En dégoupillant la bombe Publifin, Cédric Halin ne s'est pas fait que des amis. © BENOIT DOPPAGNE/Belgaimage

Cédric Halin: « C’est le moment de purger le monde politique »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

L’homme par qui le scandale Publifin est arrivé tire sa révérence. L’échevin d’Olne Cédric Halin a passé cent jours à tenter de réformer l’intercommunale. Il démissionne avec un sentiment de devoir inaccompli et de découragement politique.

C’était sa plus grosse crainte. Que sa carrière à l’inspection des finances soit freinée. Un poste prestigieux, qu’il a conquis au bout de trois examens. En dégoupillant la bombe Publifin, fin 2016, Cédric Halin ne s’est pas fait que des amis, à commencer au sein de son propre parti, où certains le maudissent toujours d’avoir brisé leur pot de confiture. Mais aucun n’a été jusqu’à empêcher son entrée en fonction au sein de ce  » corps d’élite  » de la Cour des comptes, le 1er juin dernier. Une nouvelle vie professionnelle délestée de l’intercommunale : il l’avait d’emblée annoncé, il n’acceptait d’en devenir administrateur que pour cent jours. Il vient donc de démissionner, le 27 juin. Dégoûté. Découragé.  » Car rien n’a changé.  »

Vraiment rien ?

Cette affaire a pris des proportions hallucinantes. Des démissions d’élus, d’un ministre, de tout le conseil d’administration de l’intercommunale… Je n’en tire aucune gloriole. Mais ça n’a pas servi à rien. Les lignes ont bougé, on a mis fin à une utilisation inacceptable de l’argent public. Avant Publifin, je n’avais pas l’impression que la bonne gouvernance était la préoccupation numéro un des gens. Puis, la thématique s’est retrouvée au centre de l’attention. Mais il y a encore des tas de choses à changer.

Le nouveau conseil d’administration de Publifin a-t-il la volonté d’avancer ?

Certains l’ont, des gens comme Fabian Culot ou Jean-Claude Jadot (NDLR : deux administrateurs MR). Mais ça coince, parce que le PS liégeois freine des quatre fers et qu’il est en majorité avec les libéraux à la province. Des choses évidentes pour moi s’apparentent, pour eux, à des révolutions.

Par exemple ?

Le remboursement des émoluments touchés dans les comités de secteur. Cet argent doit revenir à l’intercommunale. C’était l’un des trois points que j’avais déposés au conseil d’administration. Celui-ci n’y a jamais été formellement abordé, mais les discussions préalables laissaient entrevoir un accord. Sauf que ce sera une demi-mesure, car les formations politiques vont protéger leurs mandataires.  » Parce qu’untel est quand même notre ami « ,  » parce qu’il est membre du parti « ,  » parce que ça le mettrait en difficulté financière « … Peut-être mais, pendant trois ans, ça ne l’a pas gêné d’empocher le pognon ! C’est toujours comme ça, en politique : l’intérêt de quelques-uns est privilégié à l’intérêt général.

Quels étaient les deux autres points ?

D’abord, reprendre le contrôle de Finanpart et Nethys. Le président, Paul-Emile Mottard, a laissé passer quinze jours entre mon mail et la réunion, puis est arrivé avec sa propre proposition.  » D’abord Finanpart, puis Nethys.  » L’autre point concernait le recrutement des nouveaux directeur et secrétaire généraux. Car j’estimais que des fautes – ou du moins des légèretés – avaient été commises dans le chef de Bénédicte Bayer et de Gil Simon, et que ces gens n’avaient plus leur place. D’autant qu’ils avaient été engagés par amitié ou accointance politique, sans suivre de procédure de recrutement ! Je n’ai aucun souci à ce que les responsables de l’intercommunale soient MR ou PS. A condition qu’ils aient réussi un concours objectif évaluant leurs compétences. On m’a répondu :  » Comment osez-vous, avec quoi venez-vous !  »

Vous n’avez pas demandé le départ de Stéphane Moreau ?

Je l’aurais fait si j’avais été administrateur de Nethys. Je n’étais que dans Publifin, une coquille vide. De là, je ne pouvais essayer d’agir que sur ces trois points.

Certains administrateurs vous ont reproché un manque de respect…

J’ai pris mes fonctions le 30 mars dernier, après une assemblée générale houleuse où les représentants des communes réclamaient des comptes. Et en début de conseil d’administration, la première chose qu’on fait, c’est déboucher des bouteilles de vin ! Ces gens-là n’avaient rien compris. En CA, je vérifiais tous les détails, j’ai déposé plusieurs recours, la confiance ne régnait pas. Quelques semaines avant d’être nommé, je m’étais rendu sur place pour obtenir des documents afin de préparer mon audition devant la commission d’enquête. Personne n’avait répondu à mes questions pendant des années et, là, on m’aurait déroulé le tapis rouge ! Parce que mon nom circulait dans les médias, j’étais devenu respectable. Quelle hypocrisie. Je me suis montré, c’est vrai, assez odieux avec ces gens-là. Stéphane Moreau, Bénédicte Bayer, Gil Simon… Vu tout l’argent qu’ils se sont mis dans les poches, je ne pouvais plus leur serrer la main. J’aurais eu l’impression de pactiser avec eux.

Comment voyez-vous l’avenir de Publifin ?

