Donald Trump et Emmanuel Macron ont montré la voie : un patron et un banquier peuvent prendre le pouvoir. © Thomas Padilla/Belgaimage

À mort les politiques, vive les managers ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les dirigeants de demain seront des managers. Mot d’ordre : la gestion publique doit s’inspirer du monde de l’entreprise. Et du fonctionnement horizontal de la nouvelle économie. En marche ?

Et si l’avenir de la politique passait par une approche managériale des enjeux ? Par une dynamique de projets et par le développement pragmatique – non plus idéologique… – des réponses à apporter aux nombreuses crises de notre temps ? Autrement dit : les chefs d’entreprise et les banquiers se préparent-ils à prendre les commandes, partout ? L’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis et d’Emmanuel Macron en France donne des ailes à ceux qui dénoncent les errements de notre démocratie. Selon eux, la lenteur du processus de décision, la complexité du système et la professionnalisation excessive de la politique empêchent de prendre les problèmes à bras-le-corps.

En Belgique aussi, les alternatives en gestation sont de cet acabit. Deux nouveaux partis, Oxygène et En-Marche.be, ont été lancés par des chefs d’entreprise ou par des responsables de start-up. Un groupe de réflexion comme E-Change, qui réunit Jean-Michel Javaux (Ecolo), Alda Greoli (CDH), Didier Gosuin (DéFI) aux côtés de patrons comme Bruno Venanzi ou Baudouin Meunier, entend dépasser les clivages traditionnels et inscrire l’action politique dans un long terme détaché des échéances électorales. La fin de régime à laquelle nous assistons est-elle l’aube de ce monde 4.0 ?  » Dans les enquêtes que nous menons, il y a souvent un soutien assez fort à l’idée que la démocratie actuelle pourrait être remplacée par un CEO qui gouvernerait l’Etat comme une entreprise, soutient Vincent Jacquet, politologue de l’UCL. Ce discours selon lequel on pourrait remplacer les politiques par des professionnels de la gestion pourrait recevoir un soutien électoral important.  »

« Revitaliser ce pays »

Jean-Yves Huwart (En-Marche.be) :
Jean-Yves Huwart (En-Marche.be) : « Les réseaux sociaux sont au centre de ce nouveau monde en devenir. »© SDP

Ce n’est pas un hasard si le coup d’envoi de cette réflexion a été donné il y a plus d’un an par trois patrons, auteurs d’une carte blanche qui n’a cessé depuis de faire des vagues. Johnny Thijs, Bernard Delvaux et Baudouin Meunier partageaient une expérience de gestion au sein d’entreprises publiques devenues  » autonomes « , Proximus et bpost. Avec succès : ces deux paquebots menacés ont redressé la tête. L’appel de ces patrons survenait, en mai 2016, au moment où le système institutionnel belge semblait à nouveau grippé, miné par les combats de coq et les majorités asymétriques, après les élections de 2014. Notre pays avait acquis à l’étranger la triste réputation d’un failed state, en raison de l’effondrement des tunnels bruxellois ou des dérives molenbeekoises, à la source des attentats de Paris. Mot d’ordre de Thijs, Delvaux et Meunier ? Il faut  » revitaliser ce pays qui donne l’impression de ne plus fonctionner « . Mettre politiques et société civile autour de la table pour dépasser les blocages. Leur leitmotiv :  » Le monde de l’entreprise doit inspirer la politique.  »

Aujourd’hui, leur appel est devenu une source d’inspiration. Et leur constat a été renforcé par les affaires et les petits jeux politiciens.  » Nos responsables politiques doivent avoir le courage de se projeter au-delà des réformettes qui font parler d’eux dans les médias, insiste Baudouin Meunier, aujourd’hui consultant en management et professeur à l’UNamur. Cela demande aussi qu’ils abandonnent leur sport favori que sont les petites phrases assassines et les bagarres entre niveaux de pouvoir et entre partis. Bien sûr, après avoir fait cela tout l’été, Olivier Maingain en a récolté les fruits dans le dernier sondage… Mais c’est destructeur pour la classe politique dans son ensemble. L’un ou l’autre gagne peut-être une part de marché, mais dans un marché qui, globalement, s’effondre. Le mouvement démocratique cède du terrain face aux gens qui se détournent de la démocratie. On risque de retrouver des sentiments qui vivaient dans l’Allemagne des années 1930.  »

