Vincent De Wolf et Didier Reynders, sur la photo respectivement à g. et à dr. de Charles Michel : le tandem bruxellois du MR. © NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Le MR bruxellois, une fédération puissante mais en souffrance

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Pris, à cause d’Alain Destexhe et d’Armand De Decker, dans de peu reluisantes affaires, le MR bruxellois a raté l’occasion d’entrer dans la majorité bruxelloise. Parce qu’il le voulait bien.

L’espèce, reconnaissable à son plumage bleu, prospérait à Bruxelles depuis des décennies. Elle y a longtemps roucoulé dans le confort des beaux quartiers, d’où elle croissait et multipliait dans la félicité. Mais là, tandis que leur chef, de la variété des voyageurs, n’en a pas l’air contrarié, de nombreux spécimens de cette population portent par kilos du plomb dans leurs ailes. A Bruxelles, aujourd’hui, les réformateurs sont les pigeons de l’histoire. La régionale MR, pourtant, devrait compter dans le parti. Bruxelles est le berceau du libéralisme belge, et le patron de la fédération bruxelloise en a toujours été un des leaders les plus influents. Didier Reynders, vice-Premier ministre fédéral, président de la régionale bruxelloise du Mouvement réformateur et champion bruxellois des voix de préférence au scrutin législatif de 2014 (58 000 contre 40 000 à Laurette Onkelinx), ne fait pas, au contraire, exception à la règle. Mais ses troupes sont les flouées de l’été. La majorité n’a pas bougé dans la Région capitale, le MR y reste dans l’opposition et ses perspectives, alors que DéFI et Olivier Maingain se retrouvent dans une position centrale, ne sont franchement pas flambardes.

Dès le soir du 19 juin dernier, lorsque, quelques heures à peine après l’appel de Benoît Lutgen, le président Olivier Chastel convoquait un conseil extraordinaire du MR, les réformateurs bruxellois se montraient beaucoup plus discrets que leurs camarades wallons.  » On a très vite conclu qu’on devait y aller en Wallonie, et que ça n’était pas grave, au contraire même, si l’opération ne marchait pas en Région bruxelloise « , se rappelle un participant wallon, encore surpris d’y avoir entendu des Bruxellois accepter cette stratégie wallocentrée.  » Dès ce soir-là, on avait compris que Chastel et Michel ne ciblaient que la Wallonie. Et chez nous, personne, c’est vrai, n’a bronché « , confirme un Bruxellois qui, doux-amer, incrimine ses deux leaders capitolins, Didier Reynders, d’abord, et Vincent De Wolf, bourgmestre d’Etterbeek, secrétaire politique de la régionale bruxelloise, et chef de groupe au parlement bruxellois, ensuite.  » Reynders se tait, et De Wolf a peur « , résume-t-il.  » Tout l’été, Didier disait qu’il fallait attendre de voir comment les choses évoluaient, c’est-à-dire qu’il s’en fichait, et Vincent disait que le président s’occupait, c’est-à-dire qu’il n’allait bouger que s’il en avait l’autorisation expresse de Charles et Olivier.  »

Ceux-ci ne la donnèrent jamais, pas fous : une majorité MR – CDH – DéFI n’aurait tenu qu’à un siège. Ceux d’Armand De Decker (et de son épouse, Jacqueline Rousseaux), pris dans la tourmente kazakhe que l’on sait, et d’Alain Destexhe, pris dans la tourmente azérie que l’on découvre, auraient été indispensables pour assurer le quorum. On a connu des coalitions moins étriquées, et de plus éthiques soutiens cruciaux. Pas dérangés par leurs placides columbidés bruxellois, Olivier Chastel et Charles Michel ont eu d’autant moins de peine à se convaincre de la pertinence de leur choix que personne ne l’a remis en question.

