Bénédicte Bayer, seule femme du bureau exécutif de Nethys. Un handicap ? "Au début, je ne le pensais pas, mais depuis deux ans et demi, je le ressens différemment." © Valentin Bianchi/ID Photo Agency

Bénédicte Bayer, Madame Publifin

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Avant son audition, personne ne la connaissait. Après, tout le monde la détestait. Bénédicte Bayer, directrice générale de Publifin, n’est pourtant pas (que) cette arrogante/combattante. Ni cette incompétente soumise à Stéphane Moreau. Mais un sacré caractère, sans aucun doute !

Et soudain, un éclat de rire. Face aux enquêteurs fouillant leurs bureaux, les occupants du septième étage de la tour Nethys n’étaient pourtant pas décontractés, en cette matinée du 9 mars.  » C’est impressionnant, une perquisition ! confie l’un des dirigeants présents. Mais elle, elle plaisantait avec les policiers. Pas par collusion. Parce qu’elle est comme ça.  » Sympa, quoi. Tout ce que Bénédicte Bayer donnait l’impression de ne pas être, une semaine plus tard devant la commission d’enquête du parlement de Wallonie. Les députés lui en ont peu laissé l’occasion, lui donnant du  » je suis atterré « ,  » j’avais cru comprendre que vous étiez directrice générale « ,  » je ne vous reproche pas votre fonction, mais j’ai ma petite idée sur la manière dont vous l’exercez « . La présidente Olga Zrihen en oubliera même sa placidité :  » Baissez le ton, s’il vous plaît !  »

La Liégeoise aussi ose un  » j’ai la parole, vous permettez ? « , décoche un  » ça ne vous regarde absolument pas « , va même jusqu’au  » je ne réponds plus, je suis fatiguée « . Coup pour coup, pendant sept heures trente. Quitte à paraître au mieux combattante, au pire arrogante. Voire incompétente.  » Elle n’est pas à sa place, darde le libéral Jean-Luc Crucke. Je n’ai pas perçu chez elle la psychologie nécessaire à une responsable des ressources humaines.  »  » Ses réponses étaient d’une faiblesse extraordinaire !  » souffle Dimitri Fourny (CDH). Stéphane Hazée (Ecolo) a, quant à lui, perçu  » un immense mépris à l’égard des travailleurs « .

Ces  » branleurs de mouches « , selon son expression, répercutée par la déléguée CGSP Christine Planus, à l’entame d’une audition savamment orchestrée. Au départ absents de l’agenda, les syndicats avaient été entendus à leur demande à huis clos, puis intégrés au programme de la journée.  » Par cohérence  » ou  » parce que des révélations étaient annoncées « , c’est selon. La tension montera en tout cas d’un cran.  » Les cheveux m’en tombaient « , confesse la déléguée CSC Olivia Gabriel, qui attendait de témoigner et qui ne reconnaissait pas cette description d’une direction méprisante et soumise à Stéphane Moreau.  » Je n’ai jamais constaté d’arrogance chez elle ! Elle est joviale, ouverte d’esprit, abordable.  »

Devant la commission d'enquête, la déléguée syndicale Christine Planus dresse un portrait peu flatteur de Bénédicte Bayer.
Devant la commission d’enquête, la déléguée syndicale Christine Planus dresse un portrait peu flatteur de Bénédicte Bayer.© Didier Lebrun/photo news

« Comme le lait qui bout »

Et franche. Prête à déborder,  » comme le lait qui bout « .  » Elle n’a jamais tourné sa langue sept fois avant de parler, brosse un membre du bureau exécutif de Nethys. Elle aurait pu être méditerranéenne ! Mais la forme peut desservir le fond.  » Oui,  » branleurs de mouche « , elle l’a dit, piquant une expression chère à Michel Daerden pour commenter le licenciement d’un travailleur à la productivité discutable.  » Isoler cette phrase, c’est lui faire un faux procès, considère Vincent Jadot, ancien permanent CSC. Ce n’est pas de la méchanceté, plutôt de la maladresse.  » Comme quand elle lâche à un journaliste du Soir qui l’appelait, quelques jours avant son audition, qu’elle gagnait  » moins par minute que les ouvriers les moins bien payés « . Depuis, Bénédicte Bayer apprend à manier le  » off  » pour se protéger d’autres  » boutades mal placées « . Elle concède volontiers :  » Je n’ai pas un caractère facile.  » D’apparence  » pleine d’aplomb et trop sûre d’elle « , comme la dépeint un ancien.

