Dans la vieille ville de Mossoul, 55 % des habitations auraient été détruites ou endommagées par les combats. © ALAA AL-MARJANI/REUTERS

Malgré la chute de Mossoul, la guerre continue

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La chute de Mossoul ouvre un nouveau chantier pour Bagdad : réintégrer les sunnites dans le jeu politique sous peine de voir l’Etat islamique, pas encore défait, prospérer à nouveau.

Mossoul libérée, Mossoul martyrisée : les lendemains de la bataille pour la reconquête de la deuxième ville d’Irak s’annoncent douloureux. Revue des questions que pose la nouvelle donne militaro-politique en Irak et, par jeu de dominos, en Syrie.

L’Etat islamique (EI) dispose-t-il encore de sanctuaires ? Les djihadistes contrôlent encore en Irak les importantes villes de Hawija (à l’ouest de Kirkouk) et de Tall Afar (située environ à mi-distance entre Mossoul et la frontière syrienne), ainsi qu’une grande zone qui va de l’ouest de Bagdad à la Syrie en suivant le cours de l’Euphrate. Celle-ci assure une continuité territoriale avec le sanctuaire de l’EI en Syrie autour des villes de Abou Kamal, Mayadin et Deir ez-Zor, dont l’importance stratégique grandirait encore avec la chute du fief djihadiste de Raqqa exposée depuis novembre 2016 à l’offensive des Forces démocratiques syriennes.

Un coup fatal a-t-il été porté à l’EI en Irak ? Le revers subi par Daech est loin de n’être que symbolique. Il est triplement concret. Territorial, avec le renoncement à sa principale place forte sur le territoire irako-syrien. Humain, avec la perte de milliers de combattants, conjuguée de surcroît à celle, vraisemblablement lors d’une frappe russe en Syrie, de leur mentor Abou Bakr al-Baghdadi, confirmée le 11 juillet par l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Financier, avec la disparition des ressources que leur procuraient les taxes collectées auprès des habitants et sur le commerce. Néanmoins, l’EI contrôle encore une partie conséquente du territoire du nord-ouest de l’Irak, garde une capacité de nuisance, y compris dans les territoires repris par l’armée irakienne, et peut continuer à peser sur le devenir du pays à travers les revendications des populations sunnites qui conservent une grande méfiance à l’égard du pouvoir à majorité chiite à Bagdad.

A la porte des djihadistes de Mossoul, s’ajoute la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi

Le pouvoir central irakien sort-il renforcé par la victoire militaire à Mossoul ? Oui. Mais le bénéfice risque d’être éphémère. C’est une nouvelle bataille, non moins rude, qui va s’engager rapidement pour organiser l’administration de Mossoul. Ville multiethnique, elle est l’objet d’intenses convoitises. Sa gestion sera un test de la capacité du pouvoir irakien à satisfaire les aspirations légitimes de la population sunnite dominante dans la région, et à coopérer avec le gouvernement autonome du Kurdistan, qui ne cache plus sa volonté d’indépendance (un référendum en ce sens est prévu le 25 septembre prochain) et qui, fort du rôle que ses peshmergas ont joué dans la reconquête de Mossoul, revendique une cogestion de la ville qui se situe pourtant hors de sa zone de responsabilité. Les mois à venir seront donc cruciaux pour l’unité du pays et l’avenir du pouvoir de Bagdad. On se rappellera que c’est le tropisme ultrachiite du gouvernement du Premier ministre de l’époque, Nouri al-Maliki, qui avait jeté les populations sunnites de Mossoul dans les bras des combattants de Daech en 2014.

L’armée irakienne a-t-elle retrouvé un certain crédit ? Oui. Si la reprise de Mossoul a pris tant de temps (trois ans depuis sa chute, neuf mois depuis le lancement de l’offensive), c’est parce qu’il a fallu remettre sur pied une armée digne de ce nom. C’est peut-être le principal enseignement de cette victoire. L’Irak dispose à nouveau d’une force de défense qui ne va plus partir en débandade à la première attaque venue, comme en 2014 face à la ferveur des troupes de l’EI. Mais le mérite en revient essentiellement aux forces antiterroristes irakiennes (Isof), corps d’élite bien équipé et bien entraîné à la pointe du combat dans Mossoul.

 » La confiance est bien meilleure entre les civils et l’armée ; ce n’est plus du tout comme en 2014 « , a essayé de rassurer le major général al-Saadi, le n°2 des Isof, dans une interview au Figaro. Impossible, pourtant, d’oser affirmer que la nouvelle armée irakienne a réussi à gagner les coeurs des Irakiens sunnites. A leurs yeux, elle reste une force essentiellement chiite et la bataille de Mossoul a causé des préjudices indélébiles. Certes, Amnesty International a documenté un lourd dossier d’instrumentalisation criminelle des populations par l’EI. Des civils résidant à l’extérieur de la deuxième ville d’Irak ont été déplacés à partir d’octobre 2016 vers des quartiers stratégiques mossouliotes de l’EI pour être sciemment utilisés comme boucliers humains. Mais l’organisation de défense des droits de l’homme pointe aussi, dans le chef de l’armée irakienne et de la coalition internationale,  » des choix d’armes inadaptées aux circonstances  » et  » l’absence de précautions nécessaires  » à la confirmation de la nature militaire des cibles pour expliquer un nombre élevé de victimes civiles. La méfiance envers les puissances occidentales n’en est que confortée.

La faculté de projection terroriste de l’EI en Europe est-elle affectée ? Elle l’est déjà depuis les sièges imposés à Raqqa et à Mossoul. Elle l’est un peu plus avec la mise hors d’état de nuire des quelques milliers de djihadistes qui défendaient le bastion irakien du groupe terroriste. On parle essentiellement de Tchétchènes et de Français. Mais la perte progressive des sanctuaires de Daech n’annihile pas la menace terroriste sur les métropoles européennes. Les derniers attentats l’ont démontré. L’  » idéologie  » de l’EI survivra aux défaites militaires. Le califat virtuel, lui, n’est pas mort.

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