Ma thèse est que toutes les participations dans des secteurs concurrentiels n’ont rien à y faire. Une intercommunale sert à mutualiser un service public. Comme la distribution de gaz et d’électricité. Mais utiliser l’argent des communes, donc des gens, pour un journal, une éolienne à la côte ou en Afrique ? Quel est l’intérêt en matière de service public ? Zéro. Le dividende, mais ce n’est pas une fin en soi. Si, demain, les rêves mégalomanes de Stéphane Moreau se cassent la figure, ça retombera sur le citoyen.

Que pensez-vous de la commission d’enquête ?

Les commissaires ont bien travaillé, au-delà des clivages politiques. Leur rapport intermédiaire est remarquable et j’espère que les recommandations seront mises en oeuvre. Mais, vu la crise actuelle, je crains que ce soit mal embarqué. Le rapport sera-t-il adopté en plénière ? Des mesures claires seront-elles votées ? Par quelle majorité ? Pour le moment, rien n’a changé.

Alain Maron a, lui, dégoupillé la grenade du Samusocial.
Alain Maron a, lui, dégoupillé la grenade du Samusocial.© Sébastien Pirlet/isopix

Pourquoi ne pas rester, alors ?

Vous croyez que j’ai envie de continuer à me battre contre des moulins, à la Don Quichotte ? Je n’ai pas envie de devenir fou comme lui. S’il y avait eu une vraie volonté de changement, je serais peut-être resté. Mais là, ça n’aurait servi à rien. Le monde politique, tel qu’il fonctionne actuellement, est désespérant. Le problème naît à partir du moment où la politique devient un métier.

Votre parti n’a-t-il pas essayé de vous récupérer ?

Ça fait partie du jeu… Mais faire une carrière politique ne m’intéresse pas, je ne dois rien au parti et il n’a pas de prise sur moi. Ce qui m’a exaspéré, c’est le discours du PTB. OK, ils ne s’enrichissent pas. Mais ce que j’ai fait, n’importe quel élu aurait pu le faire ! Je vois maintenant Jean-François Mitsch avec Ores, Alain Maron avec le Samusocial… C’est bien, les gens font leur job. Ce qui m’agace particulièrement, c’est cette  » particratie médiatique « . Les politiques sont dans la communication en permanence. Dès qu’un scandale éclate, il faut s’insurger, trouver la petite phrase, la bonne accroche. Mais pendant ce temps-là, on ne fait rien. J’ai révélé les comités de secteur le 19 décembre dernier. Benoît Lutgen a retiré la prise le 19 juin. Pile six mois après, et rien n’a été fait !

Que pensez-vous de cette décision du CDH de tourner le dos au PS ?

J’espère que ce sera une opportunité de faire le ménage. Les exigences d’Ecolo et de DéFI en matière de bonne gouvernance, cette volonté de repartir sur quelque chose de clean, de mettre de côté les gens critiquables, c’est intéressant. Alors, oui, c’est probablement un coup politique de la part de Benoît Lutgen. Mais aussi une vraie fenêtre d’opportunité pour changer les choses. Les barons, les princes, ces non-élus qui font la loi… Il faut y aller ! C’est le moment de purger le monde politique. Comment voulez-vous avancer quand on est en campagne électorale permanente ? Tant qu’on ne changera pas ça… Il faut voter pour d’autres gens.

Pour d’autres partis ?

Non, tous partis confondus, il y a des bosseurs extraordinaires. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas élus. Et s’ils deviennent élus, donc connus, on les remet sur les listes à tous les scrutins, alors ils cumulent. Et ne peuvent plus faire leur boulot sérieusement. Etre à la fois député et bourgmestre, ça, c’est une blague.

Vous prônez le décumul intégral ?

Oui. Ça permettrait aux députés de réellement faire leur job et de rendre un vrai pouvoir au Parlement. Aujourd’hui, ils votent ce que le gouvernement décide, le doigt sur la couture du pantalon. Or, ils sont là pour se contrôler les uns les autres. Ceux qui défendent le cumul affirment qu’ils seront coupés des citoyens… Si c’est là leur seul argument, alors ces types sont déjà déconnectés. Aussi, il faudrait limiter à deux mandats successifs. Puis, basta ! Il faut renouveler les cadres. Ce qui crée tous les abus, c’est que des gens sont restés trop longtemps à la même place et ont perdu leurs idéaux initiaux.

Quelle autre mesure instaureriez-vous en matière de bonne gouvernance ?

Pour vous dire le fond de ma pensée, il faudrait que l’exécutif d’une commune, le collège, soit constitué d’administrateurs qui ont des compétences de gestion et qui seraient contrôlés par une assemblée, peut-être en partie tirée au sort, qui s’assurerait que ces personnes font bien leur travail. Gérer une institution publique, c’est complexe. Je ne dis pas ça par élitisme. Il faut des compétences. On retrouve le même problème dans les intercommunales : les gens n’en foutent pas une et les managers sont les seuls qui maîtrisent les dossiers.

Si un parti alternatif naissait, vous en seriez ?

C’est marrant, plusieurs dizaines de personnes m’ont contacté pour me dire de lancer un mouvement comme Macron. OK, il a été inspecteur des finances comme moi, mais les points communs s’arrêtent là. Politiquement parlant, dans une société toujours plus clivée entre le grand capital et le quasi-retour du communisme, un mouvement centriste peut avoir du sens. Mais j’attendrai de voir en France. Pour le moment, cela ressemble surtout à un nouvel emballement médiatique. Est-ce vraiment ça qui répondra, comme on dit, aux vrais problèmes des vrais gens ?

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