Totem. © CIRQUE DU SOLEIL

Cercle de vie

Du développement du vivant en milieu aquatique à la conquête de l’espace en passant par l’homme de Cro-Magnon, Totem, le nouveau spectacle du Cirque du Soleil, est un hymne à l’évolution. Pour l’occasion, la compagnie canadienne est allée puiser dans les cultures natives. Visite en coulisses.

Totem :  » Animal considéré comme l’ancêtre et le protecteur d’un clan « . Cette définition correspond exactement au fil rouge qui traverse le nouveau spectacle très hétéroclite du Cirque du Soleil, actuellement présenté à Bruxelles, sous le grand chapiteau (le Big Top) installé sur le site du Heysel. Car il colle à la fois à son thème récurrent (l’évolution selon Darwin) et à l’accent amérindien voulu par le metteur en scène Robert Lepage (lire l’encadré page 73) et l’équipe de création. Un accent presque naturel, puisque faisant partie du biotope de la troupe basée à Montréal (en 2011, on recensait 4,4 % de population autochtone au Canada), mais qui sonne ici de manière particulièrement exotique.

Parmi les 46 artistes de l’équipe du spectacle, originaires de 17 pays différents, on compte ainsi trois représentants des Premières Nations. Indien Huron-Wendat, Christian Laveau intervient par exemple à plusieurs reprises dans Totem comme chanteur et joueur de tambour, soit caché avec le band derrière la barrière de roseaux, soit sur scène pour accompagner directement les acrobates. Notamment pour les numéros de hoop dancing, qui a la particularité de ne pas être une discipline de cirque, mais une danse traditionnelle amérindienne se pratiquant avec des cerceaux. Sans jamais les ramasser avec les mains, Shandien LaRance (Hopi) et Eric Hernandez (Lumbee) les font passer autour de leur corps à une vitesse impressionnante, les entremêlent et les déploient de façon à évoquer différents animaux – papillon, lézard… – et l’évolution d’un aigle, de la naissance à l’âge adulte.  » Pour transposer sur notre grande scène ces danses qui sont présentées en pow-wow, il a fallu quelques adaptations, explique Neela Vadivel, directrice artistique du spectacle. Les déplacements y sont plus amples, il y a plus de dynamique. Mais tous les tableaux du spectacle ont été approuvés par un conseil d’anciens, par l’intermédiaire de Christian Laveau, que Robert Lepage a souvent consulté.  »

Piste magique

Un souci d’authenticité confirmé par Massimo Medini, que l’on croise dans la  » tente artistique « , celle qui sert de loges, de lieu d’entraînement et d’échauffement. Transformé en Amérindien dans une tenue blanche comme neige, cet Italien de 40 ans, enfant de la balle – il est de la troisième génération d’une famille de cirque – exécute avec sa femme Denise Garcia un numéro sensuel et vraiment époustouflant de roller skate.  » Avant d’arriver au Cirque du Soleil pour la création de Totem en 2009, Denise et moi avions un autre style de travail. On portait un costume plutôt baroque, on n’utilisait pas une plume mais une rose… Pour nous familiariser avec cet univers, Robert Lepage nous a emmenés dans une réserve près de Québec City. On y a rencontré la famille de Christian Laveau, qui nous a adoptés. On est un peu tombés amoureux des Indiens. Nous avons même été rebaptisés. Mon nom native est Yanionnyen, « ours ». Ma femme, c’est Yatsihsta, « feu ». Je me sens indien, je suis indien !  »

