Le collectif de percussionnistes tout-terrain AkroPercu sera à Avignon en autoproduction. Coût de l'opération : 30 000 euros. © Andrea Adriani Studio

Une place au soleil d’Avignon

Il y en aura peu dans le In, assez bien dans le Off. Les Belges débarquent à Avignon, the place to be, pour se faire repérer par les programmateurs de France et de Navarre. Voici les quatre chemins qui mènent à la cité des Papes.

Lorsqu’il le lança en 1947, Jean Vilar pouvait-il imaginer les proportions titanesques que prendrait son festival ? Septante ans plus tard, les trois créations initialement programmées dans trois lieux se sont muées en un monstre tentaculaire déployant une soixantaine de rendez-vous pour le In, plus de 1 200 spectacles pour le Off, et brassant ensemble des milliers de professionnels du secteur, programmateurs et journalistes, et plus d’un million de spectateurs dans près de 150 lieux différents. Comment les Belges se font-ils une place dans cette jungle impitoyable ? Différentes techniques coexistent.

1. La voie royale

La voie royale pour Avignon, c’est la programmation du In, dirigé depuis quatre ans par le metteur en scène Olivier Py. Si 2016 laissait une jolie place aux Belges, avec, entre autres, Ivo van Hove en ouverture dans la cour d’honneur du palais des Papes, mais aussi Lisbeth Gruwez, Antoine Laubin, le Raoul Collectif, FC Bergman et Anne-Cécile Vandalem, cette année, il n’y a guère que le vétéran Guy Cassiers, un habitué, à avoir les honneurs de la sélection. Mais – consolation ? – il sera présent avec deux spectacles. D’abord un seul-en-scène porté par Filip Jordens (connu pour son hommage à Jacques Brel qui a tourné pendant plusieurs années), Le Sec et l’humide, basé sur l’essai que Jonathan Littell écrivit à partir des mémoires de Léon Degrelle. Une dissection de la langue du fascisme qui constitue une sorte de préquel au magistral roman Les Bienveillantes, prix Goncourt et prix de l’Académie française en 2006, que Cassiers porta à la scène de façon tout aussi magistrale en 2016. Et puis, Grensgeval (Borderline), en collaboration avec la chorégraphe Maud Le Pladec, d’après Les Suppliants, un texte traitant de la situation des réfugiés en Europe de la lauréate du prix Nobel de littérature Elfriede Jelinek. En cherchant bien, on décèle encore un peu de noir jaune rouge dans La Princesse Maleine, d’un autre prix Nobel, Maurice Maeterlinck, ici mis en scène par Pascal Kirsch, dans Kalakuta Republik, du chorégraphe burkinabé Serge Aimé Coulibaly, coproduit par les Halles de Schaerbeek (à voir le 1er juillet à Mons dans le cadre du Festival au carré), et dans Les Parisiens, écrit et mis en scène par le big boss Olivier Py, une coproduction du théâtre de Liège (à voir à Liège les 2 et 3 septembre prochains).

2. La  » Belgian connection  »

En 2001, le ministre-président de la Communauté française Hervé Hasquin décidait de l’acquisition du théâtre de l’Escalier des Doms, salle de 130 places située derrière le palais des Papes, devenue une vitrine de choix pour les artistes belges francophones à Avignon. Concoctée depuis l’an dernier par Alain Cofino Gomez, la programmation des Doms rassemble une dizaine de propositions panachant théâtre, danse, jeune public, cirque et musique. L’affiche 2017 réjouit particulièrement, avec notamment L’Avenir dure longtemps, où Angelo Bison se glisse de manière saisissante dans le peau de Louis Althusser, l’autobiopic de Riton Liebman La Vedette du quartier, la  » fiction radio live  » pour les plus de 7 ans Piletta Remix, Is there life on Mars ? , approche subtile et poétique de l’autisme signée par Héloïse Meire, Nativos, relecture des rituels chamaniques coréens par la chorégraphe argentine basée à Bruxelles Ayelen Parolin, ou encore la performance dans l’espace public Thinker’s Corner conçue par Dominique Roodthooft et l’exposition d’une chronique dessinée au jour le jour par Dominique Goblet.

Autre  » Belgian connection  » au sein du Off : La Manufacture. Ce  » lieu de rencontre original et engagé, autour de l’écriture contemporaine  » disposant d’une salle extra-muros accessible en navette, la Patinoire – disposant d’un plateau de 20 mètres sur 14, une denrée rare à Avignon -, est présidé par le Belge Pascal Keiser, qui se dit lui-même  » très attentif à la scène émergente de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans un registre différent du théâtre des Doms « . La Manufacture a accueilli Fabrice Murgia dès 2010 avec Le Chagrin des ogres, le Raoul Collectif en 2012 avec leur premier tube Le Signal du promeneur, mais aussi Anne-Cécile Vandalem, Françoise Bloch, la compagnie Point Zéro, le Groupov… En 2017, la Patinoire héberge Laïka, les formidables retrouvailles de l’acteur David Murgia avec l’écrivain italien Ascanio Celestini après Discours à la nation.

Être soi-même directeur de théâtre peut être utile pour se faire une place. Ainsi, Michel Kacenelenbogen, à la tête du théâtre Le Public à Bruxelles, a noué un partenariat avec le théâtre du Chêne noir à Avignon pour coproduire son seul-en-scène La Promesse de l’aube, adaptation du roman autobiographique de Romain Gary sorti en 1960 et marqué au fer rouge par une figure maternelle à la fois extravagante, encombrante et attachante.

