Birkin, jamais sans Gainsbourg. © Nico Bustos

Birkin, flamme fidèle

Après des années difficiles, Jane Birkin revient chanter Gainsbourg mais accompagnée cette fois d’un orchestre symphonique. Rencontre.

A maintenant 70 ans, Jane est plus Birkin que jamais. Elle conserve le même flot de paroles dodelinant, porté par cet accent british qui lui tient lieu d’unique coquetterie. Elle prononce toujours aussi divinement le mot  » divin « , affiche le même non-look, décoche les mêmes sourires bienveillants. Et, pour le coup, chante à nouveau Gainsbourg – c’est l’objet de la rencontre, la sortie de Birkin/Gainsbourg : le symphonique.

Retranché derrière des lunettes, seul le regard trahit vaguement la fatigue et les blessures accumulées ces dernières années. En 2013, l’aînée de ses filles, la photographe Kate Barry, décède tragiquement, en chutant du 4e étage de son domicile parisien. Foudroyée par le drame, Jane Birkin devra affronter ensuite la maladie : elle passera dix-huit mois à l’hôpital pour traiter une leucémie. De quoi chambouler les âmes les plus sereines, y compris celle qui a toujours donné l’impression de traverser les modes et les époques, les tourbillons et les agitations, avec la plus grande des légèretés.

Ces tréfonds, elle les a traversés recluse. Quand elle finira par émerger, en 2015, c’est sur scène qu’elle effectuera son retour. Non pas pour chanter, mais bien pour dire les textes de Gainsbourg, aux côtés de Michel Piccoli et Hervé Pierre.  » Cela m’évitait de parler. Et d’être quand même avec les gens. Mais pas trop. Et puis, j’étais avec Piccoli que je connais depuis toujours. Et Hervé que j’admire énormément. De les entendre chaque soir réciter à deux les Variations sur Marilou, c’était sublime.  »

Le spectacle l’emmènera à Montréal. C’est là que l’animatrice radio Monique Giroux reviendra sur les emprunts de Gainsbourg au classique et lui glissera l’idée de passer les chansons par le filtre d’un orchestre symphonique.  » Quand Serge allait piocher dans les compositeurs classiques, c’était comme s’il voulait nous donner le meilleur. Comme avec Baby Alone in Babylone(NDLR : qui emprunte l’un des thèmes de la symphonie n°3 de Johannes Brahms), alors qu’il était parfaitement capable d’écrire des musiques pour Les Dessous chics ou Fuir le bonheur… Même chose avec Charlotte et Lemon Incest(NDLR : Chopin), ou Bardot et Initiales BB (NDLR : Dvo?ák).  »

Tout se paie

Epaulée par Philippe Lerichomme, Jane Birkin contacte donc le Japonais Nobuyuki Nakajima pour s’occuper des arrangements.  » Je l’avais rencontré lorsque je m’étais rendue sur place, avec Kate, en solidarité après le tsunami et Fukushima. Je savais qu’avec lui, ce ne serait pas aussi banal que les orchestrations pour philharmonie que beaucoup de chanteurs ont déjà pratiquées. C’est souvent très beau, mais il n’y a pas toujours beaucoup de surprise. Alors que Nobu a tendance à piocher du côté des musiques de film, des comédies musicales, etc.  » Le projet prend forme, et l’idée de l’enregistrer à Shanghai se concrétise.  » Sauf que je n’ai pas obtenu le visa. A cause de mon soutien au dalaï-lama, j’imagine. Tout se paie !  » rigole-t-elle.

L’enregistrement aura finalement lieu à Varsovie. Le résultat sort aujourd’hui, proposant une vingtaine de morceaux. Si la relecture symphonique de répertoires chanson-pop-rock-variétés est devenue une sorte de figure imposée un poil tarte à la crème, au moins l’exercice a ici le mérite de la cohérence, voire de l’évidence. Les titres sont repris pour l’essentiel des disques de Birkin (Lost Song, Ex-fan des sixties, Baby Alone in Babylone, Amour des feintes, etc.), mais pas seulement. Viennent aussi se glisser des classiques comme La Javanaise, La Chanson de Prévert ou… Pull marine.  » Déjà, à l’époque, je l’avais repérée. Mais Serge m’avait tout de suite dit :  » Non, celle-là, elle est pour Adjani !  » En même temps, c’était bien fait pour ma gueule. Je l’avais quitté. Et malgré cela, il m’avait quand même encore écrit des chansons comme Les Dessous chics. J’étais mal placée pour me sentir blessée….  »

Lou aux barricades

La dernière fois que Jane Birkin a sorti un album original, c’était en 2008. Intitulé Enfants d’hiver, le disque la voyait prendre pour la première fois la plume, profitant de l’occasion pour revenir sur son passé et ses souvenirs d’enfance en Angleterre. Au-delà de la relecture symphonique, faut-il voir dans cette nouvelle compilation gainsbourgienne une autre opportunité de creuser son histoire ?  » Je n’y ai pas pensé « , explique-t-elle, avouant même avoir encore découvert de nouveaux messages codés dans les textes de son ex. Vraiment ? Elle n’a pourtant eu de cesse de les chanter, sur toutes les scènes, et dans plusieurs versions (Arabesque, par exemple, en 2002). Y compris celles qui ruminaient leur séparation – et qui, souvent, pour son malheur (?), sont aussi ses plus belles…  » J’aurais pu me libérer de ces chansons. Ou les refuser simplement sur le moment. Mais j’étais tellement soulagée qu’il veuille encore de moi que j’étais prête à chanter dans n’importe quelle circonstance. Et puis, peut-être que c’était aussi sa manière de me montrer qu’il était blessé. Au cas où je ne l’aurais pas compris (sourire). C’est bizarre, n’est-ce pas ?  »

On ne connaît en effet pas d’exemple similaire, ex-couple à la ville continuant de se retrouver à la scène. C’est donc l’histoire qui se poursuit avec cet exercice symphonique, qui occupera Jane jusqu’au moins l’année prochaine. Elle en est la première ravie.  » J’adore ça. Cela m’effraie de ne pas savoir où je vais. En fait, j’aurais aimé travailler dans la même chose tout le temps. Je vous assure que je suis beaucoup plus carrée que je n’en ai l’air.  » Dixit celle qui a fait de la chanson, du théâtre, du cinéma, etc.

A 70 ans, on a sans doute loupé sa vie si l’on n’est pas traversé de paradoxes. Birkin en est pétrie. Artiste engagée, qui a milité pour l’avortement, contre la peine de mort, etc., – mais qui ne revendique rien ( » Je n’ai pas fait grand-chose « ). Femme libre, qui n’aime rien tant que de se planquer derrière le pygmalion Gainsbourg. Quitte d’ailleurs à irriter sa fille Lou, par exemple.  » Cela fait partie de son combat féministe. A ce niveau-là, elle est plus forte que moi. Du coup, ça l’énerve quand on me voit juste comme la muse de Serge. Récemment encore, dans une interview, elle trouvait très gentiment que je valais mieux que ça. Elle m’a beaucoup défendue, en fait. C’est chic de sa part…  »

Jane Birkin, Birkin/Gainsbourg : le symphonique, distr. Warner. En concert, avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège, le 2 septembre prochain, au château de La Hulpe.

Par Laurent Hoebrechts

 » Je suis beaucoup plus carrée que je n’en ai l’air  »

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