Fontaine © COLLECTION MAURICE & CAROLINE VERBAET

Espace temps

La rétrospective qui se tient actuellement à Bruxelles remet enfin Pol Bury à sa juste place : celle d’un artiste précurseur, pionnier de l’art cinétique, conjuguant le temps et le mouvement de façon singulière.

Le moins que l’on puisse dire est que Pol Bury aura eu un parcours atypique. Quasi autodidacte, le Belge (né en 1922 à Haine-Saint-Pierre, mort à Paris en 2005) aura flirté avec les avant-gardes de sa génération avant de devenir une figure de proue de l’art cinétique. Plus tard et tout au long d’une carrière internationale, le peintre et sculpteur réussira à imposer ses créations, débouchant sur de nombreuses commandes publiques et privées, dont les fontaines qui ont fait sa célébrité. Tout un chacun peut les croiser à La Louvière, au Grand-Hornu, à Anvers, au château de Seneffe, à Bruxelles (au boulevard Albert II, sans oublier son intégration monumentale au plafond de la station de métro Bourse) et à Paris, à proximité des colonnades du Palais-Royal. Un succès qui a sans doute fini par occulter le reste de son travail : un oubli que l’exposition de Bozar tient précisément à réparer.

Plans mobiles

A 22 ans, Pol Bury fréquente les surréalistes belges. Très vite rejeté par eux alors qu’il se tourne vers une peinture plus abstraite, il poursuivra avec le mouvement Cobra pour devenir, à 30 ans, l’un des membres fondateurs du groupe  » Art abstrait « , en compagnie notamment de Jo Delahaut. Dès 1951 et son passage par le groupe Cobra (où il se liera d’une indéfectible amitié avec Alechinsky), les limites matérielles du tableau le gênent. Le déclic se produira lors de la visite d’une exposition Calder à Paris : le peintre belge y découvre les mobiles suspendus. S’il conservera les formes de ses compositions picturales, il les transposera désormais sur des panneaux de bois ou de métal, avant de les peindre dans des couleurs primaires et de les monter sur un axe, un peu comme s’il avait décomposé des fragments de ses tableaux. Pivotant sur cet axe, les petits panneaux induiront de nouvelles compositions, et surtout un mouvement, même si réduit à sa plus simple expression. Les Plans mobiles sont nés !

Au début, Bury a l’idée de laisser le spectateur les manipuler, mais le côté ludique prenant le dessus sur la composition, il abandonne vite cette façon de procéder. A partir de 1954, il dote certains Plans mobiles d’un moteur dont il déterminera lui-même la vitesse de rotation, très lente. Il n’y a plus d’intervention extérieure du public : l’artiste reprend le contrôle de son oeuvre.

A cet égard, les deux premières salles de l’exposition bruxelloise sont assez fascinantes, qui montrent sa démarche artistique se mettre peu à peu en place. Bury, s’il abandonne alors définitivement la peinture, ne devient pas exactement sculpteur. Dans la droite ligne de l’Américain Calder, il s’intéresse aux reliefs, mais désire contrôler le mouvement par la technique, encore rudimentaire à cette étape.

En décembre 1953, la célèbre galeriste parisienne Denise René, alors encouragée par Vasarely, vient visiter une exposition personnelle de Bury à Bruxelles. Deux ans plus tard, elle l’invitera à participer à l’exposition collective Le Mouvement, considérée comme la manifestation inaugurale de l’art cinétique. Ce courant recouvrira des oeuvres d’art abstrait, le plus souvent faites de mobiles et mises en mouvement par les interventions externes du vent (Calder), du spectateur, l’action d’un moteur ou encore la force hydraulique, ce qui sera le cas de certaines des futures fontaines de Pol Bury. On peut d’ailleurs voir cette eau comme force initiatrice du mouvement dans la fontaine en activité qui clôture de façon spectaculaire l’exposition de Bozar.

A Paris, en 1955, Bury côtoie Calder, Tinguely, Agam et Soto : sa carrière est lancée. Celui qui fait désormais partie de l’avant-garde artistique internationale entame bientôt ce qu’il appellera les Ponctuations. Des bouquets de fil de nylon terminés par un point blanc, des barrettes métalliques ou des languettes de cuivre surgissent de panneaux ou de reliefs noirs. Des éléments à première vue inertes, et des sculptures dont les composants semblent en suspension, en réalité aussi animés par d’imperceptibles mouvements, que trahira la résonance d’une légère vibration.

En silence

Ces reliefs se déclineront par la suite en structures de plus en plus imposantes, réalisées d’abord en bois (les  » meubles « ) et plus tard en aluminium poli, ces dernières ayant fait sa renommée. Les éléments tactiles sont devenus des sphères qui se déplacent sur des plans inclinés ; elles sont animées par des micro-aimants, dont la mécanique, comme dans toutes les oeuvres de Bury, est soigneusement dissimulée, ce qui ajoute à la magie et au mystère de ses objets. De mystère, il en est une nouvelle fois question entre les murs du Palais des beaux-arts : quand le silence se fait dans les salles, on se prend à entendre les moteurs ronronner, les éléments en bois crisser ou couiner, les boules métalliques s’entrechoquer à peine, les fils de nylon se frotter, les disques coulisser. Ce que le spectateur qui tentera de les regarder se mouvoir à peine verra alors, et pour peu que ses sens restent en alerte, c’est le temps qui défile, perceptiblement. Du grand art dans tous les sens du terme.

Pol Bury. Time in Motion, à Bozar, Bruxelles, jusqu’au 4 juin prochain. www.bozar.be

PAR BERNARD MARCELIS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire