Le dérèglement climatique risque d'aggraver la situation de zones déjà fragilisées et de renforcer les flux migratoires. © Sokhin/Belgaimage

Explosion démographique, poudrière, guerre des nerfs,… 10 ressorts qui peuvent nous mener au pire

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

L’histoire ne repasse jamais les plats. Mais sa kyrielle de conflits armés trahit des postures belligènes qui traversent les âges. Certaines reprennent du poil de la bête.

1. Bombe démographique en puissance

On se bouscule sur la planète. On finira par s’y marcher sur les pieds. 7,6 milliards de terriens aujourd’hui, 9,8 milliards d’ici à 2050. L’évolution des courbes démographiques n’incite guère à l’apaisement entre les peuples. Notamment du côté de l’Inde et de la Chine, premiers pourvoyeurs de l’espèce humaine.

Danger. Il est admis qu’un seuil critique de population rend un Etat agressif, en lui procurant la désagréable impression de se sentir à l’étroit à l’intérieur de ses frontières. Il peut alors juger impérieux, pour sa propre survie, d’offrir un exutoire à ses cohortes de jeunes gens turbulents que tourmente un avenir incertain.

C’est la mécanique dite de  » relaxation démographique « . Elle a déjà tragiquement fait ses preuves. La France napoléonienne, l’Empire ottoman, le Japon impérial de la fin du xixe siècle ont usé du potentiel d’agressivité masculine à leur disposition pour assouvir brutalement un besoin d’expansion. L’inflation démographique délibérément pratiquée fut aussi un des ressorts du délire hitlérien.

A bord d’une planète aujourd’hui surpeuplée, un vaste espace accuse en revanche un méchant coup de vieux : l’ensemble géopolitique Europe – Russie – Japon. On peut privilégier la bonne nouvelle : une pyramide des âges vieillissante incite peu à marcher à la guerre, par manque de chair à canon. On peut s’attarder sur la mauvaise nouvelle : toute  » révolution grise  » fragilise une sociétéaux capacités de défense émoussées.

Une démographie galopante rend les Etats agressifs.
Une démographie galopante rend les Etats agressifs.© Anshuman Poyrekar/Getty Images

2. Sous un climat déréglé, une soif brûlante de ressources

Toujours plus d’êtres humains sur Terre, c’est toujours plus de bouches à nourrir. Faire main basse sur le champ du voisin sous prétexte que son sol y est plus nourricier, surtout quand frappe la disette, est une manie qui remonte à la nuit des temps. Les ressorts qui animaient les Croisades n’étaient pas étrangers à ce réflexe de survie.

Les caprices actuels du climat, d’une ampleur sans précédent, devraient sensiblement réduire les zones cultivables et décupler la fringale de matières premières et de ressources énergétiques.  » Les déplacements de population qui résulteront de cette menace climatique renforceront les flux migratoires incontrôlables « , observe l’historien de l’Ecole royale militaire Jean-Michel Sterkendries, qui pointe là  » un des plus graves défis à affronter « .

Chaud devant ? Le politologue Bruno Tertrais tempère :  » Les périodes de réchauffement ont généralement été, dans l’histoire de l’humanité, plutôt moins belligènes que les périodes de refroidissement.  » Ainsi la guerre pour la maîtrise de  » l’or bleu « , si souvent prophétisée, n’a-t-elle pas encore eu lieu :  » La question de l’eau n’a jamais été, à l’époque moderne, la cause principale d’un conflit armé ouvert, même dans des situations de très grande rareté.  »

3. Le business ou la tentation des barrières

La crise ? Toujours tout droit. L’économie mondialisée peine à réintégrer durablement un cercle vertueux. Du coup, des dirigeants politiques croient judicieux de promettre à leurs populations mécontentes des barrières protectrices contre les produits venus de  » l’envahisseur « , source de leurs malheurs. C’est le retour en grâce du protectionnisme. Du moins la tentation d’y succomber qui refait surface dans la patrie du libre-échange, les Etats-Unis à l’ère de Donald Trump. Mauvais signe.  » Le protectionnisme, surtout tel que revendiqué par le Front national français ou, en frisant parfois la caricature, par le 45e président des Etats-Unis, est synonyme de repli sur soi et de rejet de l’autre « , diagnostiquait Jean-Claude Marcourt (PS), lorsqu’il était en charge de l’Economie au gouvernement wallon.  » En tant que telle, cette politique est mortifère.  » Car synonyme de représailles commerciales, génératrice de crispations entre Etats.

