© FRÉDÉRIC RAEVENS

Catalastrophe

Jacques De Decker

La boutade de Paul Goossens, ex-fondateur et directeur du Morgen, devenu éditorialiste du Standaard, n’y va pas par quatre chemins, en ces temps de distinctions suédoises : s’il existait un Nobel de la bêtise, écrit-il, il serait emporté haut la main par le roi d’Espagne et son Premier ministre, Mariano Rajoy. Felipe VI était loin de l’image idyllique qu’il distille, avec son élégante épouse et ses craquantes fillettes, durant ses vacances dans les îles : le souverain a prononcé, au lendemain de ce dimanche 1er octobre maudit où la Guardia Civil a levé la main sur les manifestants, un discours d’une rigidité d’un autre âge, ânonnant les phrases dictées par son chef de gouvernement.

Là où la mesure, le sens du dialogue et la subtilité complices auraient peut-être pu calmer les esprits, l’absence d’empathie n’a fait qu’aggraver les choses. Le pouvoir économique, le seul auquel on ne peut reprocher le manque de sens de l’opportunité, n’attendant pas que la Catalogne devienne une Suisse méditerranéenne, n’a pas hésité à déplacer ses sièges sociaux, il suffisait de rebaptiser des succursales déjà existantes.

Et le peuple est là, désarmé, pantois, avec le sentiment d’avoir été le dindon de la farce. Carles Puigdemont, nouveau chef de la Generalidad, l’autorité politique catalane, qui n’en est pas à une incohérence près, en appelle à l’arbitrage de l’Europe qu’il n’hésite pourtant pas à fustiger par ailleurs. Il faut dire que le poste qu’il occupe est maudit : deux de ses prédécesseurs, Jordi Pujol et Artur Mas, étaient des orfèvres en matière d’autoritarisme et de corruption, qui n’ont jamais caché leur appétit d’autonomie parce qu’elle favorisait leurs turpitudes. Aujourd’hui, ils se seraient servis des réseaux sociaux, messagers de manipulation en tous genres, livrés aux plus cyniques et aux plus puissants pour instrumentaliser une population dont les reculs (programmés ?) en matière d’information et d’éducation n’ont fait qu’accentuer l’impuissance.

Paul Goossens, dans le même texte, rappelle que l’autoritarisme espagnol a des antécédents dont nos contrées ont pâti, il y a 400 ans, lorsque Philippe II et son agent le duc d’Albe ont sévi dans les Pays-Bas du Sud, permettant ainsi à terme que la prospérité se déplace vers le nord et aux Provinces-Unies de régner sur les océans après les grandes découvertes des conquistadors. New York, souvenons-nous, s’appelait à l’origine Nieuw-Amsterdam.

Une fois encore, nous sommes peut-être plus concernés que nous ne le pensons. Mais notre horreur viscérale de la violence est là pour nous prémunir contre l’aveuglement revanchard, comme l’écrivait si justement Béatrice Delvaux dans Le Soir. Il n’empêche : il faut garder l’oeil ouvert et l’esprit aguerri. Et se souvenir que l’autorité, si elle cesse de se nourrir de clairvoyance et bienveillance, tombe bientôt dans sa caricature.

La priorité, désormais ? Faire en sorte que le citoyen soit pris à témoin, et non en otage, renouveler sa représentation, développer les moyens informatifs et instructifs de la presse, empêcher les rentes de notoriété et se prémunir contre les petites manoeuvres d’appareil. Et puis, tout faire pour maintenir dans l’Europe une Espagne tout entière qui, privée de la Catalogne, s’amputerait de quelques-uns de ses bons génies, qui ont pour noms Casals, Gaudi, Picasso… L’un de ceux-ci, péruvien de passeport et célébrant insigne de la langue espagnole, Mario Vargas Llosa, prix Nobel incontestable pour sa part, a défendu cette cause à Barcelone, le dimanche 8 octobre, en tête de la marche pour le maintien de l’unité de l’Espagne.

JACQUES DE DECKER

 » L’autoritarisme espagnol a des antécédents dont nos contrées ont pâti, il y a 400 ans, lorsque Philippe II et son agent le duc d’Albe ont sévi dans les Pays-Bas du Sud  »

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