N’est-ce pas là une menace exagérée ?  » J’utilise à dessein ces mots forts. A l’époque, certains étaient arrivés au constat que la démocratie traditionnelle ne fonctionnait pas bien et que les nazis proposaient une réponse efficace – même s’ils n’étaient pas d’accord avec leur programme raciste. Après l’appel que nous avions lancé, dans lequel nous prônions précisément une plus grande efficacité démocratique, un politologue a publié une réponse épouvantable, en affirmant que l’on devait choisir entre démocratie et efficacité. Mais précisément : dans les années 1930, les électeurs ont fini par choisir ! Il est grand temps que les politiques se resaisissent et mettent de côté leurs querelles d’ego. Il faut aussi que la société civile – et les médias en font partie – soutienne une telle vision positive et cesse de relancer en permanence les querelles politiciennes.  »

Il faut changer de logiciel ?  » Changer de logiciel : cette expression me plaît. E-Change est né de la conviction qu’il faut réconcilier le monde politique avec les citoyens. L’idée principale, c’est de voir comment on peut tenter de dépasser les blocages et les agendas contradictoires pour bâtir une vision à long terme, sur la base d’un dialogue entre le monde politique et la société civile. Pour retrouver de l’ambition, bâtir des projets d’envergure. Voilà l’idée principale. Si certains membres d’E-Change se posent la question d’une éventuelle transformation en parti, si les partis actuels ne répondaient pas à cette interpellation, c’est leur responsabilité. Notre démarche, elle, se définit au fur et à mesure. « 

Une campagne électorale pour le parti nazi à Berlin. Faut-il craindre un retour des années 1930 si la démocratie ne redevient pas plus efficace ?
Une campagne électorale pour le parti nazi à Berlin. Faut-il craindre un retour des années 1930 si la démocratie ne redevient pas plus efficace ?© BELGAIMAGE

« Remettre en mouvement »

Jean-Yves Huwart, lui, a décidé, en mai dernier, de se lancer dans le grand bain de la politique. Cet ancien journaliste à l’hebdomadaire économique Trends Tendances est aujourd’hui CEO d’une entreprise de coworking et fondateur d’écosystèmes. Baigné dans l’économie numérique, donc. Fasciné par l’expérience Macron en France, il a créé le pendant belge En-Marche.be avec un noyau dur d’une quarantaine de personnes issues du milieu des start-up, du monde commercial ou actives dans le domaine scolaire. Une réaction, aussi, à un constat implacable : en dépit des promesses et d’un discours politique lénifiant, la Wallonie ne se redresse toujours pas sur le plan socio-économique.

 » Les retraits annoncés de Laurette Onkelinx et de Joëlle Milquet, après tant d’autres, sont de nouvelles preuves que le système se craquelle de l’intérieur, souligne Jean-Yves Huwart. Le paysage politique actuel est bloqué, il n’y a pas de débat de fond ni de volonté de dépasser ce clivage complètement dépassé entre la gauche et la droite. Nous voulons remettre l’économie en mouvement, bâtir une société d’opportunités. Les citoyens doivent être au coeur de la vie politique, et non son décor.  » Ce quadragénaire partage le constat de Baudouin Meunier selon lequel il faut changer de logiciel, mais il estime nécessaire d’agir plus vite :  » Nous ne voulons pas jouer un rôle dans la société de 2020 ou de 2030. L’urgence, elle est là, maintenant !  »

