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À l’assaut du plastique dans l’océan

Le Vif

En 2050, la mer contiendra-t-elle plus de déchets que de poissons ? Pour éviter ce désastre, les projets visant à la nettoyer se multiplient.

Il ne renoncera pas. Mieux, Boyan Slat veut nettoyer le Pacifique Nord de sa gigantesque plaque de plastique dès 2018, avançant de deux ans son planning initial. C’est du moins ce qu’a promis l’entrepreneur néerlandais de 22 ans lors de sa conférence de presse, le 12 mai dernier, à Utrecht. Il y a urgence : chaque année, huit millions de tonnes de matières plastique se retrouvent dans les océans. Certes, la première mesure consisterait à ce qu’elles n’atteignent jamais la mer – 80 % de ces polluants proviennent des terres (le reste étant issu des activités maritimes). C’est d’ailleurs un message de prévention clé. Pour le chercheur à l’Ifremer et spécialiste français du phénomène, François Galgani,  » il faut poursuivre l’interdiction des sacs plastique et aller capter les déchets à l’embouchure des fleuves « . Mais le mouvement semble inéluctable, d’après un rapport de la fondation Ellen MacArthur présenté au forum de Davos, en janvier 2016 : au rythme actuel, l’océan contiendra, en poids, plus de plastique que de poissons en 2050 ! Et on en trouve jusque dans les fosses, c’est-à-dire les zones de grande profondeur. Cet état des lieux pour le moins inquiétant pousse des amoureux de la mer, entrepreneurs engagés, navigateurs ou encore surfeurs, à imaginer des engins pour aller directement chercher à la surface les plastiques.

À l'assaut du plastique dans l'océan

Charles Moore est le premier d’entre eux à avoir révélé au monde l’étendue de la pollution. En 1997, de retour de la Transpac, la course à la voile qui relie Los Angeles à Hawaii, le skippeur américain choisit d’emprunter un trajet peu fréquenté. Cette route maritime aux conditions de vent et de haute pression peu favorables à la navigation le mène au beau milieu du  » Great Pacific Garbage Patch « , encore surnommé le  » 7e continent « . Pendant une semaine, son bateau traverse des quantités impressionnantes de fragments de polymères translucides. Comment expliquer cette concentration de déchets flottants ? L’embarcation se situe alors en plein milieu du gyre pacifique, un immense tourbillon permanent créé par la rencontre de différents courants marins. Les objets flottants y sont transportés, restent piégés et n’en ressortent jamais. Indétectable par satellite, cette zone a une surface qui varie de 1,5 à 3,5 millions de kilomètres carrés, selon les estimations (jusqu’à 115 fois la superficie de la Belgique). Sur la planète, on compte quatre autres gyres océaniques. Celui de l’Atlantique Nord, qui charrie une plaque aussi grande que dans le Pacifique, n’a été découvert qu’en 2010. En Méditerranée, pas de convergence de courants centripètes, mais, en raison de rejets permanents, la grande bleue est devenue une vaste poubelle.

Les rejets ont fait de la Méditerranée une poubelle

Depuis qu’il a donné l’alerte, il y a vingt ans, Charles Moore sensibilise les populations côtières et organise régulièrement des expéditions sur le  » 7e continent « . Il y a évalué le nombre de morceaux de plastique à 300 000 par kilomètre carré, une concentration 23 fois plus élevée qu’ailleurs dans l’océan. Dès 2012, le Néerlandais Boyan Slat présente sa solution lors d’une conférence TED : arrimer sur le plancher océanique une barrière fixe de 100 kilomètres de longueur qui piégerait toutes les particules de plus d’un centimètre de polyéthylène, de polypropylène ou de polystyrène. Aujourd’hui, le projet  » Ocean Cleanup  » réunit une centaine de personnes et a été repensé, après que plusieurs  » boudins  » flottants se sont cassés, lors du premier essai en mer du Nord, en juillet 2016.  » Le nouveau concept consiste non plus en une seule barrière fixe de 100 kilomètres, mais en de multiples tronçons mobiles, suivant les mêmes trajectoires que le plastique qu’elles cherchent à capturer, explique un expert de l’entreprise néerlandaise. C’est là toute la différence : si le courant varie dans une direction, les petites barrières (de un à deux kilomètres) se repositionneront de manière à continuer de capturer les déchets. Selon nos calculs, un système géant et immobile était capable de nettoyer 50 % du vortex de déchets du Pacifique Nord en dix ans. Avec de plus petites barrières, nous atteindrons le même résultat en seulement cinq ans.  »

