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10 erreurs politiques que les francophones paient toujours (1/10)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Trois communautés et trois régions. Une Belgique ultracompliquée. Un pays transformé en un monstre institutionnel. Une construction qui s’explique, historiquement. Et qui n’est pas prête d’être simplifiée.

Ceci n’est pas un réquisitoire. C’est un constat. Dans plusieurs secteurs, depuis des années, et parfois plus que ça, la réalité belge (surtout francophone) est au pire désolante au mieux problématique. De grands projets jamais aboutis, des difficultés budgétaires récurrentes, des modernisations inexistantes, des querelles de clocher, des communautés hermétiques les unes aux autres, des pléthores qui se transforment en manques, des politiques de mobilité catastrophiques, des stratégies énergétiques qui tournent au fiasco… Beaucoup de choses se réalisent, des progrès ont lieu, des initiatives positives se révèlent des succès mais, ne nous mentons pas, les raisons de s’arracher les cheveux sont nombreuses.

Ces situations sont souvent typiquement belges. Parce qu’elles résultent de décisions prises dans un contexte qui nous était tout particulier. Le Vif/L’Express en épingle dix. Dix décisions politiques, récentes ou lointaines, qu’on est en droit, aujourd’hui, de considérer comme mauvaises. Comme ayant provoqué les blocages, les échecs, les faillites, les casse-tête auxquels nous sommes confrontés au quotidien.

Nous les énumérons. Nous rappelons le contexte qui y a présidé. Nous en décryptons les conséquences. Et nous proposons la ou les solutions qui permettraient de ne plus en payer le prix.

Le constat

Trois Régions. Trois Communautés. Neuf gouvernements et dix parlements. Plusieurs dizaines de ministres, avec des doubles ou triples casquettes. Par étapes successives, depuis 1970, la Belgique fédérale s’est transformée en un sac de noeuds institutionnel. Opaque pour le citoyen. Et de plus en plus ingérable pour les politiques, tant les compétences ont été réparties, au fil du temps, de façon floue et incohérente. Le casse-tête est d’autant plus insoluble qu’il n’y a pas de hiérarchie des normes : contrairement à d’autres systèmes fédéraux, aucun niveau de pouvoir ne peut imposer ses vues aux autres – pas même le fédéral. Le comité de concertation, l’instance où tous les niveaux de pouvoir se réunissent pour trouver des compromis, est inopérant en raison des tensions en son sein.

Le fédéralisme de coopération espéré s’est transformé en un  » fédéralisme de méfiance « , soulignait Hugues Dumont, constitutionnaliste de l’université Saint-Louis, après le vote de la 6e réforme de l’Etat, en 2013. Notre Constitution actuelle regorge de mécanismes pour se protéger des agressions de  » l’autre « . Et est truffée d’incohérences rendant, à terme, une 7e réforme de l’Etat quasiment inéluctable.

10 erreurs politiques que les francophones paient toujours (1/10)
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Le contexte

Cet imbroglio d’une Belgique structurée selon deux modèles distincts est-il dû aux instigateurs des premières réformes de l’Etat, les Eyskens, Tindemans, Moureaux, Martens ou Dehaene ? Lorsque le Premier ministre Gaston Eyskens déclare, le 18 février 1970, que  » la Belgique de papa a vécu « , est-il conscient qu’il engage notre pays dans un demi-siècle de négociations communautaires quasi ininterrompues ?  » C’est une décision politique qui pouvait s’expliquer à l’époque « , tempère Min Reuchamps, politologue à l’UCL. Après deux décennies de fortes tensions marquées par la Question royale en 1950, la grève de l’hiver 1960 contre la Loi unique, les marches flamandes sur Bruxelles et le  » Walen buiten  » de Louvain en 1968, la première réforme de l’Etat est même perçue comme une pacification bienvenue. Ce basculement accompagne en outre une évolution majeure : en 1966, la Flandre devient pour la première fois plus riche que la Wallonie.

La révision constitutionnelle de 1970 reconnaît trois Communautés culturelles (néerlandaise, française et allemande), ainsi que trois Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles). Ce qui s’explique.  » En 1970, après l’affaire de Louvain et l’arrivée sur la scène des partis communautaires, deux courants à l’origine d’inspiration relativement différente se rejoignent pour combattre ensemble l’Etat unitaire « , écrivait, en 1989, André Méan, journaliste à La Libre Belgique et auteur de plusieurs ouvrages pédagogiques consacrés aux réformes de l’Etat. Soucieux de retrouver leur autonomie culturelle et linguistique après des années de domination francophone, les Flamands privilégient l’approche communautaire. Désireux d’obtenir les outils pour enrayer leur déclin économique, les Wallons optent pour l’approche régionale. Le compromis engendre un  » monstre à deux têtes « .