Pourquoi personne à Bruxelles n’a bronché

Didier Reynders ne l’a pas fait, tout d’abord pour des raisons qui tiennent tant à sa personnalité qu’à ses intérêts bien pensés. Pas que le niveau régional lui paraisse trop bas : Didier Reynders est candidat à tout, partout et toujours. Depuis 2006, il a voulu devenir a) bourgmestre de Liège, b) Premier ministre, c) commissaire européen, d) bourgmestre d’Uccle, et même e) chef de groupe au conseil communal d’Uccle, et a désiré rester président du MR. Souvent en vain. Travailler à un renversement de majorité, c’était pousser quelqu’un d’autre que lui, fût-il de son propre parti, à la ministre-présidence bruxelloise. Et pousser quelqu’un d’autre que lui, fût-il de son propre parti, à la ministre-présidence bruxelloise, c’était s’assurer qu’après 2019, quelqu’un d’autre que lui, fût-il de son propre parti, reste à la ministre- présidence bruxelloise. Inadmissible pour lui, qui a déjà dû a) quitter Liège, b) voir Yves Leterme, Herman Van Rompuy, Elio Di Rupo et même Charles Michel, emménager au 16, c) laisser partir Marianne Thyssen au Berlaymont, d) concéder la succession d’Armand De Decker à Boris Dilliès, e) accepter le poste de chef de groupe MR au conseil communal d’Uccle, et avaler la conquête de la Toison d’Or par Charles Michel et les siens.  » Il n’a jamais dirigé un exécutif, à quelque niveau que ce soit, et la Région bruxelloise après 2019 sera à peu près sa dernière chance de le faire… « , avoue un de ses camarades de parti.

En outre, les principaux soutiens de l’Ucclois, dans un parti toujours très marqué par la fracture entre micheliens et reyndersiens, sont tous wallons. Et tous sont aujourd’hui ministres, comme Daniel Bacquelaine, bien sûr, mais aussi désormais Jean-Luc Crucke et Pierre-Yves Jeholet. Rien donc, définitivement, ne devait pousser Didier Reynders à se mêler de ce qu’il regardait de loin.

Mais si personne d’autre, à Bruxelles, n’a pas remis en cause l’orientation de la tête du parti, c’est pour des raisons qui dépassent largement les intéressés. Elles tiennent à un problème de ressources humaines que matérialise un déficit d’ambitions personnelles. L’arrivée de Didier Reynders en 2012 n’a pas redistribué les cartes. Il est présent sur un certain terrain bruxellois, mais se désintéresse de l’organisation interne, donc du recrutement et de la formation.  » Dilliès, comme vice-président fédéral, est venu avec quelques idées. On lui a bien fait comprendre que ça ne servait à rien de venir emmerder le monde « , soupire un vieux de la vieille.

Et c’est ainsi que, depuis le décès de Jacques Simonet, le libéralisme bruxellois n’a plus guère produit de carrure ministérielle. Aujourd’hui, en gros, chaque réformateur bruxellois se trouve bien à sa place. Et si il ou elle ne s’y trouvait pas si bien, la réalité viendrait l’y remettre, rappelant combien il ou elle est, dans des conditions parfois cumulatives, soit trop compromis (comme Alain Courtois ou Alain Destexhe), soit trop âgé (comme Philippe Pivin), soit trop jeune (comme David Weytsman), soit trop municipaliste (comme Françoise Schepmans ou Gaëtan Van Goidsenhoven), soit de la mauvaise commune (comme Françoise Bertieaux, d’Etterbeek, comme Vincent De Wolf), soit même pas bruxellois (comme Sophie Wilmès ou Damien Thiéry, de la périphérie donc encoignés au fédéral).

Il ne reste donc, à Bruxelles aujourd’hui, que le timide Vincent De Wolf à avoir la modeste ambition et la discrète envergure d’un ministre bruxellois. Pas grand-chose, quoi. Et encore pourrait-il, après 2019, se faire souffler son siège par Didier Reynders. A 59 ans, ce vieux bleu est-il devenu le roi des pigeons ?

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