Ali Laïdi, politologue auteur d’une volumineuse Histoire mondiale de la guerre économique (éd. Perrin), plante le décor :  » La guerre économique contemporaine est un moyen d’assujettir l’adversaire sans tirer la moindre balle, sans violence physique.  » Le commerce international cesserait d’adoucir les moeurs s’il devait embrasser l’implacable logique des thèses mercantilistes selon laquelle  » il devient plus facile de voler que d’acheter « .

 » Si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront  » : la formule a eu son succès au xviie siècle, au temps où le Roi-Soleil trônait à Versailles et où le grand commis du règne de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, ne jurait que par les tarifs protecteurs pour venir à bout de la féroce concurrence des négociants hollandais. Jusqu’au jour où le surintendant des Finances n’a plus vu d’autre issue que la guerre tout court à laquelle aspirait aussi son roi, par goût de la gloriole. S’ensuivra l’invasion française des Provinces-Unies en 1672.

Nettement plus près de nous, le professeur Michel Liégeois (ULg) pointe cet autre cas de figure :  » Au cours des décennies qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, le ratatinage du commerce international s’est doublé d’une course aux armements douaniers, à l’origine d’une réaction en chaîne qui a fait triompher la perception de l’autre comme un adversaire.  » On connaît la suite.

4. L’aveu de faiblesse démocratique

Déséquilibres démographiques, climatiques, économiques, sociaux. La barque se charge dangereusement. Qui tient encore la barre au milieu des turbulences ? Gros stress.

 » Vieux Continent  » cherche leadership, désespérément. La construction européenne manque de souffle, elle a perdu son âme et une pièce de taille : bye bye England, l’Angleterre a choisi de reprendre sa liberté au nom de cette idée du  » seul, on sera mieux « . L’Union européenne, malgré l’éclaircie venue d’une France sous un charme macronien d’ailleurs de moins en moins opérant, reste gagnée par la tentation du repli sur soi prônée par des populistes en embuscade. Elle garde des allures de ventre mou sur l’échiquier géopolitique, elle peine à être davantage qu’un nain militaire.

Méchant coup de mou démocratique. L’aveu de faiblesse n’est pas sans rappeler le  » trou noir  » des années 1930 dans lequel a basculé le destin de l’Europe.  » Le parallèle est évident « , souligne Jean-Michel Sterkendries.

Des démocraties vacillantes, empêtrées dans la crise économique, ne peuvent faire front face à un régime hitlérien dynamique, insolent, uni derrière  » un homme providentiel « , tandis que la France s’illusionne encore sur sa puissance et que la Grande-Bretagne s’isole en tournant le dos au continent. L’arme au pied, les démocraties européennes n’ont pas su enrayer la marche à la guerre dictée par le Führer.

 » La faiblesse ou l’absence d’une stratégie réfléchie de la part d’un des acteurs géopolitiques peut être dangereuse « , relève l’historien Bruno Colson (université de Namur).

Démocraties et régimes forts ne jouent jamais dans la même division.  » Vladimir Poutine ne doit pratiquement s’entendre qu’avec lui-même, là où l’Europe a besoin de tractations interminables avant de pouvoir prendre position ou arrêter une décision « , rappelle le professeur Michel Liégeois.

Démocraties ? Attention, fragile. Il leur faut apprendre à vivre sous le spectre d’ingérences illégales dans les processus électoraux, commises à coup de cyberattaques lancées sur les partis et les médias. Avec la volonté de pousser des opinions manipulées à se jeter dans les bras d’aventuriers.  » Certaines circonstances peuvent conduire les démocraties à se transformer en dictatures et mènent à des guerres « , met en garde l’investisseur et philanthrope américain Ray Dalio.

La Chine a entamé une modernisation accélérée de son armée pour répondre au regain de tensions internationales.
La Chine a entamé une modernisation accélérée de son armée pour répondre au regain de tensions internationales.© Ju Zhenhua/Reporters

5. La reprise de la guerre des nerfs

On ne se refait pas. Le continent européen s’est dessiné à coup d’obsessions géostratégiques. Elles ne disparaissent jamais complètement.  » La poussée de la Russie vers les mers chaudes est une constante depuis le règne du tsar Pierre le Grand (1672-1725) « , rappelle Bruno Colson,  » la Russie ne sait pas être un Etat qui ne soit pas un Empire « .

La statistique des élans belliqueux en porte témoignage : 11 guerres russo-turques et 9 guerres russo-suédoises recensées depuis le xve siècle attestent le besoin séculaire ressenti par l’empire des tsars d’acquérir des façades maritimes sur la mer Noire et la Baltique.  » La Russie, c’est 46 000 kilomètres de côtes mais aucun bon accès à la mer, ce qui rend sa position inconfortable « , prolonge Jean-Michel Sterkendries.