La dynamique communautaire flamande, démographiquement majoritaire, est toutefois la plus forte. Les communautés culturelles voient le jour très vite, en 1971, puis élargissent leur champ d’action aux matières  » personnalisables « , dont l’enseignement. Tandis que les Régions flamande et wallonne doivent attendre 1980 pour apparaître, Bruxelles devant même patienter jusqu’en 1989 pour sortir du frigo, la Région capitale n’ayant jamais été entièrement acceptée au nord du pays. Comme pour brouiller définitivement les pistes, la Flandre fusionne rapidement Région et Communauté. Avec la volonté, au sein des partis nordistes, de mettre en place un match à deux : Flandre contre Wallonie.

Les solutions

La N-VA, qui a grandi en profitant des blocages institutionnels des années 2007-2011, veut pousser cette logique bicéphale à son terme pour simplifier un système bien trop enchevêtré. En janvier 2014, elle a adopté un projet très cohérent visant à faire de la Belgique un Etat  » confédéral « , Bruxelles étant cogérée par les deux principales Communautés.  » C’est l’expression même de la Belgique « coquille vide » que je crains depuis des années, décrypte le constitutionnaliste Hugues Dumont. La confédération belge serait la plus vide de compétences de toutes celles qui ont existé depuis la nuit des temps.  » Ce serait, somme toute, un séparatisme qui ne dit pas son nom, une façon pour la N-VA de saper les fondations du pays en gardant Bruxelles.

Un mythe romantique ? Peut-être. Min Reuchamps ne croit pas trop à la concrétisation de ce scénario  » qui n’est vraiment soutenu en Flandre que par la N-VA et le Vlaams Belang « , le CD&V et l’Open VLD ayant opéré un virage significatif après avoir un moment défendu une forme de  » confédéralisme « .  » Pour les francophones, une construction institutionnelle à deux induit un rapport de forces préjudiciable, prolonge le politologue de l’UCL. Un équilibre à plusieurs s’impose. Il fut un temps où l’on parlait même d’un fédéralisme provincial…  »

Aujourd’hui, c’est la thèse d’une Belgique à quatre Régions – Flandre, Bruxelles, Wallonie, Communauté germanophone – qui tient la corde. L’idée avait été popularisée au début des années 2010 par le ministre-président germanophone de l’époque, Karl-Heinz Lambertz. En plein blocage du pays, Didier Reynders (MR) et Johan Vande Lanotte (SP.A) avaient, eux aussi, défendu l’idée lors de leurs missions respectives d’informateur et de conciliateur royaux. Au cours de la législature actuelle, d’influents parlementaires libéraux et socialistes francophones ont plaidé pour une régionalisation des compétences communautaires francophones. C’est la victoire confirmée du fait régional.

L’idée suscite toutefois des résistances, tant au PS qu’au MR. Des craintes subsistent aussi sur la capacité pour la capitale à gérer financièrement une matière  » mammouth  » comme l’enseignement, au sein du  » petit poucet  » que reste la commission communautaire française (Cocof).  » Le projet d’une  » Belgique à quatre  » exige de mener une réflexion approfondie, tant du côté francophone que flamand, sur la nature des liens entre les deux grandes Communautés du pays et la Région de Bruxelles-Capitale, ainsi qu’une réflexion sur l’organisation interne de cette dernière, soulignait dans une étude, en février 2015, le Centre Jean Gol, service d’études du MR. La Belgique à quatre permettrait toutefois de substantielles économies en supprimant plusieurs assemblées parlementaires et plusieurs gouvernements, avec leurs cabinets et administrations. Le système institutionnel belge s’en trouverait grandement simplifié et le citoyen y verrait plus clair.  »

 » Mais ça pourrait bouger en 2019 « , souligne pourtant Min Reuchamps. Certains pans de l’enseignement, comme le technique et le professionnel, pourraient être transférés de la Communauté française vers les Régions – c’est possible, sans réforme de l’Etat. Idem pour un poids lourd : les deux hôpitaux universitaires à Bruxelles. Pas question, pour autant, de simplifier drastiquement ce  » monstre à deux têtes « .  » Il correspond aussi à une réalité complexe, conclut le politologue. Et il ne faut pas croire que ce soit forcément plus simple ailleurs : en France aussi, il y a une sacrée lasagne institutionnelle.  »

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