Jaune, Rouge, Bleu, © photomontage le vif/l'express - DONATION NINA KANDINSKY 1976 / DEBBY TERMONIA

La grâce du géant

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : Thomas Meunier.

Le studio n’a ni fenêtre, ni table. Pas même un verre d’eau. Il est niché au coeur du centre d’entraînement du Paris Saint-Germain. Ici, on craint tellement l’espionnage de clubs concurrents qu’on enferme les journalistes à clé, avec deux cerbères, peu amènes, postés devant la porte d’entrée. Au cas où. Sur les murs, d’immenses drapeaux à l’effigie du club enjoignent à  » Rêver plus grand « . Une heure d’attente plus tard entre ces quatre murs exigus, on apprend que l’entraînement est enfin terminé. Mais Thomas Meunier n’arrive toujours pas. L’accès à la terrasse est alors déverrouillé et on y croise un correspondant sportif de la BBC qui, avec ses boucles tombantes sur les épaules, rappelle un peu Lionel Richie version Issy-les-Moulineaux. Plutôt en verve, il explique que  » dans le milieu, c’est tout à fait normal ; ici, on convoque les journalistes à midi et puis on voit ce qui est possible. D’ordinaire, moi, je n’attends pas. Mais là, j’interviewe un joueur allemand que je ne connais pas bien.  »

Une vingtaine de minutes plus tard, un attaché de presse pointe son nez et rassure :  » Thomas est en salle de musculation, il ne va pas tarder.  » Il est 13 h 30 à Saint-Germain-en-Laye, Lionel Richie est affamé et s’en va soudoyer un agent de sécurité,  » un pote  » lui aussi. A 14 heures, pendant que Lionel Richie mange son McDo dans la pièce voisine, un second attaché de presse fait son entrée :  » Thomas prend sa douche, il va arriver. Désolé pour l’attente, avec les entraînements, on ne sait jamais comment ça va se passer.  » Quelques joueurs traversent alors le studio, où sous la mandorle du PSG, vous vous surprenez vous aussi à rêver plus grand, comme de l’arrivée prochaine de Thomas Meunier. Après Thomas sur le terrain, Thomas fait de la musculation, Thomas prend sa douche, Thomas au réfectoire, même la journaliste se prend au jeu du nouveau tome des aventures du footballeur : Et si Thomas donnait une interview ? Rêvons grand, soyons fous !

Jésus arrive

Il est 15 h 30 quand, finalement, la porte s’ouvre sur deux attachées de presse précédant un Thomas Meunier plus beau que Jésus marchant sur les eaux. Avec son mètre nonante, tout de gris vêtu et pimpant comme une star de télé, il en jette. Streetwear mais mise impeccable, casquette sur la tête et imprimé de fleurs sur le torse, le Diable Rouge transféré l’été dernier au club star parisien s’excuse pour le retard :  » Ce n’est pas de ma faute, c’est le système qui veut ça.  » Regard sincère, il ajoute avec son accent saint-odois :  » Je suis heureux de parler d’autre chose que du foot, ça me change.  » Et un footballeur qui parle d’art, ça change aussi. D’autant que l’homme est atypique à plus d’un titre. Démarrant sa carrière à 13 ans à l’école du Standard de Liège, il se fait virer trois ans plus tard. Il reprend alors une scolarité normale, section art, tout en continuant à taper du ballon à Virton. Le soir, le ballon dans les bras, il se rêve en Ligue 1 et se pâme en regardant les Coupes du monde à la télé. A 18 ans, diplôme en poche, il travaille à l’usine tout en espérant être repéré un jour par un grand club. Ce sera le Club Brugge, un des trois géants de la compétition belge, où le petit Wallon se distingue dès son arrivée. Cinq ans plus tard, en plein Euro 2016, où Thomas Meunier étincelle avec l’équipe nationale belge, le PSG vient l’enlever :  » Encore aujourd’hui, on me dit : « Tu te rends compte que tu joues au PSG ? » Je n’en reviens toujours pas. Il y a six ans, je travaillais à l’usine et je jouais en division 3 belge. Et là, je suis à Paris. Un truc de dingue, c’est incroyable !  » confie-t-il, des étoiles plein les yeux.

Avant de commencer l’interview, il vérifie poliment auprès des attachés de presse s’il doit porter la veste de survêtement du club. On le rassure : pour la presse écrite, ce n’est pas nécessaire mais attention, vu l’heure, l’interview sera amputée de moitié. Thomas Meunier dépose alors son physique athlétique dans un fauteuil de cuir noir, coudes sur les genoux, chevalière au doigt, et déroule la genèse de sa passion pour l’art.  » C’est grâce à ma grand-mère, qui était institutrice dans mon village. Elle s’occupait beaucoup de moi et comme elle était passionnée par l’art, elle me faisait peindre, dessiner, bricoler. Même si ce n’était pas structuré comme éducation, j’en retirais énormément de plaisir, c’est vraiment elle qui m’a donné « le décor de base ». Quelques années après, dans l’enseignement général, j’avais besoin de changement et de découverte alors j’ai décidé de me tourner vers l’option artistique. Coup de chance, j’y ai rencontré une prof extraordinaire qui m’a refilé le « virus ». C’était une artiste mais bourrée de pédagogie. Avec elle, on ne restait pas derrière un bureau à prendre des notes, on allait dans les musées, on allait voir des expositions… Pour moi qui ai toujours eu du mal avec l’état « statique » et toujours eu besoin de bouger, c’était vraiment génial.  »

En se racontant, Thomas Meunier ne cesse de remuer son corps, les yeux posés loin.  » On touchait à tout : musique, architecture, peinture, dessin. Grâce à cette prof, je me suis rendu compte que j’avais une petite flamme pour l’art et que je devais l’entretenir, même si avec mon métier, ce n’est pas toujours facile « .Si, à Bruges, l’ancien attaquant reconverti en défenseur latéral dessinait encore très régulièrement après les entraînements, il reconnaît, un peu chagrin, que depuis son arrivée à Paris, c’est nettement plus difficile. D’autant qu’il est papa depuis dix-sept mois.  » Mais je n’ai pas dit mon dernier mot « , précise-t-il, déterminé.  » Comme pour le piano. Un jour, je saurai en jouer.  » Il joint alors ses longs doigts fins et, menton dans les mains, attend la prochaine question.