L’ Occident a commis avec la Russie postsoviétique la même erreur historique qu’ avec la République de Weimar

Les redécoupages territoriaux opérés au fil des siècles, soumis aux calculs géopolitiques, ont accouché de constructions alambiquées. Prétextes rêvés aux déclenchements d’hostilités.

Pleins feux sur Kaliningrad, jadis Königsberg-la-prussienne, aujourd’hui enclave russe d’un million d’habitants installés sur 15 100 km2, et relique de l’Union soviétique que séparent de la mère patrie les pays baltes et la Pologne, qui sont membres de l’Union européenne comme de l’Otan. Bonjour l’abcès de fixation.

Cette tête de pont, d’importance stratégique puisqu’elle sert de port d’attache à la flotte russe de la mer Baltique, joue admirablement son rôle de poil à gratter sur le théâtre européen : le propriétaire russe des lieux la militarise à souhait, par exemple en y acheminant des missiles à capacité nucléaire. Juste ce qu’il faut pour laisser planer la menace sur les Etats baltes et scandinaves, sur une grande partie de la Pologne. Juste ce qu’il faut pour jouer avec les nerfs des stratèges atlantistes.

L’Europe n’a jamais eu à se féliciter de tels points de cristallisation. Elle garde un pénible souvenir du corridor de Dantzig : cette bande de territoire largement germanophone, offerte à l’issue de la Première Guerre mondiale à la Pologne pour lui donner accès à la Baltique, quitte à séparer la Prusse orientale du reste de l’Allemagne. Hitler en fera un casus belli pour s’en prendre violemment à la Pologne en 1939.

6. L’appel aux peurs ancestrales

 » L’Occident a commis avec la Russie postsoviétique la même erreur historique qu’avec la République de Weimar au lendemain de la Première Guerre mondiale : lui infliger misère et humiliation. Un peuple traité de la sorte provoque souvent une réaction nationale qui se manifeste autour d’un leader prêt à lui rendre sa fierté « , analyse Jean-Michel Sterkendries.

Poutine n’a évidemment rien d’un Hitler, mais  » aux yeux de l’actuel dirigeant russe, nous, Occidentaux, sommes des gens sans honneur qui ne tenons pas parole : l’Allemagne réunifiée a été maintenue dans l’Otan, laquelle n’a pas tenu ses engagements de ne pas avancer d’un mètre vers l’Est « . Bien au contraire, l’Alliance politico-militaire a planté sa tente, pour ainsi dire, sous les fenêtres du Kremlin.

Que demander de plus pour raviver le complexe d’encerclement qui hante le Russe depuis des siècles ? Les maîtres de la Russie ont des peurs ancestrales à revendre à leur opinion. Ils lui rappelleront utilement l’agression allemande de 1941 qui a conduit les armées hitlériennes jusque Stalingrad. La campagne napoléonienne de 1812 qui a mené l’empereur des Français dans la capitale livrée aux flammes. Ou encore l’invasion, début du xviie siècle, des Suédois et des Polonais, lesquels occupèrent Moscou en 1611 et y firent élire tsar le fils de leur roi. Jusqu’aux incursions des Tatars de Crimée, lancés sur la Russie par les Ottomans, et qui incendièrent la cité moscovite en 1571.

Vieilles histoires, dira-t-on. Mais un passé, ça se remue. Et un traumatisme, ça s’exhume. Significatif : après la chute de l’Union soviétique, le président Eltsine remplace la célébration officielle de l’anniversaire de la révolution d’Octobre par la commémoration de la capitulation des Polonais au Kremlin survenue le 26 octobre 1612.  » Le patriotisme russe repose sur le souvenir des invasions repoussées. Or, quand on a peur, on éprouve le besoin de se défendre « , explique Bruno Colson.

Vladimir Poutine n’a pas à forcer son talent à ce jeu-là. La dernière menace à brandir sous les yeux du peuple russe est toute trouvée : l’Alliance atlantique. C’est de bonne guerre.

L'Otan, cible privilégiée du régime russe pour maintenir la pression sur les Occidentaux.
L’Otan, cible privilégiée du régime russe pour maintenir la pression sur les Occidentaux.© Justin Tallis/Getty Images

7. La Terre aux allures de poudrière

Les peurs montent. Mauvaises conseillères, elles s’épanouissent dans le rééquipement des arsenaux. A l’ère du nucléaire, de la cyberguerre, du drone et du robot tueur, le char, le canon et le fantassin n’ont pas dit leur dernier mot. Brève revue des troupes.