À l'assaut du plastique dans l'océan

Le navigateur Yvan Bourgnon, lui, a réfléchi à un voilier, le Manta – présenté lors de la COP 22, à Marrakech, en novembre 2016 -, qui pourra se rendre directement sur les lieux d’une pollution. Avec une envergure imposante – plus large que long (71,5 m sur 60 mètres) -, ce quadrimaran sera autonome en énergie grâce à des panneaux solaires et à des kite wings (cerfs-volants), qui complètent l’usage des voiles.  » Lors des typhons et des grosses tempêtes, fréquentes par exemple en Asie du Sud-Est, des quantités importantes de déchets se retrouvent dans la mer, rapporte le navigateur suisse. Grâce à une vitesse de 1 000 kilomètres par jour, on peut imaginer envoyer deux ou trois bateaux sur zone très rapidement et, en trois semaines, tout est nettoyé, avant que les plastiques ne se dispersent et ne se dégradent en petites particules.  » A l’arrière du bateau, deux herses, d’une largeur de quelque 70 mètres, se déploient afin de ratisser la surface de l’océan, jusqu’à une profondeur de 1,50 m. Prudent, le chercheur François Galgani interroge :  » Les déchets flottants s’accumulent dans les zones de convergence, mais aussi les petites tortues. Seront-elles aussi pêchées ? Il faudrait au minimum élaborer des systèmes d’évitement.  » En opération, le Manta évoluera à une vitesse de deux noeuds et sera équipé d’un sonar pour faire fuir les animaux. L’immense vaisseau vient de faire l’objet d’une campagne réussie de financement participatif en perspective d’une construction envisagée en 2021.

D’autres engins de nettoyage se trouvent à l’étude, à l’instar des drones à voiles ou des aspirateurs des mers

D’autres engins de nettoyage, plus petits, se trouvent également à l’étude, à l’instar des drones à voiles Protei, du Franco-Japonais César Harada, ou des aspirateurs des mers SeaVax. Pilotés à distance, les premiers ressemblent à de petits bateaux à coque articulée et souple afin d’éviter la casse. Conçus pour lutter contre les marées noires, ils pourraient aussi repérer et pêcher des déchets flottants. Quant aux SeaVax, invention britannique, ils empruntent leur technologie aux aspirateurs classiques, mais fonctionnent à l’énergie solaire, et leurs déchets aspirés sont broyés et compactés. Enfin, certaines initiatives visent à nettoyer les ports : en Australie, des surfeurs ont inventé une poubelle marine, la Seabin, collectant les déchets dans les enceintes semi-fermées grâce à une pompe à eau. Il suffit de changer régulièrement le sac, comme à la maison. A Baltimore, aux Etats-Unis, c’est un moulin à eau géant,  » M. Trash Wheel « , qui a pris ses quartiers dans le port depuis 2014. Ces projets sont tous tributaires de financements : crowdfunding, fondation, entreprise privée ou encore soutien de l’Europe. A l’instar du SeaVax.  » Il n’y a pas de garantie que nous soyons financés, mais la bonne nouvelle, c’est que l’Union européenne prend au sérieux la problématique des déchets plastique dans l’océan « , explique Briggette Dusart, de l’entreprise Bluebird Marine Systems, qui développe les gros aspirateurs des mers. Du côté des instances européennes et internationales, les réunions se multiplient.  » On devrait bientôt avoir un cadre juridique international contraignant, qui sera ratifié par différents pays, à l’instar de la COP pour le climat « , explique François Galgani, membre du groupe de travail international pour l’élaboration d’une Convention sur les déchets marins.

Reste une question d’importance : que faire de ces plastiques repêchés ?  » C’est de la matière première, donc de l’argent – 400 euros la tonne aujourd’hui – bêtement jeté à la mer, alors qu’il existe une forte demande de la part des industriels « , explique Yvan Bourgnon, qui a noué des contacts avec Adidas. Un argument aussi économique que marketing. Depuis quelques années, la récupération de filets de pêche  » fantômes  » est un exemple d’économie circulairecouronné de succès. Abandonnés volontairement ou perdus en mer, ces filets en polyamide 6 sont transformés en dalles de moquette de bureau, aux Philippines, ou brûlés pour faire de l’énergie à Hawaii. La ruée vers le plastique des océans peut commencer.

A l'arrière du Manta, deux herses d'une largeur de 70 mètres se déploient pour collecter les déchets. La construction du voilier est prévue pour 2021.
A l’arrière du Manta, deux herses d’une largeur de 70 mètres se déploient pour collecter les déchets. La construction du voilier est prévue pour 2021.© J. vollet

Par Marine Cygler.

Les autres techniques

Aspirer

À l'assaut du plastique dans l'océan
© Seavax

Invention britannique, le SeaVax fonctionne à l’énergie solaire et broye les déchets.

Capturer

À l'assaut du plastique dans l'océan
© The Ocean Cleanup

Une barrière découpée en multiples tronçons, pour suivre les déchets plastique avec le courant.

Repêcher

À l'assaut du plastique dans l'océan
© Protei

Petits bateaux pilotés à distance, les Protei seraient capables de répérer les déchets flottants.

Un impact désastreux sur la faune

Des oiseaux étouffés, des tortues marines (photo)l’estomac rempli de polymères, condamnées à une mort douloureuse… Les impacts des plastiques sur la faune sont multiples. « Les évaluer demeure extrêmement difficile, car la mer est un milieu ouvert », explique Arnaud Huvet, chercheur à l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), qui a montré les effets délétères des microplastiques sur la reproduction des huîtres. Côté poissons, des travaux en laboratoire ont montré qu’ils augmentaient la mortalité des larves de bar. « Et pour les adultes, nous ignorons les quantités d’additifs ou de plastifiants libérées lors de la digestion des plastiques et ne mesurons pas encore la gravité du phénomène », ajoute le biologiste. Enfin, conséquence indirecte, les déchets plastique marins servent de radeaux pour les micro-organismes, les déplaçant vers des zones où leur présence était inconnue auparavant.

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