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Dix erreurs politiques que les francophones paient toujours : l’extension du métro bruxellois

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Face à la congestion de la capitale, les pouvoirs publics misent à nouveau, depuis dix ans, sur le développement du réseau métro. L’investissement prévu permettrait pourtant de financer des solutions plus efficaces et plus rentables.

Ceci n’est pas un réquisitoire. C’est un constat. Dans plusieurs secteurs, depuis des années, et parfois plus que ça, la réalité belge (surtout francophone) est au pire désolante au mieux problématique. De grands projets jamais aboutis, des difficultés budgétaires récurrentes, des modernisations inexistantes, des querelles de clocher, des communautés hermétiques les unes aux autres, des pléthores qui se transforment en manques, des politiques de mobilité catastrophiques, des stratégies énergétiques qui tournent au fiasco… Beaucoup de choses se réalisent, des progrès ont lieu, des initiatives positives se révèlent des succès mais, ne nous mentons pas, les raisons de s’arracher les cheveux sont nombreuses.

Ces situations sont souvent typiquement belges. Parce qu’elles résultent de décisions prises dans un contexte qui nous était tout particulier. Le Vif/L’Express en épingle dix. Dix décisions politiques, récentes ou lointaines, qu’on est en droit, aujourd’hui, de considérer comme mauvaises. Comme ayant provoqué les blocages, les échecs, les faillites, les casse-tête auxquels nous sommes confrontés au quotidien.

Nous les énumérons. Nous rappelons le contexte qui y a présidé. Nous en décryptons les conséquences. Et nous proposons la ou les solutions qui permettraient de ne plus en payer le prix.

Le contexte

Capacité, rapidité, régularité. Fort de ces trois atouts, le métro est à nouveau  » vendu « , depuis une dizaine d’années, comme la solution idéale pour répondre aux défis de la mobilité et de la pression démographique à Bruxelles. C’est aussi une question de rayonnement international : ne faut-il pas offrir à la ville un réseau de métro digne d’une grande capitale européenne ? En 2008, la Région a présenté son plan Iris II de déplacement, qui énonçait une batterie de mesures pour réduire le trafic automobile. Les projets d’extension du réseau de transport public souterrain ont été ressortis des cartons. Les autorités régionales et fédérales ont décidé de donner la priorité à une liaison nord-sud, via le centre-ville.

Dans un premier temps, il est prévu de prolonger le métro de la gare du Nord jusqu’à la gare Bordet, à Evere, afin de desservir les quartiers du nord-est (Schaerbeek). Un tunnel de 4,4 kilomètres de long devra être foré et sept nouvelles stations seront creusées. En 2015, la Région a validé le plan de Beliris, le fonds fédéral d’investissement pour Bruxelles, appelé à contribuer au financement du chantier. Les travaux s’étaleront en principe de 2019 à 2025. En parallèle, le prémétro qui relie la gare du Nord à la station Albert, à Forest, sera converti, à l’horizon 2021, en métro. Cette phase-là du projet sera intégralement prise en charge par la Région. Au total, le coût de la réalisation de la nouvelle  » ligne 3  » atteindra 1,8 milliard d’euros, selon l’estimation du cabinet du ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort.

Par ailleurs, une étude déterminera s’il y a lieu de prolonger, après 2020, cette ligne de métro lourd vers Uccle. Plus largement, la dernière mouture du Plan régional de développement durable (PRDD) énumère les pistes pour un  » maillage optimal du réseau à l’horizon 2040  » : le métro Sud entre le centre-ville et Uccle, mais aussi un métro Ouest de Simonis à Grand-Bigard, une rocade Ouest entre Laeken et le nord d’Anderlecht, et un métro Est en moyenne ceinture de Schaerbeek à Forest, via Ixelles.