L’Allemagne annonce un renforcement sans précédent de ses effectifs militaires depuis la fin de la guerre froide. La Finlande étoffe ses troupes mobilisables face au voisin russe. Les Pays-Bas rappellent des militaires à la retraite pour enseigner à l’actuelle génération d’officiers l’art perdu de manoeuvrer des grandes unités. La Suède décide de rétablir un service militaire supprimé en 2010. Les budgets militaires des grandes puissances repartent spectaculairement à la hausse. La Chine annonce tout de go une modernisation accélérée de son armée, histoire de la rendre prête à la guerre.

Pas de doute, la planète se réarme. L’indice, un de plus, d’une montée des périls ?  » Le réarmement est toujours le résultat d’une tension elle-même génératrice de nouvelles tensions « , répond Jean-Michel Sterkendries.

A ce stade, l’escalade tient plus de la remise à niveau d’appareils militaires dégraissés dans l’euphorie ambiante de l’après-guerre froide, que d’une véritable course aux armements. Laquelle, d’ailleurs, ne conduirait pas inéluctablement à une déflagration : le lien entre un niveau accru de dépense militaire et un risque de guerre ne serait pas évident.  » La thèse selon laquelle le formidable accroissement des potentiels militaires européens entre 1870 et 1914 avait été une cause essentielle de la Première Guerre mondiale a été décrédibilisée « , souligne Bruno Tertrais.

Reste l’arme nucléaire et l’équilibre de la terreur qu’elle fait régner, ce parapluie sous lequel on croit pouvoir s’abriter quand le fond de l’air devient frais.

8. La sarabande des boutefeux

Louis XIV au xviie siècle, Frédéric II de Prusse au xviiie, Napoléon au xixe, Hitler au xxe. L’Europe s’est régulièrement retrouvée à la merci d’un va-t-en-guerre impatient de la mettre à feu et à sang.

Un dirigeant imprévisible à la tête d’une superpuissance pourrait-il  » faire le job  » à l’échelle planétaire ? Un homme de la trempe de Trump, pour ne pas le citer. Suspense. Mais comme le précise cet historien,  » Trump a besoin de crises, son style de gestion repose sur la crise. Il est dangereux parce qu’il agit par instinct.  »

Pas de chance : le locataire de la Maison-Blanche n’est pas seul à s’illustrer en ce moment. D’autres dirigeants se montrent remuants, y compris dans les parages de l’Europe. Poutine le Russe, Erdogan le Turc :  » Malgré leurs contentieux géopolitiques majeurs, ils partagent un intérêt commun à contester la domination occidentale « , expose Michel Liégeois. Jusqu’à quel point lui chercheront-ils querelle ?

Quoi qu’il en soit, surtout, ne jamais se fier aux apparences et n’accorder que peu de crédit aux plus belles déclarations de bonnes intentions. Bruno Colson, biographe de Clausewitz (éd. Perrin), rappelle cette maxime du célèbre théoricien militaire prussien du xixe siècle :  » Un conquérant prétend toujours vouloir la paix.  » Même Adolf Hitler n’a pas failli à la tradition.

Recep Tayyip Erdogan partage avec Vladimir Poutine le même intérêt à contester la suprématie occidentale.
Recep Tayyip Erdogan partage avec Vladimir Poutine le même intérêt à contester la suprématie occidentale.© NICOLAS MAETERLINCK/belgaimage

9. La grande manipulation des masses

 » La guerre ? Plus jamais ça !  » Le cri du coeur n’a jamais empêché des peuples entiers de partir à la boucherie, le sourire aux lèvres et la fleur au fusil. Chauffés à blanc par une presse chauvine jusqu’à l’hystérie.

C’est tout l’art de la désinformation. Une véritable guerre avant la guerre. Qui dispose à présent d’une formidable caisse de résonance : les médias et réseaux sociaux. Les jeunes s’y abreuvent volontiers. Et ce public cible inquiète particulièrement le professeur Sterkendries :  » Il y a là toute une jeunesse en manque de perspectives, qui se sent humiliée et peut devenir un terreau favorable aux idées extrémistes.  » Les partenaires européens de la Politique de sécurité (Pesc) s’en sont récemment alarmés :  » En diffusant des informations contradictoires et des interprétations falsifiées de faits historiques, on tente de déstabiliser la vie politique en faveur de certaines forces politiques.  »

La menace est sérieuse. D’autant que la paix, en s’éternisant sous nos latitudes, efface jusqu’au souvenir même de la guerre. Les générations qui en ont été les victimes ou les témoins tirent leur révérence, alors que la mémoire s’entretient de moins en moins.  » Une certaine forme d’amnésie peut faire oublier la nature nuisible de certains agissements « , prolonge Bruno Colson. Convaincre des masses que la meilleure défense peut devenir l’attaque n’en deviendra que plus aisé.

