La réforme des retraites qu'il propose mettrait tout le monde à égalité. © N. MESSYASZ/SIPA

Les paradoxes du programme d’Emmanuel Macron en 4 points

Le Vif

En matière économique et sociale, Macron est moins transgressif et plus dépensier qu’on le croyait, plus audacieux que son prédécesseur, flou sur les grandes réformes qu’il promet.

1. On le croit transgressif. Il se modère

En août 2014, le nouveau ministre français de l’Economie remet en question les totems de la gauche : 35 heures, impôt sur la fortune (ISF), statut de la fonction publique. Il en fait la critique, sans en proposer la suppression. Aujourd’hui, le candidat maintient la durée légale du travail à 35 heures, mais, comme sur d’autres sujets, il compte sur la négociation d’entreprise (à défaut, celle de la branche) pour y déroger. Il conserve l’ISF, mais le limite à l’immobilier, ce capital qu’il dit  » dormant « . En revanche, les valeurs mobilières, capital  » productif « , en sont exemptées. Lui qui pourfend la rente ne touche pas aux droits de succession. Enfin, le statut des fonctionnaires ne sera pas remis en question, mais il sera  » modernisé « .

2. On le dit libéral. Il se tempère

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Pas de hache, mais un couteau pour réduire les effectifs de la fonction publique : ils baisseront de 120 000 postes en cinq ans (500 000 pour François Fillon) et encore, précise-t-il le 2 mars, il s’agit d’un  » référentiel « . Il se distingue surtout du candidat Les Républicains par son approche de la compétitivité.  » Il ne s’agit pas d’ajouter des milliards d’euros à ce qui a été déjà fait en matière de baisses d’impôts ou de charges (40 milliards durant le quinquennat de François Hollande), mais de consolider et de simplifier en remplaçant le CICE (NDLR : crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) par une baisse des charges pérenne « , explique Philippe Martin, professeur à Sciences po et conseiller économique de Macron. Cette opération se fait sans qu’un centime supplémentaire soit consacré à la baisse des charges. François Fillon, lui, promet de les réduire de 25 milliards. Le candidat d’En marche ! préfère s’attaquer à la compétitivité hors coût.  » Nous pensons qu’elle est un problème long et lent à résorber, et nous y répondons par un plan de compétence, une réforme de la formation professionnelle, de l’éducation et de l’apprentissage, poursuit Philippe Martin. La réduction du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % permettra de dégager des marges, mais aussi d’inciter les entreprises à investir, innover et monter en gamme.  »

3. On le dit partisan de la rigueur. Il est dépensier

Pas pour relancer l’économie à court terme, mais parce qu’il croit aux vertus de l’investissement public : l’idée est d’augmenter le potentiel de croissance de l’économie à moyen terme. Par exemple, son programme destine 15 milliards d’euros à la transition écologique (rénovation thermique des bâtiments, élimination des véhicules polluants) ou encore 15 autres milliards à un plan de compétence (formation de 1 million de chômeurs de longue durée et de 1 million de jeunes décrocheurs) et, enfin, à des projets pour la santé, l’agriculture, etc. Au total, 50 milliards d’euros. Ces dépenses sont temporaires, promet le candidat, et doivent financer des changements  » structurants  » (par exemple, la montée en gamme des produits agricoles) et non des dépenses courantes. En pratique, la distinction n’est pas toujours évidente.

D’autres dépenses seront bel et bien permanentes. Mais leur total est aléatoire (voir encadré). Le candidat préfère mettre l’accent sur les économies qu’il compte réaliser : 60 milliards d’euros, calculés – c’est la règle du genre – non sur le montant actuel des dépenses, mais sur leur hausse prévisible durant le quinquennat. Comment cet effort sera-t-il réalisé ? Mystère…  » Ou bien on rabote un peu partout, mais on l’a fait durant le quinquennat de Hollande et on est arrivé au bout de cette logique, ou bien on renonce à des missions de l’Etat, mais il faut le dire clairement « , note un haut fonctionnaire du ministère français des Finances.

4. On le dit héritier de Hollande. Il se fait sacrilège

Et propose une remise à plat de la protection sociale, loin des prudences de son mentor. Sa réforme des retraites mettrait tout le monde à égalité : un même montant cotisé doit rapporter un même montant de pension que l’on soit salarié, fonctionnaire, cheminot ou indépendant. Cet énorme chantier – dix ans de travaux – entretient une agréable musique, celle de la fin des privilèges. Mais ne répond pas au problème du financement des retraites. A moins que ce système par points ne permette des ajustements automatiques en fonction des besoins de financement et au détriment des pensionnés : c’est la logique des régimes par points et c’est ce que redoutent les syndicats.

Sur le marché du travail, Macron veut aller plus loin que Hollande.  » Il y aura des éléments de flexibilité, comme la réintroduction d’un plafond pour les indemnités liées aux conflits du travail ou le renforcement du dialogue social dans l’entreprise. Il y aura aussi des éléments de protection avec l’extension de l’assurance-chômage (aux démissionnaires et aux indépendants), l’accroissement des droits individuels à la formation. Pour être acceptables, les réformes doivent être équilibrées « , souligne Marc Ferracci, économiste et ami très proche de Macron. Alors qu’Hollande chantait les louanges de la négociation au niveau national, Macron veut la cantonner à l’entreprise. Autre audace, il entend confier le pilotage de l’assurance-chômage à l’Etat et non plus aux partenaires sociaux. Un vrai chambardement…

L’impossible addition

Selon En marche !, la hausse du budget de la Défense absorberait 5 milliards d’euros (à l’horizon de 2022). La réforme de l’assurance-chômage, 2,5 milliards. L’augmentation de 50 % de la prime d’activité, c’est encore 2 milliards. Le service militaire obligatoire a été chiffré à 15 milliards avant d’être amené à un investissement de départ de 1 à 2 milliards, puis 1 milliard par an. Au total, les dépenses nouvelles s’élèveraient à 15 milliards d’euros, selon En marche ! Cette somme serait financée soit par des mesures d’économies sur les dépenses actuelles (elles s’ajouteraient aux 60 milliards déjà prévus), soit par des dispositifs spécifiques (c’est le cas pour l’assurance-chômage). Différents instituts donnent des résultats plus élevés : 35 milliards pour le Centre d’observation économique Rexecode, contesté par En marche ! L’institut Montaigne avance un coût de 1,8 milliard pour le remboursement à 100 % des lunettes et prothèses. Contre un coût nul pour le candidat, qui veut faire baisser les prix par le jeu de la concurrence. L’Institut de l’entreprise considère que la suppression de la taxe d’habitation coûterait 13 milliards d’euros et non 10.

Par Corinne Lhaïk.

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