Al Gore était à Berlin pour promouvoir Une suite qui dérange. L'une des questions monétaires que le film ne pose pas ? Celle du propre intérêt financier de l'ex-vice-président américain. © PHILIPPE CORNET

Rencontre avec Al Gore, globe-trotter climatique

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

L’ex-candidat à la présidence américaine est au centre d’Une suite qui dérange, second chapitre documentaire consacré aux bouleversements climatiques, pile dans la tornade de l’actu. Rencontre avec Al Gore.

Un des moments les plus symboliques d’Une suite qui dérange : le temps de l’action (1) voit Al Gore patauger dans les rues de Miami, inondées d’eaux brunâtres que de dérisoires pompes n’évacuent pas. Sans être la plus spectaculaire du film, la scène incarne parfaitement l’impuissance à réguler les débordements climatiques planétaires. Refroidi – au premier comme au second degré -, l’Américain rentre alors au centre de conférences voisin où il s’apprête à prendre la parole au tarif usuel, 100 000 dollars la séance. Il remplace ses bottes en caoutchouc trempées par sa coutumière paire de santiags vintage du Tennessee. La caméra n’en perd pas un changement de chaussettes et donne le ton du documentaire : comme pour le précédent Une vérité qui dérange, sorti en 2006, l’ex-vice-président de Clinton en est le symbole et le démarcheur international.

Succès et business obligent, une sequel (2) semblait d’autant plus prévisible que le questionnement climatique n’a jamais été aussi fiévreux. Pas plus tard qu’en ce mois de septembre où les scènes de dévastation – des Caraïbes aux Etats-Unis -dévorent les news. Une suite qui dérange démarre d’ailleurs sur le même sentiment apocalyptique lorsque Al Gore survole le Groenland en été, sidéré par les blocs de glace géants qui s’effondrent sous ses yeux, incapables de résister à la température. Un chiffre : depuis 2000, l’épaisseur du glacier groenlandais a diminué de douze mètres.

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A hauteur d’homme

Le film alterne donc les exemples de désastres récents et le globe-trotting incessant d’Al Gore, VRP et VIP tentant de convaincre les leaders mondiaux d’investir dans les énergies renouvelables. S’installe une dialectique forte entre des discussions dans le cadre policé de la diplomatie et l’effroyable fureur de la nature planétaire. Symboliquement, l’ouragan Sandy noyant le Ground Zero new-yorkais en octobre 2012, indique que l’Amérique est au coeur du problème.

Mais lorsque Al Gore se rend aux Philippines pour discuter des conséquences du typhon Haiyan survenu en novembre 2013, les 10 000 morts de la ville de Tacloban illustrent l’incontestable planétarisation de l’enjeu. Des images d’amateurs montrent la mer hystérique détruisant tout sur son passage dans un carnage où seul résiste un immeuble en béton d’où la vidéo est tournée. Une suite… zoome sur Al Gore face à un jeune rescapé de Tacloban lorsque celui-ci éclate en sanglots, pas sûr d’être encore tout-à-fait vivant.

Menée par le fortuné canadien Jeff Skoll – premier patron d’eBay – la production du documentaire a compris que le public, lessivé par les images généralistes d’horreurs climatiques, devait s’attacher aux destins individuels. Ceux du Philippin traumatisé mais aussi de Al Gore, à découvert notamment dans son ranch des environs de Nashville lorsqu’il parle de sa famille face caméra. Pas un hasard non plus que le film soit coréalisé par Bonni Cohen et Jon Shenk, couple de cinéastes de San Francisco, remarqué pour Audrie & Daisy, documentaire choc racontant deux agressions sexuelles restées impunies. Depuis la Californie, Cohen et Shenk expliquent au téléphone leur démarche à hauteur d’homme :  » On est venu nous chercher, Davis Guggenheim, réalisateur d’Une vérité qui dérange, ne se voyant pas repartir dans une telle entreprise. On est allé voir Al Gore, qui nous a montré 500 de ses 40 000 dias […] et on a été bluffé par son énergie. Tout en gardant le final cut sur notre film, on sait que le succès du premier documentaire, au-delà du résultat au box office, est aussi d’avoir donné des outils d’information et de compréhension aux gens sur les questions du changement climatique. Donc, on a voulu creuser la personnalité d’Al Gore après sa défaite de 2000 à la présidentielle et puis, via l’accès que nous avions lors de l’Accord de Paris, présenter les solutions possibles, celles qui n’existaient pas forcément il y a une décennie. En tournant pendant près de deux ans avec Al, on a senti qu’il était plus vulnérable, laissait davantage parler sa passion et ses émotions.  »

