11/11/2015 Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, deux jours avant le carnage de Paris, dans une station-service de l'Oise. © AFP

Comment les terroristes trouvent-ils l’argent pour se financer ?

Le Vif

On a coutume de dire qu’il est le nerf de la guerre. Comment les terroristes qui, de Londres à Barcelone en passant par Paris ou Bruxelles, ensanglantent l’Europe, trouvent-ils l’argent pour se financer ?

De financement du terrorisme il sera longuement question au procès d’Abdelkader Merah, 35 ans, qui s’ouvre à Paris le 2 octobre. Le frère de Mohamed Merah, le tueur de Toulouse et de Montauban, est soupçonné d’avoir procuré à son cadet un  » soutien logistique  » et les  » moyens ayant permis la commission  » des crimes. D’argent tout court, il sera aussi question : de ces 9 000 euros de crédits à la consommation obtenus par Abdelkader Merah et son épouse en l’espace de trois mois, au moyen de fausses fiches de paie ; des 20 000 à 30 000 euros réunis par Mohamed, lui qui avait, selon ses propres dires, décliné l’aide financière d’Al-Qaeda car il suffisait de voler  » les biens des mécréants pour financer ces opérations  » ; des 10 000 euros que lui aurait rapportés la participation au braquage d’un bijoutier.

Cette plongée dans les comptes de la famille Merah est édifiante. Elle lève un coin du voile sur de lancinantes interrogations : comment les djihadistes et leurs affidés assurent-ils leur train de vie ? Comment financent-ils leurs noirs desseins, des départs vers les zones de combat jusqu’aux attaques menées, ici et ailleurs, contre les  » infidèles  » ? Convaincu que l’argent est le nerf du djihad, le président français Emmanuel Macron a annoncé l’organisation, à Paris, au début de 2018, d’une conférence consacrée au sujet. Il veut  » plus de transparence sur les différentes formes de financement du terrorisme « . Variés, multiformes, illicites ou licites, les canaux sont surtout très discrets, aux antipodes des mouvements de capitaux susceptibles d’éveiller la suspicion des gendarmes du système financier.  » Nous sommes confrontés aujourd’hui à un terrorisme low cost, diagnostique un ancien ponte du renseignement intérieur français : les types voyagent en bus ou en voiture, se font héberger par des copains. Quant à leurs ressources, elles passent le plus souvent sous les radars policiers, qu’il s’agisse de prestations sociales, de petits crédits à la consommation ou du produit de trafics en tout genre.  »

17/11/2015 Deux djihadistes impliqués dans les attentats de Paris effectuent un transfert d'argent, à Bruxelles.
17/11/2015 Deux djihadistes impliqués dans les attentats de Paris effectuent un transfert d’argent, à Bruxelles.© BELGIUM FEDERAL POLICE/EPA/MAXPPP

Dans une étude passionnante, un organisme de recherche norvégien, le Norwegian Defence Research Establishment, a passé au crible le financement de 40 cellules djihadistes ayant planifié des attentats en Europe, réussis ou avortés, de 1994 à 2013. Dans la colonne des dépenses, les sommes sont plutôt modiques : inférieures à 10 000 dollars dans les trois quarts des cas. Même les attentats les plus sanglants n’ont pas coûté très cher. Les bombes posées dans des trains de banlieue à Madrid en mars 2004 (191 morts) ? Moins de 50 000 dollars. Les terrasses parisiennes et le Bataclan à l’automne 2015 (130 morts) ? Pas plus de 30 000 euros, selon l’ex-ministre français des Finances Michel Sapin, 84 000 d’après les calculs du Centre d’analyse du terrorisme (CAT). Selon l’enquête norvégienne, 10 % des attentats nécessitent un investissement évalué à entre 100 et 1 000 dollars, et 8 % à moins de… 100 dollars. Les attaques les plus récentes relèvent d’ailleurs de ce terrorisme à bas coût, qui lance des camions, des fourgonnettes ou des voitures sur la foule, poignarde les passants et agresse policiers, gendarmes ou militaires.

Dans la comptabilité des terroristes, la colonne des recettes réserve, elle aussi, quelques surprises. Ainsi, de 1994 à 2013, une cellule sur quatre seulement, en Europe, a reçu des subsides d’une organisation terroriste internationale. Une proportion nettement plus élevée en France (50 %) qu’en Scandinavie (29 %) ou en Grande-Bretagne (15 %).  » Le dernier cas avéré, sur le sol français, d’aide sonnante et trébuchante du groupe Etat islamique est l’affaire d’Orléans « , précise un spécialiste de la question. Peu avant Noël 2015, deux jeunes hommes originaires de la ville étaient interpellés avant d’avoir pu attaquer une caserne ou un commissariat. Un ami parti combattre en Syrie leur avait envoyé plusieurs mandats totalisant 3 000 euros pour l’achat d’armes. Un mois plus tôt, Salah Abdeslam et ses comparses, dépêchés par le groupe Etat islamique (EI) pour semer la mort à Paris, ont, eux aussi, bénéficié de son appui matériel – de l’argent remis en espèces au départ de la Syrie, expédié via des services de transfert de fonds ou transmis en main propre. Ni vu ni connu.  » Si Daech a apporté un soutien financier (aux attentats de Paris et de Bruxelles), la plus grande partie du financement des cellules s’est déroulée de manière autonome, nuance cependant, du côté belge, le dernier rapport de la Cellule de traitement des informations financières. Une part importante des revenus disponibles sur [les] comptes en banque [des personnes impliquées] provenait de salaires, d’allocations de chômage ou autres allocations sociales […]. De plus, la « petite » délinquance a vraisemblablement servi de source de financement aux attentats.  » Un cash bien utile pour payer discrètement armes, explosifs et planques.

