Portrait of an Artist (Pool with Two Figures), © © DAVID HOCKNEY - PHOTO : ART GALLERY OF NEW SOUTH WALES/JENNI CARTER

California dreamin’

A l’occasion des 80 ans de David Hockney, la Tate Britain, à Londres, célèbre l’artiste britannique le plus éclectique du XXe siècle, dont les métamorphoses successives surprennent le regard.

Hédoniste, figuratif, pop ou expressionniste : l’éclectisme est sans doute ce qui définit le mieux David Hockney, enfant terrible de l’Angleterre d’après-guerre parti illuminer sa palette sous le soleil de Los Angeles. Plus grande rétrospective jamais consacrée à cet artiste protéiforme – dessinateur, peintre, photographe, graveur et décorateur -, l’exposition de la Tate Britain sera visible dès cet automne à Paris, puis à New York, grâce à la collaboration du centre Pompidou et du Metropolitan Museum. Soixante ans de carrière y sont présentés de façon chronologique, depuis ses débuts en 1960 alors que Hockney est étudiant au Royal College of Art de Londres, jusqu’à ses derniers travaux moins connus sur iPad et iPhone, en passant par les oeuvres iconiques des années 1960 et 1970 – les plus fameuses, dans lesquelles l’artiste, atteint de surdité depuis la cinquantaine, a capté l’essence de l’âme californienne de ces années-là : la nonchalance, mais aussi les décors modernistes des propriétés dont il magnifie la profondeur des piscines. Ces vues désormais célèbres lui auraient été, dit-on, suggérées par Andy Warhol.  » Comment peindre des images mémorables ?  » s’interroge aujourd’hui Hockney.  » Personne ne le sait. J’en ai créé quelques-unes sans en avoir conscience. Il n’y a pas de formule magique. S’il y en avait une, on en fabriquerait bien davantage, non ?  » Visite guidée en quatre arrêts.

Couleur

Un paysage de collines bleutées dont la lumière et la végétation évoquent la Toscane, tandis qu’à l’avant-plan, le look criard d’un jeune homme rappelle qu’il s’agit de l’Ouest américain des sixties. A ses pieds, au bord de la margelle, une silhouette masculine évolue sous l’eau azur d’une piscine dont les reflets flirtent avec une certaine abstraction géométrique. Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) date de 1972 et incarne avant tout la sensibilité d’un grand coloriste. Né à Bradford, dans le Yorkshire, en 1937, Hockney découvre la Californie en 1964 et s’établit à Los Angeles. Un changement radical dans son oeuvre naissante survient alors au contact des couleurs franches de cette région qu’il peindra durant cinq décennies, allant jusqu’à se mesurer à Matisse, Picasso ou Van Gogh dans ses paysages aux teintes éclatantes des années 2000, comme Going up Garrowby Hill. Sa série la plus récente (depuis son retour du Yorkshire où il était reparti vivre de 2006 à 2013) décline sa terrasse et son jardin californiens – un lieu qui possède une importance certaine puisque Hockney s’y est installé en 1979 et l’a employé depuis lors comme source d’inspiration constante, de Hollywood Hills House, en 1980, à Red Pots in the Garden, en 2000, et Two Pots on the Terrace, en 2016. Deux tableaux de cette série ont été spécialement créés pour l’exposition londonienne et sont dévoilés pour la première fois au public.

Figuration

Le plus souvent associé au pop art, Hockney évolue dans un après-guerre où la figuration est passée de mode au profit de l’abstraction : il y réagit avec humour en représentant les buildings américains, les pelouses immaculées et les faïences des bassins de façon quasi géométrique, comme dans A Lawn Being Sprinkled (1967). Bonheur et découverte, la rétrospective londonienne montre également plusieurs oeuvres méconnues de ses débuts, alors qu’il est encore étudiant. Dès la série des Love Paintings (1960 – 1961), le jeune Hockney se représente lui-même dans des scènes d’amour gay réelles ou imaginaires, à une époque où l’homosexualité est encore illégale au Royaume-Uni. Il y détourne l’expressionnisme abstrait triomphant en une autobiographie homo-érotique qui contient en germes deux ingrédients qui feront de lui un artiste postmoderne – la parodie et l’introspection -, jouant de la représentation et de ses artifices. Ces oeuvres des débuts soulignent également l’influence d’un artiste comme Jean Dubuffet, à qui Hockney emprunte la fausse naïveté du trait enfantin et l’art de griffer la surface de la toile, laissée brute en arrière-plan. Il s’intéresse déjà à la représentation humaine tout en repoussant ses possibilités, flirtant avec l’abstraction quand il numérote avec ironie ses tableaux, renvoyant à la pratique des peintres non figuratifs des années 1950 et 1960.

Portraits

Hockney a puisé dans son cercle d’intimes et de connaissances pour capter l’essence des relations humaines et les émotions de ces individus célèbres ou anonymes, allant de sa famille (Mes parents, 1977), ses amants et ses amis aux personnalités en vogue qu’il côtoyait à Hollywood (Les collectionneurs américains Fred et Marcia Weisman, 1968). Une salle entière est dédiée à la série des  » doubles portraits  » qui commence par le tableau représentant l’un des premiers couples ouvertement homosexuels de Los Angeles, l’écrivain Christopher Isherwood, auteur du roman A Single Man, et l’artiste Don Bachardy (1968). Celui qui accepta de poser lui-même pour Lucian Freud, en 2003, choisit chaque fois de représenter ses sujets dans leur environnement familier, élaborant avec soin des compositions qui combinent décors et postures le plus souvent décontractés, contrastant avec la tradition très formelle du portrait.

Versatilité

Hockney n’a eu de cesse de remettre en question la nature des images, leurs conventions, leur fabrication et leurs modes de diffusion. Il a fréquemment et volontairement changé de style, à l’instar de Picasso – Démonstration de versatilité est d’ailleurs le titre d’une de ses premières expositions. La rétrospective de la Tate Britain met en lumière les racines de chaque changement de direction. Ses vastes assemblages photographiques des années 1980, comme Pearblossom Highway (1986), ont par exemple ouvert la voie aux paysages californiens qui suivront, morcelés en plusieurs toiles juxtaposées. Ses oeuvres abstraites des années 1990 ont quant à elle influencé sa perception des paysages du Grand Canyon ou du Yorkshire dans les années 2000. Depuis 2010, celui qui vient de fêter ses 80 ans profite des technologies numériques, et la toute dernière salle est consacrée à ces créations d’un genre nouveau, observables en temps réel :  » Lorsque j’ai commencé à dessiner sur iPhone, j’ai tout de suite compris que c’était un nouveau média mais qu’il constituait aussi une manière complètement inédite de diffuser les images. J’ai toujours prôné la pratique du dessin. Apprendre à dessiner, c’est apprendre à regarder, et apprendre à regarder ne fait de mal à personne !  »

David Hockney : 60 Years of Work, à la Tate Britain, à Londres, jusqu’au 29 mai.

www.tate.org.uk

PAR ALIÉNOR DEBROCQ, À LONDRES

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