Le 10 avril dernier, Emmanuel Macron est reçu par le président guinéen Alpha Condé, en visite officielle à Paris. " Les deux hommes se tutoient ", constate Hervé Bourges. © twitter emmanuel macron

« Proeuropéen, Macron attache aussi une grande importance aux relations avec l’Afrique »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

A 84 ans, l’ancien personnage clé de l’audiovisuel français Hervé Bourges, fin connaisseur de l’Afrique où il a vécu une quinzaine d’années, lui consacre un Dictionnaire amoureux. Impressionné par le parcours d’Emmanuel Macron, il confie que le nouveau locataire de l’Elysée connaît bien certains dirigeants africains et voit en l’Afrique le continent de l’avenir.

Le mitterrandien que vous étiez à l’époque où vous dirigiez les chaînes publiques françaises se désole-t-il de l’effondrement du PS, en voie d’éclatement ?

Je vis dans un pays traditionnellement conservateur, où la droite est largement majoritaire dans l’opinion. Sans la personnalité forte de François Mitterrand, qui est parvenu à unifier la gauche, celle-ci ne serait pas arrivée au pouvoir en 1981. Cette gauche est aujourd’hui plus morcelée que jamais, tandis que les forces conservatrices et nationalistes se déploient. Au second tour de la présidentielle, la candidate du Front national a doublé le score réalisé par son père en 2002. Comme d’autres partis et comme les syndicats, le Parti socialiste n’a pas su se renouveler, s’adapter au monde actuel. Avec La République en marche s’ouvre une nouvelle ère politique. Qui aurait cru en Emmanuel Macron il y a un an, quand il a lancé son mouvement ? On a alors parlé de  » bulle « , qui éclaterait vite. Voyez où il en est. Je souhaite qu’avec lui la France retrouve sa place de grande puissance, au sein de l’Union européenne. J’espère qu’elle va jouer un rôle majeur dans les relations Nord-Sud. L’Afrique attend un geste.

Le nouveau président français intrigue les dirigeants africains avec lesquels vous êtes resté en contact ?

Tout récemment, deux chefs d’Etat africains m’ont téléphoné pour me demander de leur parler d’Emmanuel Macron, qui s’intéresse lui-même beaucoup à l’Afrique. C’est, comme il le dit fort justement, le continent de l’avenir. Même si certains pays africains souffrent encore de la dictature, de la famine ou du terrorisme, le continent est en train de connaître une transformation sans précédent, avec un essor des classes moyennes, du secteur privé, des technologies, du numérique, et une croissance continue depuis quinze ans qui a de quoi faire pâlir d’envie la plupart des pays européens. Lors du passage à l’an 2000, on comptait moins de lignes téléphoniques sur tout le continent africain que dans la seule ville de Manhattan. Aujourd’hui, il y a deux fois plus de portables en circulation sur le continent qu’il ne compte d’habitants. Cela donne la mesure de la rapidité des mutations en cours. Le nouveau président français veut que s’établisse un partenariat ambitieux entre son pays et l’Afrique, une relation qui s’inscrive dans la vocation européenne de la France.

Hervé Bourges.
Hervé Bourges.© Philippe Matsas/Reporters

La Françafrique, réseaux d’influence français dans les anciennes colonies, existe- t-elle encore aujourd’hui ?

C’est une histoire dépassée, un vaisseau fantôme. Les réseaux ont vieilli, les hommes sont presque tous partis et le néocolonialisme s’éteint progressivement du fait de la mondialisation. Il est temps pour la France d’abandonner ses chimères interventionnistes, à une époque où la Chine, l’Inde, la Turquie, les Etats-Unis, le Brésil, l’Allemagne, la Corée du Sud et, depuis 2016, le Japon s’intéressent de près au continent africain et y investissent massivement. La France peut élaborer, avec l’Europe, une grande politique africaine en édifiant des partenariats de développement dans les domaines de l’eau, de l’électricité, de l’éducation, de la santé, de l’environnement.

Jeune énarque, Emmanuel Macron a fait un stage de plusieurs mois au Nigeria. Puis, en tant que ministre de l’Economie, il a rencontré des responsables sud-africains, nigérians, ivoiriens, sénégalais… Que savez-vous de ses relations avec les dirigeants africains ?

Des personnes de l’entourage de Macron m’ont confirmé que le nouveau locataire de l’Elysée connaît très bien certains d’entre eux. Le mois dernier, lors de sa visite officielle à Paris, le président guinéen Alpha Condé, président en exercice de l’Union africaine, a rencontré le candidat d’En marche ! A cette occasion, je me suis rendu compte que les deux hommes se tutoyaient. Emmanuel Macron a aussi eu des contacts au plus haut niveau au Sénégal. L’incontournable porte-parole du vainqueur de la présidentielle, Sibeth Ndiaye, 37 ans, est une Sénégalaise naturalisée française il y a moins d’un an. Présente lors de tous les déplacements de Macron, elle fait partie de sa garde rapprochée. Elle a facilité les relations de son patron avec les milieux dirigeants à Dakar, ville où je me suis rendu moi-même à de nombreuses reprises. Les funérailles du président-poète Léopold Sédar Senghor, en décembre 2001, marquaient déjà mon 75e voyage à Dakar !

