La grande fierté de Vincent Herbert (ici, dans une rue de New York) : " avoir trouvé une synergie puissante " avec Alain Coumont, le fondateur du Pain quotidien. © NICK KUSKIN

Rester soi-même

Face à la concurrence acharnée qui sévit dans le secteur de l’alimentation, Le Pain quotidien, société belge qui créa le concept de tables communes dans la restauration, doit se renouveler sans cesse. Vincent Herbert, son CEO, explique sa stratégie.

Entre l’ouverture d’une troisième boulangerie à Hong Kong et l’inauguration d’une table d’hôte sélecte à Bruxelles, Le Pain quotidien connaît une rentrée chargée. Rencontre avec le CEO de l’enseigne belge, Vincent Herbert.

Le Pain quotidien renoue avec ses racines belges, tout en se développant à l’international. Un bon résumé ?

Oui. Nous avons ouvert une troisième boulangerie en franchise à Hong Kong en août dernier. La boîte possède 172 magasins en propre ; 113 de plus sont des franchisés. 2017 aura vu 29 nouvelles ouvertures, avec trois en plus d’ici à la fin de l’année en Belgique, deux à Bruxelles et une à Anvers. Les Pays-Bas sont au programme 2018. Sans oublier les nouveaux marchés : Bahreïn, Santiago et Miami. Notre bureau de New York chapeaute l’Amérique du Nord et du Sud. Nous nous développons en Asie avec Hong Kong et le Japon; on étudie le reste de la Chine et Singapour. Enfin, Bruxelles est le QG pour l’Europe et le Moyen-Orient. C’est notre actualité belge de la rentrée : l’installation de notre quartier général belge et européen à Tour & Taxis. Nous ouvrons aussi un magasin phare à l’Entrepôt royal avec le meilleur du Pain quotidien : restaurant, terrasse, four à plusieurs étages pour apprendre au public à faire son pain. Il servira aussi de centre de formation pour notre personnel et les franchisés. L’investissement est de 400 000 euros.

Vous avez derrière vous dix ans de bonne croissance. Vous faites travailler 9 000 employés et nourrissez 40 millions de personnes par an. Etes-vous satisfait ?

Une des choses dont je suis le plus fier, en tant qu’entrepreneur, est d’avoir trouvé une synergie puissante avec le fondateur Alain Coumont. Avez-vous vu le film The Founder, l’histoire de McDonald’s ? Michael Keaton transforme le petit fast-food des frères McDonald en chaîne immense. A la fin, il donne sa carte et il y a écrit founder. Une erreur ! Non seulement en tant qu’être humain et businessman. Il y a un fondateur et il est là pour toujours. Alain Coumont, c’est un peu la maman du Pain quotidien, avec 285 petits-enfants dans vingt pays. Et moi, je suis la nanny. Parfois, il y a une tension : comme je passe plus de temps avec les enfants, c’est moi qu’ils appellent  » maman « . Qui est papa ? Certainement nos partenaires actionnaires. J’ai une chance dingue car ce sont des amis, voire des coachs, dans la mesure où ils m’aident à sortir le meilleur de moi. Etre un groupe d’amis, une petite famille belge au niveau capital, est l’un des avantages compétitifs de la société : chacun en comprend les valeurs.

Cela vous change du monde de la banque dans lequel vous avez travaillé dans les années 1980 et 1990 ?

Il n’y a rien de plus puissant qu’être entrepreneur. On crée de l’emploi. On se trompe, on recommence, avec conviction. J’ai 52 ans et Le Pain quotidien est l’un des chapitres de ma petite vie. Il y est question de pain et de bio, mais aussi d’une table commune qui rapproche les gens. Surtout dans les grandes villes où la solitude est grande. Aujourd’hui, nous offrons une surprise à nos clients qui acceptent de laisser leur smartphone à l’entrée. Comme une detox digitale. Dans le business de demain, l’esprit est tellement plus important que le seul produit. Et puis, le projet qui m’occupe aujourd’hui, c’est d’apprendre aux Américains à bien se nourrir. Vous voyez les streetcarts, ces vendeurs ambulants qui sont sur tous les trottoirs à New York ? Leur nourriture est dégueulasse et le café horrible. Désormais, nous livrons de la nourriture saine à une trentaine de ces échoppes mobiles sur la petite île de Manhattan. Le café est bio, il y a du granola, du yaourt et des panneaux solaires… Déjà, notre petit kiosque sur Central Park fait ses 117 000 dollars par semaine. Quarante-cinq Pain quotidien à New York, 100 millions de dollars de chiffre d’affaires : on voit qu’on a une responsabilité sociétale. Nous travaillons avec CO2Logic, une société belge qui aide à réduire notre empreinte carbone. Tout y passe : fournisseurs, livraisons, même nos serviettes de table. Nous planchons sur les blés anciens dont le gluten est sain. Quand on n’est pas coté en Bourse, c’est plus facile de travailler sur de bonnes choses. Evidemment, le résultat financier doit être là ; on doit gagner de l’argent, croître, payer des dividendes… Mais je suis convaincu qu’on doit le faire.

A Soho comme dans de nombreux quartiers commerçants dans le monde, on remarque beaucoup de magasins fermés. C’est la fin du commerce de détail ?

Merci Jeff Bezos, le patron d’Amazon ! Heureusement qu’on ne peut pas encore acheter un café chaud par correspondance, je perdrais mon travail. Tous les commerçants se posent la même question : comment faire revenir les clients ? La seule chose qu’Amazon ne peut pas offrir, c’est l’expérience. Ce qui compte, en ce moment, ce n’est pas ce que nous consommons mais vous et moi qui échangeons. Ici et maintenant. Regardez Quicksilver, Ikea, Barnes & Noble. Virgin Megastore avec les CD. Les livres, l’électronique, le textile… Même les supermarchés : le commerce est sous pression. L’e-shopping enlève des clients au  » commerce en dur « . Nombre de commerçants vivent un cauchemar. Quant au consommateur, il veut de la nourriture plus que rapide. Il veut choisir, aller au supermarché et picorer ceci et cela. L’époque est fascinante. Les investisseurs mettent beaucoup d’argent dans la distribution et dans la sous-catégorie de l’alimentation car c’est la seule qui ne peut pas être cannibalisée par Amazon.

La concurrence est-elle aussi rude entre acteurs du secteur de l’alimentation ?

Les nouveaux concepts pullulent. A New York, des chaînes vendent des plats de riz végans, des jus frais… Quand nous sommes arrivés il y a vingt ans, les gens venaient acheter un pain et finissaient par prendre un café à table. Ou l’inverse. C’était le bon vieux temps. Aujourd’hui, nous sommes en compétition avec toutes ces nouvelles petites chaînes de café, les baristas. Nous sommes arrivés avec un pain complet européen. Les Américains ne savaient pas ce qu’était un vrai bon pain. Succès immédiat. Maintenant, il y a un tas de boulangers sur le marché. Les salades, les soupes ? Personne n’en faisait. Nous étions la seule table commune, aujourd’hui, même Starbucks a des tables communes. Tout va si vite car tout le monde a un smartphone. Vous aimez tel bowl à Shanghai, vous le prenez en photo, vous essayez de le faire à la maison. Face à cette évolution, nous continuons à être nous-mêmes et à servir à nos clients ce que nous servons à nos propres enfants.

ENTRETIEN : BÉA ERCOLINI

 » Heureusement, on ne peut pas encore acheter un café par correspondance  »

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