Mont-sur-Marchienne, 4 septembre 1944. Des femmes soupçonnées d'avoir eu des relations avec l'ennemi sont arrêtées. Certaines seront tondues. © COLLECTION CEGES - BRUXELLES - 28294

Ouvrir les dossiers collabos, bonne ou mauvaise idée ?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

« Dis, papy, il était nazi ? » Peut-être bien que non, peut-être bien que oui. Un guide de voyage historique invite les descendants à explorer sans s’égarer le passé de collabo d’un aïeul. En ramenant à la lumière les archives sensibles de la répression.

Un vague soupçon. Une rumeur tenace. Des indices troublants. Qui appellent confirmation ou démenti. Qu’a-t-il commis au juste sous la botte des nazis ? Qu’a-t-elle réellement subi sous le glaive de la justice belge réparatrice ? Sous l’Occupation, on a sympathisé, tendu fièrement le bras, trafiqué, dénoncé, chassé le Juif, liquidé le résistant. A la Libération, on a rossé, tondu, pillé, plus rarement lynché. On a surtout emprisonné, jugé, condamné, épuré, parfois exécuté.

Ce lourd passé de guerre a accouché de montagnes d’archives. 405 493 dossiers ouverts pour collaboration avec l’occupant allemand entre 1940 et 1945, entre 50 000 et 70 000 emprisonnements, 53 005 condamnés, 242 exécutions. La machine à réprimer a laissé d’innombrables traces écrites, généralement conservées à l’abri des regards indiscrets. Depuis toujours, la haute magistrature y veille jalousement. Ce n’est qu’au compte-gouttes et moyennant de très bonnes raisons, que le collège des procureurs généraux autorise une veuve, des enfants ou l’un ou l’autre ayant-droit à accéder à ces dossiers judiciaires emplis de drames familiaux.

Les archives de la répression sont peu habituées à la lumière. Ignacio de la Serna, procureur général de Mons, nous éclaire sur ce droit de regard scrupuleusement appliqué :  » Les demandes de consultation qui poursuivent un but scientifique reçoivent toujours une réponse positive. Lorsque la démarche est le fait d’un particulier, dans un cadre familial, nous demandons à connaître les motivations et nous décidons au cas par cas. Sans avoir à justifier un éventuel refus.  »

Matière délicate

Ignacio de la Serna, procureur général de Mons.
Ignacio de la Serna, procureur général de Mons.© N. MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Ouvrir l’oeil et le bon, par principe de précaution :  » Les gens n’ont pas toujours des intentions louables, rappelle le haut magistrat. Vouloir consulter un dossier de collaborateur peut avoir pour but de salir un voisin, d’alimenter ou de ranimer une vieille querelle de famille. Cette matière est sensible, requiert de la prudence et peut justifier une certaine méfiance. Il est encore possible de causer beaucoup de tort en usant de tels dossiers : remuer un passé qui laisse encore des traces dans un village, par exemple. C’est par souci d’apaisement que le collège des procureurs généraux agit comme il le fait. Mais il ne faut pas s’imaginer qu’il est une machine à tout occulter.  »

Tant de mystère maintenu sur un passé de guerre aux mille visages résiste de moins en moins à l’épreuve du temps. Aux premières loges, les historiens voient depuis dix ans enfler dans les familles un besoin de savoir, à mesure que disparaissent les acteurs. L’envie se manifeste davantage en Flandre qu’en Wallonie.  » Le décès des (grands-) parents est souvent l’événement déclencheur « , observent-ils. Une confession sur un lit de mort, des documents ou des objets compromettants découverts dans un grenier à liquider, peuvent pousser des descendants à vouloir exhumer un passé familial obstinément occulté. A briser le tabou.

Délicate plongée en eaux troubles, à travers de nombreux écueils. A quelles portes frapper ? Comment piocher judicieusement dans une masse de sources répertoriées dans une sécheresse toute administrative, peu familière au commun des mortels ? C’est là qu’un collectif d’historiens et d’archivistes néerlandophones et francophones, qui font autorité en la matière, a voulu faire oeuvre utile. Il livre un  » guide de voyage historique  » dans le monde impénétrable de la collaboration, une  » boussole  » pour éviter à ceux qui s’en équiperont de s’égarer dans le labyrinthe des fonds d’archives (1). Avec, au besoin, des itinéraires alternatifs et des pistes parallèles qui mériteront d’être empruntées pour contourner certains obstacles. Avec des clés pour s’affranchir des verrous réglementaires parfois difficiles à faire sauter.

Briser le tabou

Ainsi pourra se reconstituer le parcours de celui qui fut d’abord suspect, éventuellement détenu provisoirement, puis peut-être déchu de ses droits, à moins d’avoir été victime d’une épuration administrative, ou d’avoir été condamné, ensuite emprisonné, pour finir par être réhabilité. Pas de faux espoirs : la recherche du  » papy nazi  » restera difficile et la progression canalisée, toujours soumise aux autorisations et donc au bon vouloir des autorités judiciaires mais aussi communales (ici le secrétaire communal, là le collège des bourgmestre et échevins).

Curieux malsains s’abstenir. Ceux-là qui seraient tentés de se servir de ce catalogue  » des bonnes adresses  » pour traquer des noms à offrir en pâture, remuer inutilement des couteaux dans la plaie, régler de vieux comptes ou salir insidieusement des réputations. Cela s’est déjà vu. Au printemps 2015 est exhumée la privation de droits civiques infligée à la Libération au grand-père de la socialiste Laurette Onkelinx, échevin VNV sous l’Occupation allemande. Effet boomerang : la cheffe de groupe PS à la Chambre venait de dénoncer avec virulence les fréquentations d’ex-collabos par des ténors N-VA…

Gare au grand déballage ?  » Le risque est contrôlé. Notre démarche se veut citoyenne « , appuie l’historien Pieter Lagrou (ULB), l’un des rédacteurs de l’ouvrage.  » Un savoir apaisé est un savoir basé sur la connaissance. Découvrir une vérité que l’on ignore peut être bouleversant. Mais fermer les archives ne fait que maintenir la suspicion, alors que les ouvrir peut avoir une vertu thérapeutique.  »

Ignacio de la Serna peut entendre ce message et l’impatience qu’il trahit :  » On peut effectivement parfois se demander, au bout de tant d’années qui séparent les faits de la demande de les connaître, si le temps n’est pas venu de basculer du domaine judiciaire au domaine historique. La vérité historique a ses droits. La discussion est ouverte. J’entends bien la demande de Karel Velle, archiviste général du Royaume : je salue d’ailleurs le transfert physique des archives judiciaires aux Archives générales du Royaume (AGR), qui vient d’être réalisé pour des questions de bonne conservation. Je ne suis pas dupe non plus de la prochaine étape, qui sera d’obtenir de la part des AGR la compétence que nous conservons sur l’accès à ces dossiers. Une modification légale sera nécessaire pour cela.  »

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