Le Diable Rouge Kevin De Bruyne n'a joué que trois matches de championnat avec Chelsea. © REPORTERS

Le prêt de joueurs de foot, un marché juteux

Les transferts de Neymar et Mbappé ont défrayé la chronique cet été. Mais les puissants de la planète foot s’affairent aussi à entasser les joueurs comme des marchandises via un système aux plus-values exponentielles. Quelque part entre spéculation pure et commerce d’êtres humains.

Les deux équipes se quittent sur un score vierge. Chelsea revient satisfait de son déplacement à Madrid. Mais avant la demi-finale aller de la Champions League, l’attention se focalise plutôt sur le gardien de but de l’Atletico. On est en avril 2014 et Thibaut Courtois, qui dispute sa troisième saison en prêt dans la capitale ibérique, se demande s’il va pouvoir jouer. Il appartient à son adversaire britannique, qui réclame trois millions d’euros à l’Atletico s’il est aligné. L’Union européenne de football recale Chelsea, Courtois joue le match et le duel retour à Londres (1-3 pour les Espagnols). Mais l’affaire en dit long sur le système. De plus en plus nombreux, les prêts déséquilibrent le foot européen et contournent le fair-play financier instauré en 2010 pour notamment éviter la dette des clubs, contrôler leur masse salariale et réguler les montants des transferts.

Principe : les clubs du top achètent de jeunes joueurs à des prix dérisoires, les prêtent plusieurs mois ou années puis les revendent avec l’étiquette de l’équipe à laquelle ils appartiennent – mais pour laquelle ils n’ont en fait jamais joué – ce qui multiplie leur valeur. De la spéculation pure et dure. Champions en la matière : la Juventus de Turin, Manchester City et Chelsea. La Juve détient ainsi 106 joueurs sous contrat et en loue 73 !

 » L’enrôlement se fait de plus en plus jeune, explique Gilles Grimandi, recruteur français d’Arsenal. Les clubs brassent large pour ne rien rater, vu le prix, aujourd’hui, d’un phénomène de 18 ans.  » Allusion à Kylian Mbappé, révélé la saison dernière à Monaco, désormais estimé à 180 millions d’euros, et qui vient d’être prêté au PSG jusqu’en 2018 avant de pouvoir se lier au club parisien jusqu’en 2022 au moins.  » L’intérêt est purement économique. Le coût de la formation est énorme et les managers n’ont plus les épaules pour lancer des jeunes.  » Ils vont donc les chercher à l’étranger.

En Belgique notamment. Champions avec Genk en 2011, Thibaut Courtois et Kevin De Bruyne rejoignent Chelsea, respectivement pour 7 et 8 millions d’euros. Le premier est loué à l’Atletico, six jours après sa signature. Le second est prêté au Werder Brême. Le club britannique connaît le talent des deux Belges mais n’a pas le temps de les faire progresser en les alignant. Résultat : Courtois ne joue pour les Blues qu’à partir de 2014 et De Bruyne est vendu à Wolfsburg la même année, pour près de 22 millions. Le milieu belge n’a joué que trois matches de championnat avec Chelsea, mais a permis au club une plus-value de 14 millions.

Des satellites et des pions

Le prodige Kylian Mbappé, estimé à 180 millions d'euros, évolue aujourd'hui au Paris Saint-Germain en prêt de l'AS Monaco.
Le prodige Kylian Mbappé, estimé à 180 millions d’euros, évolue aujourd’hui au Paris Saint-Germain en prêt de l’AS Monaco.© CHRISTOPHE ENA/ISOPIX

Pour faciliter leurs opérations, élargir leur réservoir et assécher celui de leurs concurrents, les clubs les plus puissants investissent dans des entités satellites. Chelsea soutient les Néerlandais du Vitesse Arnhem, Monaco devient actionnaire majoritaire du Cercle de Bruges et, surtout, piloté par le holding Abu Dhabi United Group, le City Football Group détient Manchester City, le New York City Football Club, une équipe de Melbourne, des parts dans le Yokohama Marinos, au Japon et, depuis août, 90 % du Girona FC. Du coup, cette saison, Manchester City loue cinq éléments au promu espagnol. L’an dernier, Aaron Mooy était arrivé gratuitement de Melbourne à City pour être prêté illico à Huddersfield, qui l’a racheté cet été pour 9 millions d’euros. Mooy n’a pas disputé une seconde de jeu à Manchester.

 » Le prêt est le symptôme de toutes les maladies qu’on observe, regrette Jesse De Preter, ancien avocat devenu agent du Diable Rouge Jason Denayer. Les gros clubs agissent sans qu’on puisse les freiner parce qu’il y a des sociétés derrière avec des budgets parfois plus importants que ceux de certains Etats. Ce ne sont pas que des clubs de foot, ce sont des projets géopolitiques.  » Au sein desquels le footballeur devient une marchandise, sans plus forcément avoir le choix de son sort.

Comme Jason Denayer. En juin dernier, De Preter se met d’accord avec Lyon pour l’y prêter. Le Belge, qui a rallié Manchester City en 2012, à 17 ans, sort de trois prêts successifs : au Celtic Glasgow, à Galatasaray en Turquie et à Sunderland. Mais City préfère poursuivre le carrousel et le louer à Girona. Denayer ne veut pas et retourne dans le Bosphore en fin de mercato, le 31 août.  » Le système de prêt est bon si on laisse le joueur circuler comme il le souhaite. Dans un monde normal, Jason serait aujourd’hui un joueur lyonnais. Mais Manchester City a préféré attendre. Son objectif est de valoriser ses actifs. Je ferais la même chose si j’y étais directeur technique « , avoue Jesse De Preter. Gilles Grimandi ne partage pas cet avis :  » Si vous êtes persuadé de percer, pas de problème. Mais dans 99 % des cas, vous êtes un pion et vous serez baladé de gauche à droite.  »

Limiter les prêts ?

Autre technique : acheter un joueur et le prêter instantanément à son club d’origine. Après son Mondial brésilien, en 2014, Divock Origi signe à Liverpool qui le laisse toute la saison à Lille, où le Diable Rouge évoluait. La méthode a deux atouts : se garantir la venue d’une pépite et la laisser mûrir dans un environnement familier pour ensuite en récolter les fruits. C’est dans cette optique que l’AS Monaco a racheté le Cercle de Bruges.  » Quand on veut performer, donner du temps de jeu à un jeune est difficile, souffle François Vitali, directeur sportif des Brugeois, qui a occupé le même poste à Mouscron, sous tutelle lilloise, de 2011 à 2015. Le prêter garantit sa postformation sans négliger son accompagnement.  » Cette saison, les groen en zwart accueillent ainsi six Monégasques, en prêt.

 » Avoir 160 joueurs sous contrat pour en faire jouer 20 et prêter les autres n’a pas de sens, réplique Gilles Grimandi. Il faudrait limiter les prêts.  » Aux Etats-Unis, en basket, la NBA n’accepte que les transferts définitifs et plafonne le nombre d’éléments au sein des effectifs de sa ligue.

En chiffres

Juventus

106 sous contrat, 73 en prêt.

Manchester City

93 sous contrat, 32 en prêt, dont 5 au Girona FC.

Chelsea

104 joueurs sous contrat, 34 en prêt, dont 4 au Vitesse Arnhem.

AS Monaco

51 joueurs sous contrat, 12 en prêt, dont 6 au Cercle de Bruges.

Royal Sporting Club Anderlecht

46 sous contrat, 12 en prêt.

Source : Transfermarkt, des effectifs de jeunes à l’équipe première

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