Mazarin contemporain

Si le film est le portrait en creux d’une réalité, c’est bien celle de la fonction de négociateur. Ainsi, lorsque Al Gore se retrouve face au ministre d’Etat indien Piyush Goyal, lui demandant de signer l’Accord de Paris qui se prépare, et de renoncer à l’exploitation des mines de charbon polluantes. Son interlocuteur lui rétorque que les Etats-Unis ont eux-mêmes utilisé la noire énergie fossile pendant 150 ans sans aucune considération pour l’environnement, et qu’une autre voie énergétique devrait obligatoirement être financée par les Américains. Al Gore ne sourcille pas et, en Mazarin contemporain, met le turbo lorsque débutent les négociations parisiennes.

Pour éviter que l’Inde ne construise 400 centrales au charbon, il tente de convaincre la compagnie américaine SolarCity d’abandonner aux Indiens la propriété intellectuelle sur le brevet de ses panneaux solaires, tout en priant la Banque mondiale de consentir un prêt d’un milliard de dollars aux nouvelles technologies solaires. Difficile lorsqu’on le rencontre à Berlin, début août dernier, de ne pas replacer la question majeure – celle de l’argent – au centre de la discussion. L’ex-vice-président, 69 ans, s’entretient avec une tablée de journalistes allemands où l’on prend place : la ville n’a pas été choisie au hasard.

 » Dans le film, on voit comment un élu républicain du Texas, le maire de Georgetown, a décidé de passer à 100 % d’énergie renouvelable en installant des panneaux solaires, et ce surtout pour des raisons financières, se réjouit Al Gore. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, les emplois dans la branche solaire ont une croissance dix-sept fois supérieure à celle de l’économie globale.  » Une initiative que l’étiquette conservatrice n’a pas semblé freiner, même si le sommet de l’Etat américain ne suivra pas le mouvement : le 1er juin dernier, Donald Trump a annulé l’engagement américain dans l’Accord de Paris.  » Je l’ai rencontré à plusieurs reprises mais à certaines conditions, notamment que nos discussions restent privées, confie Al Gore. Cela dit, sa position absurde sur le climat ne fait que renforcer son isolement.  »

Al Gore aux Philippines après le passage du typhon Haiyan, en 2013.
Al Gore aux Philippines après le passage du typhon Haiyan, en 2013.© SDP

Capitalisme durable

 » Je pense que l’une des manières de réformer le capitalisme est de mettre un prix sur le carbone, afin que le marché prenne forcément en compte les dommages éventuels causés par ses émissions, enchaîne Al Gore. Un autre moyen serait que les gouvernements cessent de financer les énergies fossiles qui, aujourd’hui, bénéficient de quarante fois plus d’aides que celles accordées aux énergies renouvelables.  » L’une des questions monétaires que le film ne pose pas, est celle du propre intérêt financier d’Al Gore dont la fortune est estimée à 200 millions de dollars. Argent amassé en revendant ses parts dans Current TV à Al Jazeera en 2013 et, en février 2017, la moitié de ses actions Apple où il siège au conseil d’administration.

Moins claire est la rentabilité de ses investissements dans différents business environnementalistes :  » Dans mes affaires, je me concentre sur le capitalisme durable (sic) et j’essaie de prouver que ce type d’investissement produit un retour financier… Mes partenaires et moi prenons ces options, même si je passe plus de temps à m’occuper de climat que de business.  » Si le politicien ne croit pas à l’instauration d’une cour de justice internationale statuant sur les crimes environnementaux –  » regardez déjà ce que la Cour suprême des Etats-Unis m’a fait (3)  » rigole-t-il – il croit à la diffusion de la parole conscientisée. Le documentaire expose comment Gore et ses disciples forment à leur tour des volontaires pour diffuser le message :  » J’ai grandi dans un milieu protestant où j’ai souvent écouté des prédicateurs. Il se peut que, parfois, de manière involontaire, j’en reprenne les pratiques, sans oublier la passion ou l’empathie… « .

(1) Sortie en Belgique le 27 septembre.

(2) Le titre original du film est An Inconvenient Sequel : Truth To Power.

(3) En décembre 2000, la Cour suprême a interdit le processus de recomptage des votes en Floride pour les présidentielles, Al Gore ayant contesté le nombre de voix attribuées à George W. Bush. Cette décision judiciaire lui a fait perdre les 25 grands électeurs de Floride et, en conséquence, la présidentielle.

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