Émile Coué (1857-1926), parangon de l'imbécile heureux? Dans l'entre-deux)-guerres, son ouvrage s'écoyle à 200.000 exemplaires. © BETTMANN ARCHIVES/GETTY IMAGES

Pyscho: le revival de la méthode Coué

Le Vif

L’heure de la revanche a-t-elle sonné pour le bon vieux Emile Coué ? Portée par l’essor des techniques de développement personnel, l’autosuggestion positive prônée par le pharmacien nancéien du siècle dernier revient à la mode !

Le déclic s’est produit au lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Le grand blond riche à millions, fan autoproclamé de pensée positive, avait donc réussi son pari au mépris de tous les pronostics. Comme si le fait de marteler  » Pensez grand  » ou  » Mieux vaut être un gagnant qu’un perdant…  » meeting après meeting et livre après livre avait fini effectivement par lui valoir le gros lot. Cet air-là nous disait quelque chose. Ou, plutôt, nous rappelait quelqu’un : Emile Coué. Ce bon vieil Emile, pharmacien de son état, devenu le parangon de l’imbécile heureux. Etait-il possible que la méthode d’autosuggestion de ce mal-aimé de l’histoire ait traversé les siècles, les mers, les cultures ? Qu’elle ait même inspiré, par un surprenant aller-retour du destin, jusqu’aux manuels psy à (très) gros tirage qui font désormais pâlir d’envie les romanciers à la peine ?

Quelques clics ont suffi pour confirmer l’intuition : non seulement Emile Coué n’est pas le has been qu’on imagine, mais ses nombreux adeptes des temps modernes comptent bien faire de 2017  » son  » année : cela tombe bien, c’est le 160e anniversaire de sa naissance, en l’honneur de laquelle se tiendra un colloque d’envergure  » internationale  » à l’hôtel de sa ville, Nancy, en novembre prochain. S’y presseront d’éminents psychologues et scientifiques. Du beau monde pour un petit pharmacien, dont le nom est repris à toutes les sauces, tous les jours, lorsqu’il s’agit de moquer les adeptes de la pensée magique.

u0022Chaque jour, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux.u0022 A répéter vingt fois, matin et soir

Il fallait comprendre ce mystérieux revival couéiste. Un livre (1) d’Hervé Guillemain – il n’y a que cet essai sur le sujet, mais il est passionnant – raconte l’épopée du pionnier de l’autosuggestion positive. Dès les premières pages, coup de théâtre : en 1920, Emile Coué, modeste pharmacien retraité qui soignait les rhumatismes, l’eczéma et les neurasthénies avec sa formule passe-partout à se répéter vingt fois matin et soir,  » Chaque jour, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux « , est une star. Internationale. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Suisse, les photos de l’époque l’attestent : on se l’arrache. L’apôtre au regard malicieux donne des conférences dans les grandes nations occidentales afin d’expliquer son approche, dans le droit fil des pratiques de suggestion hypnotique de la fin du XIXe siècle. Des instituts s’ouvrent. Même l’URSS de Staline se montre sensible à ses idées. La méthode Coué emballe les Américains, déjà très versés dans la mind cure – la cure par l’esprit – diffusée par les protestants méthodistes, qui prône l’autoapprentissage du bien-être individuel psychique et corporel. Coué et ses affirmations optimistes collent parfaitement à la culture américaine de l’époque, la religiosité en moins. Rapide, facile, universelle, sa méthode vient nourrir les fondements de la pensée positive alors en pleine éclosion. Rien d’étonnant à ce que les mantras chocs de Trump résonnent d’un petit  » je-ne-sais-quoi couéiste  » qu’on y avait décelé d’emblée.