Vous êtes allé aussi très souvent à Alger. Vous avez même été l’un des conseillers du président Ahmed Ben Bella dans l’Algérie indépendante. En février dernier, le candidat Macron, en visite dans ce pays, a qualifié la colonisation française de  » crime contre l’humanité « . Surpris ?

Ces propos, tenus lors d’un entretien sur une chaîne de télévision algérienne, ont choqué certains milieux en France. Des parlementaires de droite ont parlé de  » faute politique  » et le FN a accusé Macron de  » détester  » la France. Pour autant, le candidat d’En marche ! n’est pas revenu sur ses déclarations. Et je peux vous dire qu’elles ont surpris positivement des dizaines d’amis africains avec lesquels je suis en contact. Ils m’ont téléphoné pour me dire leur satisfaction d’entendre pour la première fois un homme politique français qualifier la colonisation de  » crime contre l’humanité « . François Hollande, et avant lui Jacques Chirac, n’ont jamais eu des mots qui allaient aussi loin. Les deux chefs d’Etat africains dont je vous ai parlé m’ont même dit leur espoir de voir s’ouvrir une nouvelle page dans les relations franco-africaines.

Le débat sur la repentance monte depuis plusieurs années. Que vous inspire-t-il ?

Comme Emmanuel Macron, je ne m’inscris pas dans la repentance. Toutefois, la connaissance du passé colonial et la reconnaissance des violences commises doivent aider à construire un avenir apaisé. C’est vrai pour les relations franco-algériennes comme pour les relations belgo-congolaises. Je rêve du jour où des historiens français et algériens, belges et congolais travailleront à élaborer une histoire commune, qui serait ensuite adoptée officiellement par les Etats. On éviterait ainsi de ressortir les contentieux du passé chaque fois qu’il y a des tensions entre pays africains et anciennes puissances colonisatrices. Quand la Belgique critique les dérives du régime congolais, celui de l’ancien président Mobutu ou ceux des Kabila père et fils, Kinshasa a plus d’une fois répondu à Bruxelles que l’ex-colonisateur n’avait pas de leçons à donner. Plus d’un demi-siècle après les indépendances, il faut dépasser ce type de rapports.

La connaissance du passé colonial et la reconnaissance des violences commises doivent aider à construire un avenir apaisé »

Arrivé au terme de son second et dernier mandat, Joseph Kabila s’accroche au pouvoir, à l’instar de ses homologues rwandais, burundais, ougandais…, et cela en dépit des pressions occidentales. Comment améliorer les relations avec l’Afrique dans de telles circonstances ?

Personne n’aime renoncer au pouvoir et à ses avantages. Ne me prenez pas pour un afro-béat : je ne minimise pas les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés individuelles commises par de nombreux régimes africains. Parmi mes anciens élèves de l’Ecole supérieure de journalisme de Yaoundé, certains sont devenus ministres, mais d’autres se sont retrouvés en prison ou ont été exécutés. Je me sens d’ailleurs responsable d’avoir encouragé les jeunes journalistes africains que j’ai formés à se battre pour leur droit d’expression, ce qui a parfois eu pour eux de terribles conséquences. Deux remarques : les pays d’Afrique sont indépendants depuis une cinquantaine d’années seulement, tandis que nos démocraties occidentales ont plus de deux siècles d’existence. Ensuite, que signifie la liberté de la presse dans des pays dont la majorité de la population ne sait pas lire ou n’a pas les moyens de s’acheter un journal ? La démocratie va de pair avec le développement.

Dans votre Dictionnaire amoureux de l’Afrique (1), vous consacrez une entrée à Mobutu. La caricature du dictateur pillard ?

Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Au départ, je dois avouer qu’il m’a fait forte impression. Entre nous, j’ai même porté un temps l’abacost, le vêtement qu’il a imposé au Zaïre de 1972 à 1990. Cette abréviation de  » à bas le costume  » est la première entrée de mon Dictionnaire amoureux de l’Afrique. J’aimais beaucoup ce style vestimentaire, adapté aux climats africains et au-delà. J’ai endossé des vestes abacost à Paris, lors de mon retour d’Afrique, à l’Unesco et à Radio France internationale. Mobutu a eu le talent de faire émerger chez ses compatriotes un sentiment d’appartenance nationale. Au début, la  » zaïrianisation  » a été plutôt bien perçue. Elle a pris l’apparence d’une réappropriation nationale de l’économie et a laissé espérer une redistribution des richesses. Mais il s’agissait d’un tiers-mondisme illusoire. La révolution culturelle version congolaise s’est faite à la manière d’Ubu roi.

Bio Express

1933 Naissance à Rennes.

1956 Rédacteur en chef de Témoignage chrétien.

1962 Conseiller du président algérien Ben Bella.

1970 Directeur de l’école de journalisme de Yaoundé (Cameroun), puis de celle de Lille.

1981 Patron de RFI, TF1, RMC.

1992 Patron de France Télévisions.

1993 Ambassadeur de la France auprès de l’Unesco.

1995 Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

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