La description des premiers pas d’En-Marche.be par ses géniteurs contient beaucoup de termes en anglais et d’abréviations techniques. Le reflet d’une méthodologie directement issue de la nouvelle économie.  » Nous avons rédigé un road map assez précis, explique Jean-Yves Huwart. Cet été, nous avons préparé la V2 (version 2) de notre site Internet après avoir adopté une charte des valeurs. Nous élargissons pour le moment la base des sympathisants.  » Qui seraient déjà au nombre de 200. Ce mouvement serait le reflet d’un monde en chantier, le visage d’une génération désireuse de libérer les créativités, pour engendrer de nouveaux possibles.  » Qu’on le veuille ou non, les réseaux sociaux sont au centre de ce nouveau monde en devenir, souligne le fondateur d’En-Marche.be. Ce n’est qu’une facette d’une évolution plus large, avec une horizontalisation de l’économie et de la société. Ce ne sont plus les institutions qui dominent, mais le leadership et la participation citoyenne. Désormais, les idées n’inspirent la confiance que si elles s’inscrivent dans une vision d’ensemble.  »

Cela étant, Jean-Yves Huwart souligne à quel point il est difficile de lancer un nouveau parti politique en Belgique.  » Le système particratique a mis en place de nombreux outils pour se protéger, constate-t-il. Ne fût-ce que la difficulté à trouver un financement si on n’a pas d’élus. Tout est à ce point cadenassé que la fin de régime à laquelle on assiste risque de durer un certain temps.  » Notre pays ne serait pas une terre d’innovations, pour le meilleur ou pour le pire, comme les Etats-Unis.

« Les lois du marché… »

Baudouin Meunier (E-Change) :
Baudouin Meunier (E-Change) : « Il est grand temps que les politiques mettent de côté leurs querelles d’ego. »© SDP

Tout le monde ne juge pas forcément souhaitable cette évolution managériale de la politique. A commencer par les jeunes pousses du milieu.  » Le sens de la gestion publique n’est pas inné, argumente Emmanuel De Bock (DéFI). Non, on ne gère pas une commune, une Région ou le pays comme on gère une entreprise. Il faut être à l’écoute de la population, passer énormément de temps sur le terrain, veiller à l’intérêt général, défendre les plus démunis… Moi, je ne suis absolument pas favorable à un gouvernement d’experts !  »

Pour lui comme pour d’autres, il faut, au contraire, retrouver ce qui fonde la politique, imposer son pouvoir de régulation au monde économique, tant en Belgique qu’en Europe. Car la  » démocratie fracassée  » dénoncée par les  » sortantes  » Laurette Onkelinx et Joëlle Milquet est avant tout la conséquence de la globalisation économique. D’ailleurs, n’est-on pas déjà à une ère où la politique, forcée et contrainte, s’inspire du monde de l’entreprise ? Le gouvernement de Charles Michel est souvent critiqué par l’opposition francophone parce qu’il serait le porte-parole du patronat – et la Voka flamande a effectivement joué un rôle majeur dans le mariage 2014, entre le MR et la N-VA.  » N’est-ce pas cela qui accroît aussi le fossé entre la politique et le citoyen ? « , dénoncent les syndicats.

Un cri du coeur qui cache une inquiétude fondamentale. Qui traverse tous les pays d’Europe. Lorsqu’il était président de la République française, Nicolas Sarkozy inspirait lui aussi aux milieux économiques des commentaires du type :  » C’est notre patron à tous.  » Ce qui faisait réagir en ces termes le psychosociologue Jean-Claude Liaudet :  » Si le président de la République est confondu avec le patron, alors l’institution publique voit son autorité minée par les « lois » du marché. (…) Quand l’individu et l’Etat deviennent entrepreneurs, le management devient universel. Il devient l’univers que la culture néolibérale nous donne à vivre, il tient lieu de catégorie politique.  » La politique 4.0 serait-elle l’accomplissement ultime d’un capitalisme débridé ?

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