Lisza et Vincent Liben, couple accordé. © PHILIPPE CORNET

Sensualités

Lisza est une jeune Françoise Hardy qui aurait rencontré son Dutronc en la personne de Vincent Liben pour parfumer un premier album – La Vie sauvage – de chansons finement contagieuses.

C’était il y a un peu plus de deux ans chez Vincent Liben, à Schaerbeek. On tirait le portrait du chanteur bruxellois, passé du rock anglo-saxon de Mud Flow à une carrière francophone rappelant les boudoirs feutrés de Gainsbourg et d’Yves Simon. Après un disque inaugural décliné en trois versions, le deuxième album Animalé rendait brillamment compte du choc vécu à la suite d’une maladie sanguine, celle-ci berçant au final les morceaux d’un sursis d’espoir mélancolique. De cette opération de sauvetage humaine et musicale sortait aussi L’Ennui, titre où Liben duetissait avec Lisza, de toute évidence sa Jane B. On entend puis on rencontre alors la miss âgée de 27 ans, aux évidentes sensualités vocales : à une autre époque, on aurait bien vu la belle brune chez Capra ou Cassavetes. D’ailleurs, elle a été actrice de théâtre dans une autre vie, ce qui lui permit d’acquérir – comme Vincent – le statut compliqué d’artiste à la belge. Ce 10 mars sort La Vie sauvage, dont elle a écrit les textes et cosigné les musiques avec Liben, arrangeur et producteur de l’album.

L’affaire est à la fois spleen et fraîche, finement travaillée dans les cordes ou pas.  » J’ai grandi dans le Brabant wallon avec une mère assez mélomane et très éclectique dans ses goûts, et aussi tentée par le chant lyrique, explique Lisza. Donc, à 14 ans, j’ai à mon tour suivi des cours de chant, jusqu’à 22 ans, avec des périodes plus dilettantes.  » A 5 ans, un concert du violoncelliste Mischa Maisky arrive comme une épiphanie : aujourd’hui, Lisza suit des cours de l’instrument à cordes, romantique par excellence, dans la foulée d’un solfège accompli à l’académie. Tout cela sert de règle et d’épure auxonze chansons qui ne sont rassurantes qu’en surface, la langue enfourchant les mots tactiles :  » Toi qui tangues, gueule exsangue/Dans tes poches, pas un clou/On te bouscule, on te décoche/Des regards sourds comme des reproches (Orphelin) « . La poésie y interroge son genre :  » D’où viens-tu ? /Toi dont la (sic) rythme me prend/Toi dont la rythme me prend au corps (La rythme) « . La chanson forcément vécue comme terrain d’aventures :  » Le vent se lève et fait danser/Les arbres noirs qui longent les routes brisées(Vagabonds). « 

Recueil de poésie

 » J’ai pris du recul sur le travail d’actrice et j’avais besoin de solitude, donc j’ai beaucoup lu, notamment dans le plaisir de la poésie. « Lisza découvre Fernando Pessoa, écrivain portugais mort d’alcoolisme à 47 ans en 1935. Auteur complexe et fantasmagorique dont le travail sur le trouble de la réalité et le rêve frappe de plein fouet l’esprit de la future chanteuse.  » Il parle du sentiment d’être un peu étranger à soi-même comme au monde : ce que j’avais pressenti lors d’une première visite à Lisbonne alors que je n’avais même pas encore lu Pessoa. « Tout cela ne serait resté qu’un fantasme de jeune fille confiné au recueil de poésie qu’elle écrit depuis des mois si Vincent Liben n’était entré en scène alors que Lisza chante aussi dans un petit club jazz son amour de Billie Holiday. Cela se passe il y a environ trois ans dans un repaire ixellois réputé pour ses joueurs d’échecs nocturnes, Le Pantin. Vincent drague Lisza et cela part comme dans un happy end américain.  » Au début, j’avais vraiment la réticence de mêler notre vie privée à nos activités professionnelles, confie Vincent Liben. Et puis, quand j’ai vu la qualité des chansons qu’elle écrivait, que j’ai entendu sa voix, que j’ai lu ses textes, cela a été comme une révélation et ça m’a donné envie d’aller plus loin à cause de cette matière musicale. Rien à voir avec l’amour. En fait, je ne voulais pas le faire jusqu’ au moment d’entendre les chansons et alors, j’étais fan…  »

Les trois dernières années défilent donc entre amour, travaux dans la maison schaerbeekoise,  » le nid  » et projet d’album commun.  » Vu ses capacités de mélodiste, je l’ai encouragée à écrire, enchaîne Vincent Liben. Et elle a bien dû pondre 30 ou 40 chansons, dont certaines, même très belles, ne se retrouvent finalement pas sur l’album parce qu’elles ne s’y intégraient pas naturellement. « La tonalité de la voix et des mélodies a beau être charmeuse, la surface radiophonique des chansons n’endort pas certaines douleurs. Le moment le plus troublant de l’album vient avec L’Accident où Lisza chante ceci :  » Je suis l’enfant de ma mère/L’accident/Née de l’adultère/Au large de l’océan/Et toute à ma colère/Je me disais souvent/Je voudrais m’en défaire/Ce sang n’est pas mon sang « . Lisza, qui ne désire pas expliciter davantage son texte, propose néanmoins une clé de réception du réel :  » Je suis quelqu’un de pudique, je pense que la musique élève la chanson en général vers un ailleurs. Cela devient une création artistique et non plus la réalité.  »

Nous contre le monde

A l’approche de la trentaine, la brune aux yeux revolver ne fait aucun mystère de ses angoisses, celles de présenter ce premier disque en public – le 17 mars au Botanique – et de poser simplement des questions sur le sens des moments vécus. Elle rejoint son amour Vincent sur ce terrain mouvant-là : le couple n’élude pas les interrogations obligatoires sur la chimie de la création à deux. L’album a été fabriqué en quasi-autarcie, dans la maison schaerbeekoise, avant de prendre un peu de volume via quelques jours au Studio Jet de l’excellent Rudy Coclet. On y entend entre autres le violoncelle de Jeff Assy et le violon de Nicolas Stevens, tous deux ayant joué avec Bashung.  » On a essayé d’éviter l’idée de « nous contre le monde », souligne Vincent Liben. Même si on tient absolument à notre indépendance créative et que l’on a travaillé cet album sans se dépêcher, en totale autoproduction, avec un peu d’argent de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Sabam, sans restreindre nos exigences respectives. Le fait que je ne doive pas me consacrer aux textes, puisque c’était la tâche de Lisza, m’a également permis de travailler davantage la musique, par exemple d’écrire les arrangements de cordes.  » Pour conclure, Lisza précise la démarche commune :  » Une fois que le territoire de travail est apaisé, c’est comme une rivière : cela coule de source. « Et, à l’instar de La Vie sauvage, celarégénère aussi la confiance de s’immerger dans ces eaux-là.

CD La Vie sauvage, distribué par cod&s. En concert le 17 mars au Botanique, à Bruxelles. www.botanique.be

PAR PHILIPPE CORNET

 » Je pense que la musique élève la chanson en général vers un ailleurs  »

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