Avec plus de 2 500 représentations au compteur sur d’autres scènes, le patineur n’a rien perdu de son enthousiasme :  » J’ai toujours fait ce métier et je me suis produit dans de nombreux cirques en Europe – Gruss, Knie, Roncalli… Mais cette piste-ci est magique. Chaque fois que je dois entrer en scène, j’ai la chair de poule, je suis nerveux, j’ai la bouche sèche « , avoue-t-il avant de courir dans le grand chapiteau. Il doit vérifier l’uniformité de la surface du tambour de 1 mètre 70 de diamètre qui sert de podium à sa performance.  » Au Cirque du Soleil, on aime les prouesses éblouissantes mais on ne plaisante pas avec la sécurité !  » Dans le coin réservé aux costumes, Deborah Linden, responsable de ce département, dévoile comment chaque perle, chaque strass des tenues amérindiennes sont vérifiés avant toutes les représentations. Juste à côté sont suspendus les costumes réagissant aux blacklight, décorés de motifs d’inspiration maya, que portent les astronautes – l’homme dans l’espace, ultime étape de l’évolution ? – du numéro de barres russes. Les coquillages qui les parent sont en caoutchouc imprimé en 3D.  » C’est léger, confortable et ça ne risque pas de blesser « , souligne la costumière. Rien n’est laissé au hasard. Deborah sort des documents d’une pochette plastifiée. Il s’agit du step-by-step pour le maquillage de Shandien LaRance. Ici, ce sont les artistes qui réalisent leur make-up après un  » écolage  » spécial à Montréal. Une fiche détaille chaque étape, photos à l’appui, en énumérant tous les produits utilisés, jusqu’au type de brosse, de pinceau ou d’éponge.

La tortue de Montréal

Toujours sur la même tringle, Deborah montre les détails des costumes en lycra aux reflets scintillants revêtus par les  » poissons  » et les  » grenouilles  » qui ouvrent Totem dans une scèneinspirée du Kekac, une cérémonie traditionnelle de Bali. Chaque costume est unique, en fonction de l’artiste qui le porte – mesuré et bodyscanné à Montréal -, et a été imprimé de couleurs correspondant à une espèce bien particulière. C’est aussi le cas de la  » carapace « , la structure de plus d’une tonne qui trône sur la scène au début du spectacle, avant de dévoiler des barres parallèles, supports d’acrobaties à la synchronisation parfaite. « Cette tortue existe vraiment, révèle Jean- Sébastien Gagnon, assistant directeur technique, c’est un spécimen célèbre du Biodôme de Montréal (NDLR : musée  » vivant  » construit pour les Jeux olympiques de 1976). Elle a été photographiée en haute définition et les détails de sa carapace ont été imprimés sur le tissu. Là non plus, le choix de l’animal n’est pas innocent :  » La tortue occupe une place très importante dans les croyances autochtones, notamment dans les mythes concernant l’origine du monde.  »

Dans le dispositif scénique de Totem, la carapace qui figure la Terre et les écrans qui reçoivent des images majoritairement aquatiques sont volontairement séparés par un vide. Pour passer de l’un à l’autre – ce fameux moment où la vie est sortie des eaux -, il faut soit voyager à bord d’un bateau soit emprunter « le pont « , élément technique central dans le spectacle.  » Non seulement la structure peut avancer et reculer, mais elle est composée de sept facettes actionnées chacune par un piston. Elle peut prendre à peu près n’importe quelle forme entre le pont « au repos » et la position « queue du scorpion », complètement recourbée. Les possibilités sont infinies « , confie encore Jean-Sébastien.

Pendant ce temps, sur scène, cinq artistes chinoises répètent leur numéro de monocycle – plus de deux mètres de haut – et de lancer de bols. Un tableau qui symbolise la récolte et l’équilibre des premiers peuples entre l’homme et la nature. Pour la compagnie, les plateaux semblent bien alignés entre prouesses acrobatiques (la crème mondiale), défis techniques et recherche artistique. En 2017, 17 autres spectacles du Cirque du Soleil voyagent à travers le monde. Et le monde en redemande.

Totem : jusqu’au 29 octobre à Brussels Expo, à côté du Palais 12 du Heysel. www.cirquedusoleil.com

Par Estelle Spoto

 » Cette piste-ci est magique. Chaque fois, j’ai la chair de poule  »

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