 » Béné  » débarque au sein de l’intercommunale en janvier 2008, comme cheffe de cabinet de Stéphane Moreau. Les deux se fréquentent depuis leur collaboration à la Ville de Liège dans les années 1990. Elle était alors conseillère en organisation, lui officiait comme bras droit du bourgmestre. Pour l’anecdote, il s’était opposé à son recrutement. Deux caractères trop forts pour s’entendre. Mais, en 2003, devenu échevin à Ans, c’est lui qui la nomme secrétaire de cabinet et responsable des affaires économiques. Leur inimitié s’est entre-temps… transformée.  » Oui, nous avons été ensemble, répond-elle sans détour à ceux qui balancent qu’elle a été sa maîtresse et qu’elle rêverait toujours d’être « Madame Moreau ». J’avais 27 ans ! Puis, nous sommes devenus amis proches, un peu comme frère et soeur.  »  » Ils n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre « , témoigne Daniel Weekers, CEO de BeTV.

Leur histoire ne l’aide pas, les premiers temps au sein de ce qui s’appelait encore Tecteo.  » J’étais super-mal reçue, les gens pensaient que j’étais planquée « . A l’époque, le consultant McKinsey préparait déjà la refonte de la structure et avait identifié des problèmes au sein du centre d’appel interne.  » J’ai réalisé un audit et il a été décidé de l’externaliser.  » WBCC, soit Wallonie Bruxelles Contact Center, était créé.  » Je n’ai pas été très inspirée pour le nom, rigole-t-elle. Il a fallu tout construire, on est passé de 18 à 456 personnes embauchées (NDLR : 272 contractuels et 184 intérimaires).  »  » Comme elle n’avait jamais géré ce type d’activité, j’avais des craintes, mais franchement ça s’est bien passé « , raconte quelqu’un qui l’a rencontrée à cette époque. Un autre, moins louangeur :  » La seule chose qui comptait, c’était de recruter des habitants d’Ans. Rien n’était prévu pour valoriser le personnel, elle se montrait peu respectueuse des travailleurs. « Toujours à rien foutre ». Je n’ose dire comment elle traitait les syndicats…  »

« Magic fridays »

Daniel Weekers (BeTV) :
Daniel Weekers (BeTV) :  » Bénédicte est la plus grande bosseuse du bureau exécutif. « © Thierry du Bois/reporters

 » Quand elle a quelqu’un dans le viseur, elle va jusqu’au bout « , pointe cette salariée qui n’a pas oublié les magic fridays, ces vendredis où les C4 pleuvaient.  » Elle débarquait et on se demandait sur qui ça allait tomber, cette semaine.  »  » Si elle voulait se séparer de quelqu’un, il fallait rechercher la faute, quitte à trouver un prétexte « , affirme Vincent Picquereau, un ancien proche collaborateur, aujourd’hui engagé contre elle dans une procédure judiciaire pour licenciement abusif. Bénédicte Bayer ne nie pas, mais assure que les fautes graves étaient avérées.  » Quand le groupe a grossi, toujours les mêmes cocos ne foutaient rien, il a fallu remettre l’église au milieu du village « , abonde un travailleur.  » On n’a jamais eu aucun problème, elle est d’une honnêteté impeccable, garantit Robert Labbé, délégué CNE. Nos contacts ont toujours été bons.  »

