. 200 accords de partenariats économiques et commerciaux sont signés dans les domaines du pétrole, du bâtiment, de l’automobile (plus de la moitié ne se sont jamais concrétisés). Un centre d’échanges culturels Iran – Amérique latine est ouvert à Caracas. Il est géré depuis Téhéran par Moshen Rabbani… un homme suspecté d’être un des cerveaux de l’attentat contre l’Amia, en 1994, à Buenos Aires.

Depuis, les relations ne faiblissent pas. En 2015, Nicolas Maduro rend sa première visite au président iranien, Hassan Rohani, à Téhéran. De façon régulière, les deux hommes cultivent leur relation. En septembre, le Vénézuélien a réitéré la nécessité impérieuse de resserrer encore leurs liens. Cette fois, leur tête-à-tête se déroule à Astana, au Kazakhstan, dans le cadre d’un sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), qui réunit 57 Etats musulmans. Sans compter le Venezuela, devenu  » membre observateur  » de l’OCI à cette occasion. A l’heure où son pays s’enfonce dans la faillite financière, la pénurie et la dictature, Nicolas Maduro poursuit une mission sacrée : consolider sa connexion arabo-musulmane pour renforcer la position du Venezuela sur la scène internationale.

Par Axel Gyldén.

L’or noir et, cependant, la ruine…

Une  » nuit des longs couteaux  » : la semaine dernière, la purge ordonnée par Nicolas Maduro s’est traduite, notamment, par l’arrestation après leur remplacement du ministre du Pétrole et du PDG de PDVSA, la compagnie pétrolière nationale. Le président espère ainsi faire porter le chapeau de la faillite du pays à d’autres. Mais, en réalité, le dévissage actuel trouve son origine en 2002, lorsque le président Hugo Chavez licencie d’un seul coup – en direct à la télévision – 19 000 cadres et salariés de la compagnie, supposés hostiles au pouvoir. Clientéliste, il les remplace par des partisans incompétents et inexpérimentés. La masse salariale passe de 40 000 professionnels à 150 000 employés ! Au lieu de procéder aux indispensables investissements, le président puise dans les caisses de PDVSA comme dans celle d’une banque. La corruption atteint des proportions inimaginables. De nombreux puits sont laissés à l’abandon.  » Il faudra au moins vingt-cinq ans pour réparer les dégâts « , juge un spécialiste. De 3,1 millions de barils par jour lors de l’accession de Chavez au pouvoir, la production est tombée à 1,5 aujourd’hui – peut-être même moins. Certains experts envisagent un effondrement imminent. En temps normal, le Venezuela doit fournir 750 000 barils par jour à sa filiale américaine Citgo et en distribuer 100 000 gratuitement à Cuba. Sans oublier le pétrole que PDVSA doit fournir à la Chine en remboursement de dettes impayées. Ne reste donc presque rien pour le marché local. Selon un service de renseignement, les réserves de carburant domestique seraient tombées à trois jours au lieu de vingt et un.  » La seule raison pour laquelle le Venezuela n’est pas totalement à genoux, c’est parce que le pays est devenu un narco-Etat, plaque tournante du trafic, analyse un expert du renseignement américain. La drogue a remplacé le pétrole. « 

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