Chérif Kouachi achetait en Chine de fausses Nike qu’il revendait en France

Priorité, désormais, à l’autofinancement, car les revers essuyés par le groupe Etat islamique sur le terrain ont entamé ses ressources, sans toutefois les assécher (voir l’encadré plus bas).  » Les éléments affiliés sont de plus en plus incités à s’autonomiser sur le plan financier « , observe un rapport des Nations unies publié en août dernier. Ce qui ne les rend pas moins dangereux, selon le rapport norvégien :  » Les cellules entièrement autonomes sont plus susceptibles de passer à l’action que les autres, démontre-t-il. En partie, probablement, parce qu’elles sont plus difficiles à détecter en l’absence de lien financier avec des terroristes connus.  »

Certains apprentis djihadistes vivent de leurs métiers. Beaucoup, pour arrondir leur pelote, multiplient les combines.  » On est dans le bricolage de cité, dans les trafics liés à l’économie souterraine plus que dans le grand banditisme « , précise un expert de l’antiterrorisme. Au menu : arnaques aux crédits à la consommation, chèques en bois, voitures achetées en leasing et aussitôt revendues, comme les smartphones dernier cri obtenus en souscrivant un abonnement. Et même fausse quête auprès de la communauté chiite, honnie par les partisans de Daech.

Chérif Kouachi, le tueur de Charlie Hebdo, achetait en Chine de fausses baskets Nike qu’il revendait trois à cinq fois plus cher en France, sur un site de commerce en ligne ou en direct, selon le Centre d’analyse du terrorisme. L’association Unifab, qui défend la propriété intellectuelle des marques françaises, s’inquiète du recours accru à la contrefaçon pour financer le terrorisme.  » Les policiers trouvent souvent des produits contrefaits à l’occasion de leurs perquisitions, s’alarme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale d’Unifab. Et il ne se passe pas un trimestre sans que l’une de nos 200 entreprises adhérentes ne me signale avoir un dossier à l’antiterrorisme.  » Rien d’étonnant pour ce spécialiste français du renseignement douanier :  » Les groupes terroristes recrutent souvent parmi la population vivotant de petits trafics, dont la contrefaçon, qui présente le double avantage de bien payer sans coûter trop lourd pénalement…  »

11/2016 13 300 euros, cachés par un commando, sont trouvés dans une tombe du cimetière Montparnasse.
11/2016 13 300 euros, cachés par un commando, sont trouvés dans une tombe du cimetière Montparnasse.© H. RENARD/SIPA

Face à ces djihadistes convertis à l’autarcie et aux attentats low cost, comment lutter ?  » La guerre contre le financement du terrorisme a échoué « , juge Peter Neumann, le directeur du Centre international pour l’étude de la radicalisation du King’s College, à Londres. Dans une tribune publiée l’été dernier par la revue Foreign Affairs sous un titre provocateur, ( » Ne suivez pas l’argent « ), il montre les limites d’une politique axée sur un contrôle étroit des mouvements financiers internationaux.  » Ces outils ne peuvent pas empêcher un loup solitaire de précipiter sa voiture dans la foule « , écrit-il. Seule issue selon lui, un meilleur partage des informations entre les gouvernements et le secteur financier.

Bruno Dalles, le patron de Tracfin, la cellule antiblanchiment du gouvernement français, en est convaincu :  » Il est indispensable d’intégrer le renseignement financier dans la lutte contre le terrorisme « , martèle-t-il. Exemple à l’appui : un couple d’islamistes qui souhaitait clôturer ses comptes bancaires s’est enquis de savoir si l’argent, placé sur une assurance-vie, reviendrait bien aux enfants en cas de décès des parents à l’étranger. L’enquête a révélé que l’homme était un vétéran des filières tchétchènes, ces islamistes qui projetaient des attentats à Paris à l’orée des années 2000.  » Grâce à ce type d’informations, il est possible de détecter des signes de départ ou de retour précieux pour les services de renseignement « , souligne Bruno Dalles.

 » Attention toutefois à ne pas pousser trop loin l’incrimination de financement du terrorisme, prévient l’avocat parisien Martin Pradel, spécialiste de ces affaires. Des parents qui envoient un peu d’argent à leur enfant en Syrie le font pour l’aider, non pour soutenir sciemment la cause de l’EI.  » Lors de son procès, Abdelkader Merah invoquera sûrement la solidarité familiale pour justifier l’achat d’un blouson de moto à son terroriste de frangin…

Par Anne Vidalie.

Fuite de capitaux

L’alerte a été donnée le 7 septembre par Julian King, le commissaire européen à la Sécurité : « Pendant que nous enregistrons des succès contre Daech en Irak et en Syrie, ils transfèrent des fonds à l’extérieur », a-t-il déclaré, s’alarmant du « risque réel d’un nouvel afflux de financements pour le terrorisme ». Ces envois sont « souvent effectués en plusieurs fois, ce qui les rend plus difficiles à détecter, détaille un rapport des Nations unies publié en août dernier. Dans certains cas, le groupe Etat islamique recourt à des passeurs professionnels. » Daech a également déniché une nouvelle source de cash en imposant l’usage exclusif de sa monnaie, depuis quelques mois, pour toutes les transactions. « Les habitants ont dû changer les livres syriennes et les dollars qu’ils détenaient encore », précise Laurence Bindner, spécialiste de la cyberintelligence.

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