Le son des formes

Son premier coup de coeur, c’est Jaune, Rouge, Bleu, de Vassily Kandinsky.  » De toutes les oeuvres que j’ai choisies, celle-ci me ressemble le plus. Elle est pleine de couleurs, de jovialité. En un mot, c’est une oeuvre qui sourit. Sans entrer dans les détails du courant auquel il appartient, on ne peut pas évoquer Kandinsky sans le rapprocher de la musique, une autre de mes passions. J’écoute de tout, tout le temps. Je suis assez éclectique. Même si ma musique préférée reste la house. Vous savez, la house, c’est un peu comme un Kandinsky : dans un morceau comme dans une de ses toiles, c’est une infinité de sons et de formes qui se dévoilent. C’est en ça que ce sont des genres si forts… Une grande variété artistique mais cadrée dans une ligne directrice, oui, ça, c’est mon truc.  »

Une personnalité riche et variée que le footballeur pense avoir développée grâce à une éducation plutôt préservée. Pas à la dure, mais avec des principes :  » Comparé à d’autres gosses qui, dès leurs 7 ans, sont confinés dans un univers école/foot avec le ballon comme seule référence, j’ai clairement eu de la chance d’avoir une adolescence normale ! D’abord l’école et ensuite le foot, c’était le deal avec mes parents. Et comme l’école passait avant, j’ai bénéficié d’une grande ouverture vers l’extérieur, avec des sorties et des amis. Tout ça m’a humainement beaucoup enrichi.  »

Pour sa seconde oeuvre, Thomas Meunier vous laisse le choix, du moment que c’est  » un Banksy « . Avant de lancer :  » Vous avez vu l’oeuvre qu’il vient de réaliser à Douvres ? C’est exceptionnel !  » L’international belge plonge alors sur son portable pour en retrouver l’image, tout content, à l’idée de vous faire découvrir la fresque murale créée il y a quelques jours par l’artiste britannique, et qui pourrait être rasée. Thomas l’a découverte sur un site Internet d’actualité qu’il consulte quotidiennement. Passionné d’info, il se serait bien vu journaliste ou communicant si le foot, son grand rêve d’enfant, n’en avait pas décidé autrement. Il reprend sur cet opus représentant un ouvrier qui, burin en main, entreprend la destruction d’une étoile du drapeau européen.  » C’est une image très forte. A elle seule, elle résume tout le bordel que nous connaissons aujourd’hui. Ici, c’est le Brexit mais elle évoque autant la situation en Italie, en Hongrie ou même en France, tous ces pays gangrénés par les partis populistes… Et c’est bien tout le talent de Banksy : il colle parfaitement à l’actualité mais sans céder à des représentations faciles. Avec lui, pas de polémique, c’est juste de la poésie et de la romance mais qui font tellement sens, que ses oeuvres finissent par mettre tout le monde d’accord.  »

La hantise du temps

Pour terminer :  » Les montres molles « , de Dali (La Persistance de la mémoire). Ce tableau, Thomas Meunier l’adore tant les montres du maître espagnol du surréalisme semblent avoir le pouvoir d’arrêter le temps.  » C’est ma hantise, le temps. J’ai constamment l’impression d’en manquer, au foot, avec ma famille ou avec mes amis. Et quand j’ai du temps, je n’arrive pas à me sentir à l’aise, même si je suis en vacances quinze jours ; dès le premier, j’angoisse à l’idée qu’il ne m’en reste plus que quatorze.  » Et des vacances, le défenseur du PSG en a peu :  » Tout le monde pense que les joueurs de foot gagnent beaucoup d’argent et n’en foutent pas une. C’est totalement faux, c’est un métier qui exige énormément de concessions. En pleine saison, il arrive souvent qu’on n’ait même pas une demi-journée de repos sur trois mois. Au début, c’est très dur. Puis, on s’habitue.  » Et question vie sociale, n’en parlons pas :  » Même une soirée au restaurant, c’est mission impossible à Paris. Ici le PSG, c’est de la folie, les gens vous reconnaissent partout.  » Célèbre aujourd’hui, Thomas Meunier ne fanfaronne pas pour autant.  » Les gens me trouvent naturel et sympa, ça me fait plaisir bien sûr. Mais des gars comme moi, il y en a mille dans la rue, la seule différence, c’est que je joue au foot. Il y a deux mois, j’ai réussi à passer une journée au carnaval de La Roche-en-Ardenne avec mes proches, j’étais déguisé des pieds à la tête. Incognito, j’ai sans doute passé une des plus belles journées de ma vie.  »

A la question du rôle de l’art, Thomas réfléchit un instant. Puis :  » L’art, c’est plus fort que les mots. En une image, vous comprenez tout d’une situation, que ce soit la guerre d’Espagne avec le Guernica de Picasso ou le Brexit avec Banksy. Pour moi, c’est la meilleure manière d’apprendre mais aussi de communiquer.  »

Dans notre édition du 26 mai : Frédéric Saldmann.

PAR MARINA LAURENT – PHOTO : DEBBY TERMONIA

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