Le constat

Confrontée aux embouteillages qui engluent trams et bus et à la mauvaise volonté des communes à leur faire de la place en voirie, la Stib mise donc sur le développement de son réseau souterrain. Le métro est présenté comme le transport public chouchou des usagers, car indépendant des aléas de surface. Si l’investissement est énorme au départ, les coûts d’exploitation peuvent être avantageux, estiment certains experts. Surtout, le métro automatique sans conducteur (projet reporté au-delà de 2025) réduira, à terme, le coût de la main-d’oeuvre. En juin dernier, L’Echo et le bureau Stratec ont relancé le débat en défendant l’idée que Bruxelles dispose, en 2040, d’un réseau métro de huit lignes, au lieu des quatre actuelles, pour un coût évalué à 12 milliards d’euros. Brieuc de Meeûs, patron de la Stib, estime toutefois que la création de lignes  » doit se justifier du point de vue socio-économique et démographique « . Il se demande si l’investissement  » en vaut la peine pour les fréquentations attendues « .

Selon les spécialistes, un métro ne s’impose qu’à partir d’une demande de 10 000 voyages par heure et par sens. C’est au-delà de ce seuil que l’exploitation du métro devient plus rentable que celle du tram. Or, les simulations révèlent que, même pour les lignes vers Schaerbeek-Evere et Uccle, on est loin du compte, y compris en intégrant un potentiel de croissance. Isabelle Pauthier, directrice de l’Atelier de recherche et d’action urbaines (Arau), met en cause les sociétés d’ingénierie auxquelles les pouvoirs publics ont confié l’étude de faisabilité du métro Nord :  » Certains membres du consortium, qui avaient tout intérêt à voir le projet se réaliser, ont évacué les alternatives légères et en surface.  »

Les bétonneurs, pour qui le salut en temps de crise passe par les travaux d’infrastructure, font miroiter les performances des métros de Londres, Paris ou Madrid.  » Nul doute que dans ces capitales-là, un grand réseau de transport souterrain est nécessaire, reconnaît Claire Scohier, d’Inter-Environnement Bruxelles. Mais les experts sont nettement plus mitigés pour une ville comme la nôtre, moins peuplée et moins dense.  » Autre handicap du métro : il ne touche qu’une petite portion du territoire et accroît donc les  » ruptures de charge  » (correspondances).  » De plus, enterrer le transport public, c’est libérer la surface au profit de la voiture, donc faire marche arrière par rapport à l’objectif régional de diminuer de 20 % la pression automobile « , dénonce Claire Scohier. Même le ministre bruxellois de la Mobilité Pascal Smet (SP.A), membre d’un gouvernement qui a décidé l’extension du métro, se demande si poursuivre le maillage du réseau n’est pas  » une folie totale, sachant que, d’ici quinze ans, les véhicules automatiques vont bouleverser nos modes de déplacements en ville.  »

La solution

Coût élevé du projet, chantiers de grande ampleur, lenteur d’exécution des travaux, réseau de la Stib chamboulé… : la décision de créer de nouvelles lignes de métro est lourde de conséquences pour Bruxelles et ses habitants. Le budget du métro Nord et de ses aménagements de surface pourrait mettre la Région à genoux financièrement. Les dépenses pour ce type d’infrastructures sont presque toujours sous-estimées. A Lille, le budget de construction du métro a été multiplié par dix par rapport aux prévisions.

Une analyse coûts-bénéfices de la politique de  » métroïsation  » conduit à se demander pourquoi des solutions alternatives moins onéreuses n’ont pas été adoptées. Sous sa première législature, Pascal Smet admettait volontiers qu’  » avec le prix d’un kilomètre de métro, on peut faire dix kilomètres de tram « . Pour Isabelle Pauthier, directrice de l’Arau,  » mieux vaut des trams plus efficaces demain qu’un métro ruineux dans dix ans. Il est plus réaliste financièrement de faire du tram partout où les voiries le permettent, et du bus ailleurs. Ils doivent être ponctuels et fréquents, y compris en dehors des heures de pointe.  » Claire Scohier plaide pour  » un réseau dense de trams en site propre, option plus performante, moins coûteuse et moins destructrice du tissu urbain que le métro.  » Une solution privilégiée aujourd’hui en France, en Allemagne, aux Pays-Bas… Ou comment ne plus enterrer l’usager des transports en commun.

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