Juan Pablo, architecte (ici, à Paris) donne des conférences sur les dangers du "métier" de son père, Pablo. © M. ZAZZO POUR LE VIF/L'EXPRESS - AFP

Juan Pablo Escobar : « J’ai grandi avec les pires bandits »

Le Vif

Comment se construit-on avec un père assassin nommé Pablo Escobar ? Résilient, le fils du narcotrafiquant mort en 1993 démontre que la chose est possible.

Hormis un léger embonpoint, la ressemblance n’est pas flagrante. Mais dès que Juan Pablo Escobar évoque son enfance, le doute est levé.  » J’ai grandi entouré des pires criminels de Colombie, surnommés « Brosse à dents », « Crâne d’oeuf », « Popeye » ou « Chimpanzé ». C’étaient mes baby-sitters « , raconte, sans une once de fanfaronnade, le placide quadragénaire.  » Mon père était à la fois un papa et un bandit ; j’ai connu les deux, ajoute-t-il en sirotant un Coca-Cola. C’était un bon père de famille, aimant, capable de chanter des comptines à ses enfants. Mais il y avait en lui beaucoup de haine. Un être paradoxal. En tout cas, il m’a montré un exemple à ne pas suivre : le sien.  »

A Paris pour la promotion de son livre, Pablo Escobar, mon père (Hugo Doc), Juan Pablo Escobar détaille son singulier destin : celui de fils du plus célèbre trafiquant au monde depuis Al Capone. A la tête du cartel de Medellín, qu’il crée dans les années 1980, son papa sème l’effroi pendant une décennie en Colombie, menant une guerre sans merci à l’Etat, assassinant politiciens, policiers et civils, posant des bombes qui soufflent des immeubles entiers, décimant ses rivaux du cartel de Cali. Bilan du massacre : plusieurs milliers de tués (il n’existe pas de chiffre officiel).  » Avec moi, il était transparent, raconte Juan Pablo Escobar, architecte qui vit à Buenos Aires (Argentine) depuis deux décennies. Chaque fois que la télévision évoquait ses crimes, il me disait : « Tel assassinat ou tel enlèvement, c’est effectivement moi ; la bombe dans l’avion d’Avianca (101 morts en 1989), c’est moi aussi… » Il préférait que j’apprenne la vérité par sa bouche plutôt que par la presse.  » Aujourd’hui, le fils du trafiquant de cocaïne consacre une partie de sa vie à donner des conférences, jusqu’au Mexique, afin de sensibiliser la jeunesse aux dangers d’une carrière de délinquant.

Un bon père de famille, aimant, mais il y avait en lui beaucoup de haine. Un être paradoxal

Comment se construit-on avec un tel père ?  » Je ne sais pas si je suis fou ou équilibré, mais je n’ai jamais eu besoin d’un psy. Mon enfance ne m’a pas traumatisé. Surtout, je ne veux pas jouer les victimes.  » Il y aurait de quoi, pourtant. Cible, lorsqu’il était mineur, de cinq tentatives d’enlèvement, victime, aussi, d’un attentat à la bombe (une voiture piégée explose devant l’immeuble familial et le plafond de sa chambre s’effondre sur son lit), Juan Pablo participe à la première cavale de son père, au Panama, à l’âge de 7 ans, la peur au ventre, avec sa mère au bord de la crise de nerfs. Pourri gâté, Juan Pablo grandit dans une gigantesque hacienda proche de Medellín, comparable – mais en plus grand – au Neverland de Michael Jackson, avec cascades, lacs, jungle, montagnes, parc d’attractions et zoo privé peuplé d’animaux exotiques rares. Son père y accumule des oeuvres d’art (Rodin, Dali, Botero… ) et des hélicoptères. A 11 ans, Juan Pablo possède déjà 30 motos et autant de Jet-Ski. Mais, dans sa prison dorée, il est seul, sans véritable ami.

Au commencement, la société colombienne ferme les yeux sur les activités douteuses d’Escobar. Doué pour les affaires, celui-ci modernise le narcobusiness en inaugurant… un système d’assurance tous risques.  » Quiconque investissait 5 000 dollars chez lui avait la garantie de récupérer 20 000 dollars quinze jours plus tard, y compris si la cargaison de cocaïne était interceptée sur la route des Etats-Unis. Résultat, tout le monde voulait investir chez lui : les gens de la bonne société, les politiques, les policiers !  » Jusqu’au jour où, en 1982, Escobar se lance en politique. Lorsque le ministre de la Justice décide de bloquer l’ascension d' » El Patron  » (son surnom), le bandit fait exécuter le politicien. Mais trop, c’est trop : la traque d’Escobar commence. Elle s’achève en 1993 par trois balles dans la peau.

Juan Pablo (7 ans) et sa petite soeur dans les bras de leurs parents en 1984. Depuis la mort de Pablo, en 1993, la famille vit en Argentine.
Juan Pablo (7 ans) et sa petite soeur dans les bras de leurs parents en 1984. Depuis la mort de Pablo, en 1993, la famille vit en Argentine.© Photo issue du livre de Juan Pablo Escobar : Pablo Escobar, mon père.

Dans son livre, son fils fait quelques révélations. Il dément la rumeur selon laquelle l’ex-président colombien, Alvaro Uribe, à l’époque directeur de l’aviation civile, aurait été acheté par le cartel de Medellín.  » J’ai enquêté auprès d’anciens associés de mon père, qui m’ont réservé un accueil privilégié. L’un d’eux, s’étant fait passer pour mort, coule des jours tranquilles en Colombie sous une nouvelle identité. Il m’a confirmé que mon père lui avait demandé d’éliminer Uribe, considéré comme un gêneur. Je ne connais pas ce dernier et j’aurais écrit l’inverse si j’avais appris que mon père l’avait corrompu « , dit Juan Pablo, qui ne fait pas de politique.  » De toute façon, pourquoi corrompre le directeur de l’aviation civile alors que la corruption se joue à un échelon plus local ? Pour utiliser clandestinement un aéroport régional, c’est le directeur régional qu’il faut acheter, pas le grand directeur, en poste à Bogota, la capitale.  »

A la mort d’Escobar, l’orphelin, âgé de seulement 16 ans, et sa mère doivent rendre des comptes. D’abord, au cartel rival de Cali, qui réclame des dédommagements et menace d’exécuter l’adolescent.  » L’Etat a pris le reste, soupire Juan Pablo. Il n’y a pas eu d’héritage…  » Ensuite, lui, sa mère et sa petite soeur s’installent en Argentine sous une fausse identité. Sa mère se lance dans la déco d’intérieur. Mais, au bout de cinq ans, un expert-comptable découvre leur vrai nom et tente de les faire chanter. Juan Pablo porte plainte auprès de la police… et se retrouve derrière les barreaux pendant un mois et demi.  » Mon crime ? M’appeler Escobar…  » Finalement, lui et sa mère (emprisonnée pendant deux ans) sont définitivement innocentés, après que sept juges d’instructions se sont penchés sur leur cas. Une nouvelle vie commence. Juan Pablo réalise un documentaire sur  » El Patron « , Les Péchés de mon père. En le présentant en Colombie, il rencontre des familles de victimes d’Escobar, dont les enfants du ministre de la Justice (tué en 1984) et ceux du candidat à la présidentielle Luis Carlos Galan (assassiné en 1989).  » Je leur ai demandé pardon pour le mal causé par mon père. Ils m’ont dit que j’étais moi aussi une victime de la violence en Colombie.  »

Par Axel Gyldén.

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