Tout de même : qu’a-t-il donc bien pu se passer pour que ce Coué, dont le bref ouvrage – La Maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente – s’est écoulé à 200 000 exemplaires dans l’entre-deux-guerres et dont le nombre de patients – qu’il soignait gratis, de l’ouvrier à la tête couronnée – avoisinait les 20 000 par an, connaisse pareille déconfiture ? Revenons à l’histoire. Lorsque Coué émerge, la Première Guerre mondiale vient de s’achever et le moral de la nation est au plus bas. Le pharmacien de Nancy bénéficie de relais dans les milieux conservateurs et auprès des anciens combattants. Par son optimisme, le couéisme sert l’esprit de mobilisation patriotique. Mais ces soutiens droitiers  » idéologisent  » son approche. L’essor de la psychanalyse – fondée sur l’introspection tandis que le couéisme prétend activer l’inconscient sans en cerner les ressorts – ajoute au discrédit. La proximité supposée du couéisme avec le protestantisme anglo-saxon ne constitue pas non plus la meilleure des publicités. Hervé Guillemain le souligne :  » La méthode Coué devenait aux yeux des contemporains, théologiens ou médecins notamment, une pratique étrangère, protestante, métaphysique qui ne pouvait pas être adaptée à l’esprit français, laïque ou catholique, et surtout cartésien.  » Lorsque l’Académie de médecine refuse de reconnaître d’utilité publique l’institut Coué de Paris, au motif que le pharmacien ne pose aucun diagnostic et n’effectue pas d’examens cliniques, c’est le coup de grâce.

Mais, depuis les années 1970, les vents ont tourné. Jamais les méthodes de développement personnel n’ont été si nombreuses, sources de réconfort dans notre monde fiévreux. Luc Teyssier d’Orfeuil est heureux : cet ancien comédien passé à la communication et au coaching, trouve enfin des oreilles attentives lorsqu’il vante les vertus du couéisme, sur lequel il est, de fait, incollable (2). Il explique :  » Emile Coué avait compris que ce n’est pas la volonté qui nous fait agir, mais notre imagination. C’est toujours elle qui gagne, et la bonne nouvelle, c’est qu’elle peut être orientée par les mots, l’image ou le corps.  » Corrigeons là un point d’importance : le pionnier de l’autosuggestion n’a jamais prôné le volontariste et fallacieux  » Quand on veut, on peut « , mais plutôt l’enthousiaste  » Yes we can  » à la Obama.

Rester dans le vrai

 » Coué utilisait l’autosuggestion – s’implanter une idée par soi-même en soi-même – parce qu’il s’était aperçu que chacune de nos pensées peut devenir réalité, dans la limite du raisonnable « , reprend Luc Teyssier d’Orfeuil. La  » limite du raisonnable « , tout est là. Car, comme le souligne le psychiatre Christophe André,  » l’autosuggestion ne fonctionne que lorsqu’on énonce des idées en accord avec ce que l’on est et ce que l’on croit. Un déprimé qui se répète qu’il va bien alors qu’il ressent le contraire pourra même aller plus mal ! Il faut rester dans le vrai par rapport à soi-même. Cela dit, ajoute Christophe André, Coué a perçu ce que la psychiatrie a vérifié ensuite : les pensées ruminées toute la journée finissent par nous influencer. Le problème est que, si des études neurocognitives le prouvent à propos des idées négatives, nous n’avons pas assez de données concernant les idées positives.  »

La parenté de la méthode Coué avec d’autres techniques actuelles ne fait, en revanche, aucun doute. La sophrologie s’appuie ainsi sur l’autosuggestion verbale et visuelle pour susciter un état de relaxation chez le patient. Idem pour la PNL, la programmation neurolinguistique, une technique mentale qui  » reprogramme  » l’esprit par le biais du langage, de la croyance dynamisante, de la visualisation, de l’autopersuasion… Et ce n’est pas tout. Pour Philippe Gabilliet, professeur de psychologie positive à l’ESCP, à Paris, la méthode Coué se situe  » au croisement  » de sa discipline et de l’hypnose – d’ailleurs elle-même en pleine résurrection ces dernières années.  » Le mantra de Coué ne dit pas « je vais bien », mais « je vais de mieux en mieux », note Philippe Gabilliet, ce qui met l’accent sur un processus d’amélioration possible, exactement comme la psychologie positive. La répétition de la phrase induit, elle, un état de conscience modifié très proche de l’hypnose.  »

(1) La Méthode Coué. Histoire d’une pratique de guérison au XXe siècle, par Hervé Guillemain, éd. Seuil.

(2) Coauteur avec Jean-Pierre Magnes de La Méthode Coué : être plus épanoui avec l’autosuggestion consciente, éd.Eyrolles.

Par Claire Chartier.

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