Avril 2012. Charles Ghislain (à dr.) accompagne, en visite officielle à Rome, Didier Reynders. C'est au cours de cette visite que ce dernier a signé un accord de coopération avec l'Ordre de Malte. © BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Le mail qui implique Reynders

 » Le ministre m’a passé un sacré savon.  » Didier Reynders était très irrité des soupçons exprimés à l’égard de Jean-François Etienne des Rosaies, cet ex-conseiller élyséen impliqué dans le Kazakhghate. C’est ce qui ressort d’un mail de 2014 que dévoilent Le Vif/L’Express et De Standaard.

Jean-Claude Fontinoy, le fidèle bras droit de Didier Reynders, a-t-il menti, devant la commission d’enquête parlementaire sur la transaction pénale, à propos de Jean-François Etienne des Rosaies ? Interrogé le 10 mai sur ce conseiller de l’ombre de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, il a reconnu l’avoir rencontré à plusieurs reprises à partir d’octobre 2013 mais a juré ses grands dieux qu’à l’époque il ne savait rien de l’implication de celui-ci dans le scandale du Kazakhgate, pourtant déjà révélé par la presse française et belge depuis fin 2012.  » Je ne le savais pas, je le jure « , a affirmé l’expert du ministre libéral des Affaires étrangères aux députés devant lesquels il venait de prêter serment.

 » Lorsqu’il m’a téléphoné en octobre 2013, a-t-il déclaré, c’était pour le projet d’anoblissement de George Forrest (NDLR : l’homme d’affaires belge, dont des Rosaies est un proche). J’ai demandé à ma secrétaire de voir qui il était, car je ne pouvais recevoir n’importe qui. Elle m’a appris qu’il était conseiller spécial du grand chancelier de l’Ordre de Malte. Elle ne m’a pas donné d’articles de presse sur le Kazakhgate. J’ignorais alors tout cela, je vous en donne ma parole.  » Georges Gilkinet a alors insisté :  » Personne ne vous a alerté non plus au niveau diplomatique sur ce des Rosaies ? « , a demandé le député Ecolo.  » Non, personne. Non « , a répondu Fontinoy.

Gilkinet faisait notamment référence à une enquête du Vif/L’Express et du Standaard qui, en novembre dernier, révélait que Fontinoy avait mobilisé des milieux diplomatiques autour de la personne d’Etienne des Rosaies, à l’automne 2013. Interrogé par nos soins, Fontinoy avait tout nié en bloc et prétendu n’avoir jamais vu ni entendu des Rosaies… Devant la commission, il a donc reconnu l’avoir reçu à plusieurs reprises, mais sans rien savoir de son implication dans le Kazakhgate. Dit-il vrai ? Difficile de le croire, après le témoignage, ce 15 mai devant la commission, de Charles Ghislain, l’ancien ambassadeur de Belgique auprès du Vatican.

En effet, Ghislain a confié aux parlementaires qu’il avait bien envoyé un mail à Jean-Claude Fontinoy, en date du 5 novembre 2013, dans lequel il lui expliquait clairement que  » Monsieur Etienne  » était lié à  » l’affaire Chodiev  » et avait  » plongé notre ami Armand De Decker dans un grand embarras « . En l’informant de cette manière, l’ambassadeur répondait à une demande de Fontinoy qui cherchait à savoir si des Rosaies était bien le conseiller spécial du grand chancelier Jean-Pierre Mazery, comme l’indiquait la carte de visite qu’il avait reçue. A cette époque, la Belgique s’apprêtait à reconnaître diplomatiquement l’Ordre de Malte. Bref, Fontinoy ne pouvait ignorer qui était vraiment des Rosaies.

Mais il y a beaucoup plus interpellant. Visiblement, les renseignements zélés de l’ambassadeur sur Etienne des Rosaies n’ont pas eu l’heur de plaire au ministre Reynders lui-même. Le 15 mai, évoquant un autre mail de l’ambassadeur, Dirk Van der Maelen (SP.A), le président de la commission, a demandé à Charles Ghislain si, lors d’un passage ultérieur à Bruxelles, il ne s’était pas  » fait passer un savon  » par le ministre pour avoir critiqué Etienne des Rosaies. Devenant soudain blême, le diplomate a botté en touche, exigeant de pouvoir répondre à cette question, un autre jour, à huis clos en présence de son avocat. Le Vif/L’Express et De Standaard ont mis la main sur ce mail qui date du 13 janvier 2014.

Ce courriel est adressé à François de Kerchove, à l’époque chef de cabinet des Affaires étrangères, aujourd’hui ambassadeur à l’Otan. Ghislain, dont il est le confident, indique avoir vu le ministre qui lui a passé  » un sacré savon  » à propos de rumeurs qui doivent s’arrêter.  » Il était vraiment fâché « , continue-t-il, avant de préciser :  » Je croyais alors qu’il ne s’agissait à nouveau que de la prétendue insulte faite à Jean-Claude (NDLR : Fontinoy) et des soupçons que j’ai exprimés quant à la parfaite probité de M. Jean-François Etienne des Rosaies, apparemment un ami très cher du grand chancelier Mazery.  » Tout est dit dans ce dernier bout de phrase… qui implique Didier Reynders. On comprend mieux, à sa lecture, pourquoi l’ambassadeur (lui-même MR) a blêmi, lorsque Van der Maelen l’a évoqué.

Cela signifie donc que Reynders était au courant, fin 2013 – début 2014, des démarches de des Rosaies auprès du cabinet. On peut aussi déduire de ce mail que les soupçons évoqués par le diplomate à l’encontre du conseiller spécial du grand chancelier irritaient le ministre MR. Cela lui a visiblement causé de solides ennuis, alors qu’il s’était contenté d’informer Fontinoy sur ce qu’avait écrit la presse à propos de l’implication de des Rosaies dans le Kazakhgate. Pas seulement des remontrances, d’ailleurs.

Dans son mail, Ghislain, qui arrive en fin de mandat à l’ambassade du Vatican, évoque son espoir de rempiler pour un an :  » J’écris à P&O (NDLR : service Personnel & Organisation) depuis deux ans au moins que je souhaite être dans le mouvement 2014.  » Or, le 22 mai de cette année-là, il est déchargé de ses fonctions et nommé adjoint au comité interministériel pour la politique de siège (relations entre la Belgique et les organisations internationales), avant sa mise à la retraite le 1er décembre 2016. Pas vraiment une fin de carrière glorieuse…

Tout cela confirme, par ailleurs, la teneur du mail envoyé par Etienne des Rosaies à Jean-Pierre Mazery, le 11 décembre 2013, et révélé par la RTBF, il y a cinq mois. Dans ce courriel, le conseiller de Sarkozy parlait des  » propos outranciers tenus par l’ambassadeur de Belgique au Vatican, qui est sanctionné par Didier Reynders « , avant d’évoquer :  » L’estime et les liens qui me lient tout particulièrement au président Jean-Claude Fontinoy, homme lige auprès de Didier Reynders.  » Il semble indispensable que la commission Kazakhgate réentende Fontinoy et l’ambassadeur Ghislain. Mais, surtout, l’audition de Didier Reynders, qui dans une lettre à la commission s’est défendu d’avoir eu le moindre contact avec un des protagonistes du dossier Chodiev, est de plus en plus attendue…

Par Thierry Denoël et Nicolas De Decker

Le ministre MR était au courant des démarches de des Rosaies au cabinet

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