Tout peut devenir motif à galvaniser une nation. La nostalgie d’une gloire passée, teintée d’espoir de la reconquérir. Nostalgie de la Sainte et Grande Russie, celle des tsars revenus en odeur de sainteté à l’ère de Poutine. Ou, sous la férule du  » sultan  » Erdogan, fierté retrouvée d’une puissance ottomane qui fit trembler l’Europe chrétienne jusqu’aux remparts de Vienne, assiégée en 1529 et 1683.

Et si Dieu est embrigadé pour la cause, c’est encore mieux. Les religions sont toujours de  » puissants facteurs de mobilisation sociale ou nationale en vue de la guerre « , rappelle Bruno Tertrais.

Une poussée de fièvre patriotique pourra se nourrir d’une soif de revanche, d’un désir de récupérer un territoire jadis perdu de façon humiliante ou de secourir des minorités réellement ou prétendument opprimées par un Etat voisin. La perte de l’Alsace-Lorraine laissait une France inconsolable et d’humeur revancharde depuis sa cuisante défaite face à la Prusse en 1870 ; Hitler a fait du retour au Reich des Allemands des Sudètes le levier de son dépeçage de la Tchécoslovaquie, en octobre 1938. La Russie a usé de ce mobile pour justifier ses incursions en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2014. A quand l’activation des minorités russophones dans les pays baltes ?

On assiste à un retour des démonstrations de force militaires : en 2014, la Russie occupe la Crimée.
On assiste à un retour des démonstrations de force militaires : en 2014, la Russie occupe la Crimée.© Dan Kitwood/Getty Images

10. Le regain de diplomatie de « la canonnière »

On bombe le torse, on roule des mécaniques. C’est le retour en fanfare des grandes manoeuvres sur terre, des démonstrations de force en mer, des intimidations dans les airs. Les missiles sont de sortie pour des séances de test.

Et c’est, bien entendu, toujours l’autre qui a commencé. Notre chef de la diplomatie Didier Reynders (MR) voit, non sans inquiétude, la Russie multiplier les exercices militaires  » menés de manière imprévisible, sans préavis. Cette politique crée une situation de confusion et d’incertitude permanentes qui n’est pas sans dangers.  » Et de rappeler cette plaisanterie russe qui remonte à 2009 et n’avait fait rire personne : le tir virtuel et simulé d’une ogive nucléaire sur la capitale polonaise, Varsovie…

La bonne blague. Jusqu’au jour où on franchit un pont trop loin.  » La conséquence logique des discours fatalistes est de pousser les opinions à aller jusqu’au bout. On entre alors dans un cycle de prophéties autoréalisatrices « , fait remarquer Christophe Wasinski, membre du Centre d’étude sur les conflits de l’ULB. Le prophète de malheur peut se retrouver prisonnier de sa posture. Condamné à l’escalade et au point de non-retour sous peine de perdre la face, sa popularité, voire le pouvoir.

Un ennemi, ça se fabrique. Un incident de frontière ou un coup fourré diplomatique aussi. La dépêche d’Ems, manipulée par le rusé chancelier Bismarck, abuse la France et la pousse à déclarer la guerre à la Prusse en 1870. Une pseudo-attaque polonaise montée de toutes pièces par les nazis contre un émetteur radio allemand à Gleiwitz, à la frontière germano-polonaise, fournit le prétexte à l’invasion hitlérienne de la Pologne, en septembre 1939. Un incident armé dans le golfe du Tonkin, imaginé entre navires nord-vietnamiens et américains en août 1964, livre aux Etats-Unis la fausse bonne raison d’entamer le bombardement du Vietnam.

Bruno Tertrais le rappelle :  » les guerres traditionnelles éclatent comme des « accidents de la circulation », mettent en cause des erreurs de jugement et des comportements parfois irrationnels.  » Reposent sur d’affreux malentendus.

L’embrasement peut donc surgir là où on ne l’attend pas. Pour une apparente futilité. C’est un coup de tomahawk assené sur le crâne d’un officier français dans une colonie d’Amérique du nord qui déclenche, en 1756, sur le continent européen, une guerre de Sept ans, premier conflit qualifié d’envergure mondiale. A bon entendeur.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire