Rudi Vervoort : "Ne nous voilons pas la face : c'est toute notre capacité à mener des projets de cette envergure-là qui est ici remise en cause !" © BART DEWAELE/ID PHOTO AGENCY

Rudi Vervoort : « il n’y a plus d’ambition belge ! »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le ministre-président bruxellois déplore l’enlisement du projet de stade national. Il dénonce le silence du Premier ministre, le blocage de la N-VA et le manque de soutien de l’Union belge de football. Derrière cela, un constat : nous sommes incapables, désormais, de concrétiser de tels projets.

Le ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort (PS), avait porté la décision de bâtir un stade national pour les Diables Rouges sur le parking C appartenant à la Ville de Bruxelles, mais situé sur le territoire de la commune flamande de Grimbergen. Ce fut même l’une des premières mesures prises par son gouvernement, fin mai 2013. Objectif ? Concrétiser le chantier à temps pour permettre à la Belgique d’accueillir des matchs de l’Euro 2020, oganisé dans treize villes européennes. Un fameux pari, au vu de la complexité institutionnelle de la Belgique.

Plus de quatre ans plus tard, Rudi Vervoort (PS) déchante et exprime aujourd’hui au Vif/L’Express tout son agacement. D’une procédure à l’autre, d’un niveau de pouvoir à l’autre, le projet prend l’eau et les travaux risquent bien de ne pas être lancés dans les temps. Un constat impitoyable à l’heure où, ce jeudi 14 septembre, une délégation de l’UEFA (Union des associations européennes de football) visite les autorités bruxelloises afin de faire le point sur la situation.

Y a-t-il encore une chance que le stade national voie le jour et soit prêt dans les temps ?

Il faut évaluer cette situation en deux temps. D’une part, je ne pense pas que Ghelamco, l’entreprise en charge, renoncera au projet lui-même. Au vu de la hauteur des efforts et des investissements déjà consentis, cela me semble improbable. D’autre part, il y a le calendrier fixé par l’UEFA pour l’Euro 2020. Nous savons que l’organisation attendra jusqu’à la fin novembre, ce qui correspond à peu de choses près au calendrier pour la délivrance du permis par la Région flamande. La nouvelle demande formulée en août par Ghelamco rencontre les griefs en matière de taille formulés par le Sporting d’Anderlecht, puisque le stade sera modulable, et de mobilité. Nous sommes désormais dans un schéma où la décision est exclusivement politique.

Avec quelles chances de succès ?

Tout dépendra de la capacité du gouvernement flamand de Geert Bourgeois (N-VA) à atterrir dans un dossier que des intérêts flamands très importants viennent contrarier. J’en veux pour preuve le fait que l’Union belge de football ne soutient plus du tout le projet, au contraire de la Ligue Pro. Cela est dû à un conflit d’intérêts criant, puisque le nouvel homme fort de l’Union belge, Bart Verhaeghe, fait passer avant tout les intérêts de son club, le FC Bruges, et qu’il est, en outre, l’entrepreneur derrière le projet de centre commercial UPlace à Machelen, concurrent du projet Neo de la Ville de Bruxelles. L’accord de base, en 2013, était soutenu par les partis flamands, dont le CD&V et l’Open VLD. Depuis, la N-VA a tout fait pour mettre des bâtons dans les roues avec l’idée de faire échouer ce projet. Pourtant, Ghelamco n’est pas la dernière entreprise flamande, je pensais que cela aiderait… Eux aussi tentent de faire pression sur la N-VA et, singulièrement, sur le bourgmestre d’Anvers. En vain, apparemment. Je rappelle aussi qu’il n’y avait pas d’alternative au projet sur le parking C tel que nous le défendons en matière de planification et de calendrier. Certains parlent encore de la rénovation de l’actuel stade Roi Baudouin, mais il est bon pour la démolition et il n’y avait pas d’investisseurs privés prêts à prendre sa rénovation en charge. Sans compter que les nuisances à cet endroit auraient été bien plus importantes avec des matchs tous les dix jours environ si Anderlecht occupait les lieux.

Il s’agit d’un projet à hautes valeurs symbolique et identitaire. Est-ce une raison de cet échec annoncé ?

Evidemment, puisqu’il s’agit d’un stade national. La Région bruxelloise s’est trouvée par défaut aux manettes dans ce dossier parce qu’on a compris depuis longtemps que les Communautés ne dégageraient pas les moyens pour le construire. Nous avons pris nos responsabilités. Mais dans n’importe quel autre pays, c’est le gouvernement fédéral qui aurait naturellement dû porter ce projet, ce fut d’ailleurs le cas pour le stade Roi Baudouin en vue de l’organisation de l’Euro 2000. Or, le fédéral est atone, et le Premier ministre, Charles Michel (MR), muet sur la question. C’est bien qu’il n’a pas la capacité de le faire, et révélateur du rapport de forces qui prévaut au sein d’un gouvernement fédéral dominé par la N-VA. Le résultat de tout cela pourrait être une situation surréaliste où la Belgique et Bruxelles, capitale de l’Europe, ne seraient pas en mesure d’avoir un stade opérationnel pour l’Euro et pour l’équipe nationale, à l’heure où les Diables Rouges cassent la baraque. C’est assez effrayant.

Mehdi Bayat, du Sporting de Charleroi, l’autre homme fort de l’Union belge, avance déjà l’option de Lille en guise de plan B pour l’Euro 2020…

C’est bien la preuve que, contrairement à ce qu’elle prétend, l’Union belge ne soutient pas le projet. La Ligue Pro, elle, a compris tout l’intérêt de disposer d’un tel stade. Nous sommes dans une situation qui confine au ridicule : quelle perte représenterait l’absence d’un stade pour les Diables et pour l’Union belge ! Certains critiquent encore le fait que le projet retenu ne dispose pas d’une piste d’athlétisme. Mais les mêmes se plaignent du fait qu’il n’y a pas d’ambiance lors des matchs des Diables ! Je me suis fait la réflexion lors de la victoire contre Gibraltar à Sclessin, où il n’y a pas de piste d’athlétisme, que nous étions enfin dans un stade où il y avait de l’ambiance.

La difficulté de construire le stade illustre-t-elle la difficulté de concrétiser, à l’avenir, d’autres projets ayant une ambition belge ?

Oui, il faut oser le dire. Ne nous voilons pas la face : c’est toute notre capacité à mener des projets de cette envergure qui est ici remise en cause. Nous, Bruxellois, nous étions dits que le fait de s’appuyer sur de grandes entreprises flamandes allait nous aider. Mais même ça, cela ne parle pas à la N-VA ! Alors que le monde économique dans son ensemble soutient plutôt l’idée…

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