Des images d'une bienveillance manifeste qui forment une mappemonde étourdissante. © PHILIPPE CORNET

Visa pour le monde

Les images du photographe américain Steve McCurry sont présentées à la Bourse de Bruxelles : un rêve éveillé sur les beautés fissurées du monde.

En juin 1985 paraît en couverture du magazine National Geographic l’Afghan Girl de Steve McCurry. L’intensité du regard vert et le visage drapé d’un voile carmin font de cette jeune réfugiée dans un camp du Pakistan une icône mondiale. Madone d’un pays en guerre que McCurry saisit comme il en a l’habitude dans ses portraits : en demandant au sujet de fixer durablement la caméra. Yeux persistants d’une anonyme incarnant aussi la résistance de la beauté aux désastres planétaires… L’Afghan Girl est présente dans l’exposition bruxelloise, tout comme la photographie de la même, désormais femme adulte identifiée sous le nom de Sharbat Gula, retrouvée en 2002 par McCurry.

Né le 24 février 1950 à Philadelphie, cet Américain à la silhouette râblée nous racontait en 2013 combien ses multiples voyages en Afghanistan, au Yémen ou au Pakistan avaient façonné son existence :  » Retourner aujourd’hui dans ces pays et y voyager comme j’ai pu le faire entre la fin des années 1970 et les années 1990 est devenu strictement impossible. Il y a toujours eu des risques, bien sûr, mais à cette époque, on ne vous décapitait pas aussi facilement.  »

Compassion virtuose

Les 200 images proposées à la Bourse jusque fin juin rencontrent un impressionnant succès public. Rien d’étonnant : le talent de McCurry est celui d’une formidable empathie et dès les premières photos (les seules en noir et blanc de l’expo), sa façon de saisir les moudjahidins d’Afghanistan est remarquable de justesse. Il parvient à capter toute la gravité tribale, tout en donnant à ces soldats une chair qui, elle, n’a rien de guerrière. Posant une vérité historique qui ne peut être détachée des sensations biologiques, l’approche corporelle se fait aussi de manière contextuelle : un bout de maison ou de montagne peut raconter d’autres duretés. On est en 1979 et McCurry passe bientôt à la couleur.

Privilégiant le travail en Kodachrome 64 ASA, film dia de grande finesse, le photographe ne quitte pas ses préoccupations de photojournaliste, tout en fréquentant des royaumes bigarrés – Inde, Pakistan, Népal, Yémen, Tibet, Cambodge : l’orangé des robes de moines, le roux profond d’une barbe teinte au henné, l’émeraude d’une porte en bois ancestrale. Et puis ce regard sur le monde des visages, creusés jusqu’à l’usure, ou juvéniles, défiés par les conflits et les désastres. Comme ce vieil homme et sa machine à coudre immergés dans une mousson indienne, les douleurs saisies par McCurry sont tétanisantes de beauté. Ses images d’une bienveillance manifeste forment d’autant plus une mappemonde étourdissante qu’à la Bourse, elles sont installées sur des pans de tulle accrochés aux plafonds du bâtiment. Ces transparences intensifient l’impression de glisser dans un songe qui nous éveille aux merveilles planétaires, fussent-elles fissurées.

The World Of Steve McCurry, au palais de la Bourse, à Bruxelles, jusqu’au 25 juin prochain. www.stevemccurry.be

PAR PHILIPPE CORNET

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