3. Le parcours du combattant

Et si on n’est ni dans le In, ni aux Doms et qu’on n’a pas vraiment de réseau sur place, on fait quoi ? Eh bien, on casse sa tirelire et on sort son bâton de pèlerin pour se dégoter – avec ou sans l’aide d’un producteur – un espace pas trop loin du centre-ville et un créneau horaire plus ou moins favorable, sachant que pour rentabiliser la période du festival, les propriétaires n’hésitent pas à faire tourner leur salle dès le matin. Le Rouge Gorge, par exemple, 200 places, implanté à quelques mètres du palais des Papes, commence sa journée de sept spectacles à 10 h 20. AkroPercu, collectif de percussionnistes tout-terrain fondé en 2012 (à voir aussi au Festival au carré, le 2 juillet prochain), s’y produira à 19 h 55 – pas mal-, entre une parodie de Ben-Hur et un cabaret burlesque. Montant de la location : 14 500 euros. Montant total du séjour à Avignon pour le collectif : estimé à 30 000 euros.  » En principe, comme on a un peu plus d’expérience, ça devrait nous coûter moins que les 40 000 euros dépensés l’an dernier pour notre premier passage au festival, explique Max Charue, membre du collectif. Ça reste un investissement car même avec un remplissage de salle de 100 %, on ne fera jamais de bénéfices. Le but, c’est surtout d’attirer des programmateurs. Et puis, on s’est rendu compte qu’on avait plus d’impact en Belgique en ayant fait Avignon. Etre présent dans le festival reste une belle carte de visite.  »

Parmi le petit bataillon d’humoristes belges présents (Guillermo Guiz au Palace, Véronique Gallo à l’Arrache-Coeur, Manon Lepomme à la Tache d’Encre…), Renaud Rutten – Louis Hermann dans la série franco-belge Zone blanche – se produira à 18 h 45 au théâtre le Forum, sur la très centrale place de l’Horloge (10 000 euros de location pour une jauge de 90 places), avec Quand tu seras petite, une suite de sketches sur la vie de père aux différents âges de sa fille, du changement de couches aux sorties en boîte.  » Pour moi, Avignon représente la possibilité de vendre mon spectacle aux Français. Je joue beaucoup en Wallonie mais j’aimerais étendre mon réseau. Comme je fais de plus en plus du cinéma en France et que les gens commencent à connaître un peu ma tronche, je pense que c’est le bon moment. Mais ça reste un risque financier, parce qu’il n’y a pas que la location de la salle : il faut se loger, manger, tracter dans la rue, produire et coller des affiches…  » S’insérer dans les plannings du Off demande aussi une certaine souplesse. Pour rentrer dans le créneau en vigueur d’une heure et quart d’occupation de la scène, il a fallu raboter Quand tu seras petite d’une demi-heure,  » ce qui n’est pas évident parce qu’il y a dans chaque sketch des références aux sketches précédents, précise Renaud Rutten. C’est difficile d’enlever des morceaux sans éliminer des informations essentielles « .

4. Le jeu d’équipe

Cette loi du timing serré s’applique aussi à un tout nouveau lieu : l’Eldoradôme. Soit le dôme géodésique de la compagnie française Les Mélangeurs (16 mètres de diamètre, 100 places assises) installé dans la cour du collège de La Salle grâce aux efforts conjoints du théâtre de l’Ancre carolo et du théâtre de Poche bruxellois. Vous avez dit mutualisation ? L’Eldoradôme accueille sept spectacles qui s’enchaînent avec maximum 25 minutes de montage et dix de démontage. Il y aura logiquement une production du Poche – On the road… A, le brillant seul-en-scène de Roda Fawaz qui y joue de ses multiples  » identités  » -, une production de l’Ancre – La Route du Levant, confrontation dans un commissariat de banlieue autour de la tentation du radicalisme violent, mis en scène par Jean-Michel Van den Eeyden – et le spectacle musical et gestuel des Mélangeurs, Les Kïschs. Mais il y aura aussi un concert pour enfants mené par Morgane Raoux, le délire déconstruisant les codes du théâtre d’Eno Krojanker et Hervé Piron C’est toujours un peu dangereux de s’attacher à qui que ce soit, la déjà fameuse antileçon d’orthographe d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron La Convivialité, et Sank, le témoignage du révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara porté par le théâtre de la Guimbarde en Belgique et le théâtre Eclair au Burkina Faso.

La solidarité joue également entre trois compagnies belges qui se sont retrouvées par hasard, ensemble, au théâtre des lucioles, installé sur le rempart Saint-Lazare, au nord de la ville. La compagnie de théâtre gestuel Chaliwaté – avec Joséphina –, le duo humoristico-musical Gama – avec Déconcerto – et les jumeaux d’origine espagnole acrobates et magiciens Doble Mandoble – avec Full HD – vont tracter et afficher ensemble pendant le festival et s’annoncer mutuellement à la fin des représentations. L’union fait la force, à Avignon aussi.

Festival d’Avignon du 6 au 26 juillet, www.festival-avignon.com ; festival Off du 7 au 30 juillet, www.avignonleoff.com

Par Estelle Spoto

 » On a plus d’impact en Belgique en ayant fait Avignon  »

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