Ses relations syndicales cordiales, son point fort aussi chez Publifin, où elle siège comme directrice générale depuis 2012. Une mission casse-pipe. Elle n’aurait socialement pas pu plus mal tomber : la guerre entre représentants des travailleurs et dirigeants durait depuis trois ans. Suppression unilatérale de plusieurs acquis (passage de 36 à 38 heures semaine, plus d’évolution de carrière pour les statutaires, fin des nominations…), grèves à répétition. Le casque bleu Bayer a réussi l’armistice. Grâce à son style,  » plus ouvert, plus serein, plus correct et normal qu’avec la responsable précédente « , relate Christine Planus (avec qui les rapports sont moins heureux aujourd’hui). Mais, surtout, en réinstaurant les 36 heures.  » Je peux vous dire qu’elle a dû se battre « , certifie une proche collaboratrice. Surtout contre Stéphane Moreau. Après qu’elle eut convaincu le conseil d’administration, il lui lancera :  » J’espère que tu ne le regretteras pas.  »

L'une des nombreuses grèves du personnel de l'intercommunale, en 2009. Bénédicte Bayer sera appelée à la rescousse pour apaiser les tensions sociales.
L’une des nombreuses grèves du personnel de l’intercommunale, en 2009. Bénédicte Bayer sera appelée à la rescousse pour apaiser les tensions sociales.© Bruno Devoghel/Photo News

Bosseuse, sensible et manipulatrice

Voilà pour ceux qui pensent (ils sont nombreux) qu’elle se plie aux volontés de son  » maître « .  » Elle n’a pas peur de dire à Stéphane ce qu’elle pense, et pas qu’à lui « , accorde un membre du bureau exécutif de Nethys.  » Un comité de direction, ce n’est pas une chambre d’entérinement, appuie Daniel Weekers. Chacun a une grande marge de manoeuvre, on fonctionne au consensus. Même si quand Stéphane veut quelque chose, il faudrait vraiment que tous les autres soient contre pour que ça ne se fasse pas.  » Pour le patron de BeTV, Bénédicte Bayer est  » la plus grosse bosseuse qui existe « .  » Puis, c’est une tenace, prolonge-t-il. Quand elle veut quelque chose, elle ne lâche pas.  »  » Je gagne à l’usure, quand on en a marre de me dire non, sourit l’intéressée. Evidemment, ce n’est jamais facile, car je demande toujours de l’argent !  »

Pour augmenter la sécurité, relancer les fêtes du personnel, mettre en place des formations, organiser la géolocalisation des véhicules… La gestion des ressources humaines, ça coûte.  » Et encore, la politique RH se limite aux fiches de paie et au pointage. Comparée à d’autres, l’entreprise n’est nulle part « , critique l’un.  » Elle doit gérer une multitude de statuts différents, défend l’autre. Elle est compétente, ses dossiers transversaux sont bien gérés, WBCC tourne bien, elle se bat sur des dossiers particuliers tant qu’elle trouve qu’ils sont injustes.  »

Certains travailleurs l’ont bien compris, n’hésitant pas à lui rapporter telle ou telle situation. Ce  » réseau d’espions « , comme ricanent certains, entretient sa réputation de  » grande manipulatrice « . Mais aussi de  » grande sensible « .  » Sur des cas individuels, on joue parfois sur les difficultés personnelles, elle peut être influencée « , observe Daniel Bolland, délégué CSC.  » Elle aurait dû travailler dans le social « , relève Vincent Jadot.

Elle a failli. Après ses études de criminologie à l’ULg, elle effectue un stage à Lantin dans l’espoir de devenir directrice de prison. Finalement, elle enchaîne avec une licence en sciences politiques, grande distinction à la clé.  » A l’université, elle affirmait déjà ses convictions socialistes « , se souvient un ami de l’époque. Son premier job, glané auprès des permanences d’élus, sera d’ailleurs à la Chambre, comme attachée parlementaire de feu Charles Minet. Longtemps, Bénédicte Bayer s’est impliquée dans la fédération liégeoise du PS. Jusqu’à janvier dernier, elle siégeait encore au sein de sa commission de vigilance. Avant d’être démissionnée, comme trois autres membres liés à Publifin. Elle a vu rouge.  » On n’avait rien fait ! Je n’aime pas être jetée comme une vieille chaussette.  » On lui a souvent proposé d’intégrer des cabinets. On lui a même offert de se lancer en politique.  » Ça ne s’est pas fait : je n’étais pas assez lisse « . Déjà.

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