© BELGAIMAGE

« Le MR a donné un mauvais signal à Destexhe »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Ferraillant contre la corruption au sein du Conseil de l’Europe, le député néerlandais Pieter Omtzigt ne décolère pas contre Alain Destexhe et son asbl financée par des fonds venus d’Azerbaïdjan. Entretien cash.

Embourbé dans un conflit d’intérêts entre son asbl, indirectement financée par l’Azerbaïdjan, et son poste de rapporteur du Conseil de l’Europe sur la situation en Azerbaïdjan, Alain Destexhe a finalement démissionné : il quitte cette assemblée parlementaire (APCE) de 47 Etats qui défend les droits de l’homme et la démocratie. Et ce, sous la pression de son propre parti, le MR, qui, pour l’instant, a décidé de ne pas l’inquiéter davantage. Une mansuétude qui rappelle le cas d’autres membres du MR sous influence caucasienne… L’affaire Destexhe est-elle pour autant réglée ? Pas du tout, selon le député néerlandais chrétien-démocrate (CDA) Pieter Omtzigt, membre de la commission des droits de l’homme de l’APCE qui, dès le début de cette affaire, a vertement critiqué Destexhe et réclame toujours des explications.

Vous avez réagi très fermement aux révélations sur l’asbl European Academy for Elections Observations d’Alain Destexhe. Pourquoi ?

Début septembre, Alain Destexhe a enfin remis son rapport sur l’Azerbaïdjan. Lequel ne mentionne même pas la grande enquête menée au sein du Conseil de l’Europe sur des faits de corruption par l’Azerbaïdjan, qui valent des poursuites judiciaires à l’un de nos députés, l’Italien Luca Volontè, qui a reçu deux millions d’euros pour son association. Destexhe n’a rien indiqué à ce sujet. Le chien de garde européen de la démocratie et des droits de l’homme diligente une enquête pour corruption au sein de sa propre assemblée et Alain Destexhe ne juge pas utile de le mentionner dans son rapport…

Destexhe est devenu rapporteur pour l’Azerbaïdjan à sa demande

Un rapport positif pour Bakou ?

Oui, un rapport globalement positif, alors que ce pays n’est que 123e dans le classement anticorruption de Transparency et 161e pour la liberté de la presse. En tant que rapporteur, Alain Destexhe a dû déclarer n’avoir aucun conflit d’intérêts. Mais, lorsqu’il est apparu qu’il était toujours au conseil d’administration de son asbl utilisée pour rédiger des rapports favorables à l’Azerbaïdjan et, selon toute vraisemblance, indirectement financée par Bakou, j’ai tout de suite demandé des clarifications. Mais Destexhe n’y a pas donné suite. C’est une honte pour un politicien par ailleurs enclin à demander des explications aux autres.

Le rapport d’Alain Destexhe sur l’Azerbaïdjan a tout de même fait l’objet d’un projet de résolution voté par votre assemblée. Comment expliquez-vous ce vote ?

Le rapport d’Alain Destexhe ne mentionnant pas l’enquête sur la corruption à l’APCE, un amendement voté à une majorité d’une seule voix a permis d’évoquer in extremis cette enquête dans le projet de résolution. C’est ainsi que ce dernier a été adopté. Il fait donc bien référence à l’entreprise de blanchiment et de lobbying révélée par la presse. Mais la commission n’a pas pu modifier le mémorandum de Destexhe en lui-même. C’est pourquoi, huit membres de l’assemblée ont annoncé qu’ils publieraient des opinions dissidentes sur ce rapport.

Comment Alain Destexhe a-t-il été nommé rapporteur pour l’Azerbaïdjan ?

A sa demande ! Il a remplacé Pedro Agramunt, devenu président de l’assemblée. En tant que président de la commission des droits de l’homme, il s’est proposé – à ma grande surprise – de devenir rapporteur pour l’Azerbaïdjan. C’était début 2016.

L’image de l’assemblée du Conseil de l’Europe est fort écornée. Où en est l’enquête indépendante sur la corruption à l’APCE ?

Pieter Omtzigt, député néerlandais chrétien-démocrate CDA.
Pieter Omtzigt, député néerlandais chrétien-démocrate CDA. © Lex van Lieshout/Belgaimage

Pas très loin, car les experts indépendants (Ndlr : dont l’ancien juge français Jean-Louis Bruguière) n’ont pu commencer leurs travaux d’investigation que tardivement, en juin dernier, soit cinq mois après ma demande écrite. Mais plusieurs personnes, notamment au sein du Bureau du Conseil de l’Europe, ont tout fait pour bloquer cette enquête, en soulevant des questions procédurales.

Les réseaux azéris semblent très actifs au sein de votre assemblée. Comment mieux s’en protéger ?

Officiellement, personne ne se rend en Azerbaïdjan. Mais la rumeur dit le contraire… On sait aussi que d’anciens membres de l’APCE sont devenus des lobbyistes rémunérés, très actifs, pour Bakou. Nous devons d’urgence modifier nos règles internes vers davantage de transparence et de pénalités en cas d’infraction à ces règles.

Que vous inspire la démission d’Alain Destexhe ?

Démissionner ne doit pas l’empêcher de s’expliquer. Je lui ai adressé une lettre, le 13 septembre. J’attends toujours sa réponse. La décision de son parti de se contenter de cette démission me semble être un mauvais signal. Le MR doit bien se rendre compte qu’Alain Destexhe a agi – c’est ainsi qu’il est membre de l’APCE – en sa qualité de sénateur belge, ce qu’il est toujours. Le MR devrait examiner son attitude de manière plus approfondie, du moins si ce parti considère que les droits de l’homme et la démocratie sont une question sérieuse.

Une asbl pour quoi faire ?

L’objet social de l’association internationale sans but lucratif European Academy for Elections Observations, acté devant notaire en juillet 2010, est ambitieux : formation d’observateurs, études et séminaires, missions d’observation électorale… Les statuts de l’asbl semblent avoir été bien préparés. Les bilans comptables déposés au greffe du tribunal de commerce de Louvain sont, par contre, moins étoffés. De quoi vit cette association qui n’a jamais recruté le moindre employé ? Indirectement de fonds azéris via les activités de lobbying d’un politicien allemand, selon De Tijd. Les bilans comptables des années 2011 à 2016 ne révèlent la plupart du temps – il n’y a rien d’illégal à cela – que la marge brute, ce qui ne dit rien sur le détail des recettes et dépenses de l’asbl. Sauf, dans les comptes de 2013 qui, dans la colonne « vorig boekjaar » (exercice précédent), indiquent, pour 2012, un résultat d’exploitation de 190 000 euros et des dépenses en services et biens divers de 146 000 euros. Est-ce la seule rentrée financière de cette importance depuis 2010 ? De quels biens et services parle- t-on cette année-là, qui précède de quelques mois la réélection du président Aliyev ? A noter aussi que les comptes 2015 ont été déposés au greffe tardivement, le 2 juin… 2017, juste après les premières révélations de l’hebdomadaire Pan (le 12 mai) sur l’asbl d’Alain Destexhe. Tout comme le rectificatif soudainement publié auMoniteur belgele 8 juin 2017, annulant le renouvellement de mandat, deux ans plus tôt, de Destexhe. Très tardif aussi et fort opportun vu le poste de rapporteur sur l’Azerbaïdjan qu’il occupait alors depuis un an au Conseil de l’Europe.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire