Dimanche 5 mars, place du Trocadéro à Paris. Sans réunir les 200 000 personnes qu'il prétend avoir mobilisé, François Fillon réussit son pari : la légitimité démocratique des électeurs de la primaire l'emporte sur la volonté des barons du parti de " débrancher " le candidat. © P. WOJAZER/REUTERS

France : la droite peut-elle encore gagner ?

Le Vif

Malgré une unité de façade retrouvée derrière son candidat, la droite française est plus fracturée que jamais. Défections, dépit, défiance… : décryptage des dégâts de l’affaire Fillon.

Cette élection était déjà folle. Elle est devenue insensée – vide de sens. Elle n’est plus un sujet de scénario pour série télévisée en quête de suspense, elle vire au drame démocratique. Quand deux trains sont lancés à grande vitesse l’un contre l’autre, l’accident est assuré. La collision des calendriers politique et juridique fragilise aujourd’hui la Ve République. On disait le système présidentiel français à bout de souffle, il est en train de mourir sous nos yeux. Les partis de gouvernement sont à l’agonie, qu’il s’agisse du PS ou des Républicains, le mouvement le plus structuré semble être le Front national. D’où cette question : des décombres la victoire de Marine Le Pen peut-elle surgir, ultime étape de la décomposition de la vie publique française ?

Mauvais polar

Et voilà que le débat à droite tourne au mauvais polar :  » assassinat  » ou  » suicide collectif  » ? Ainsi parle le candidat, ainsi parle l’un de ses (ex-)soutiens. Le 1er mars au matin, François Fillon reçoit sa lettre de convocation chez les juges  » en vue d’une éventuelle mise en examen « , mais il donne à certains l’impression de jouer au chat et à la souris. Officiellement, il consulte pour décider, ou non, de son maintien dans la compétition. Le fait-il vraiment ? Thierry Solère, son porte-parole qui démissionnera deux jours plus tard, se rend au QG, la jambe dans le plâtre. Il aurait pu s’éviter cette peine, le candidat ne le verra pas. Alain Juppé est prévenu qu’il serait appelé à 9 heures, c’est à 11 h 50 que François Fillon lui téléphonera. Il racontera que Juppé lui a assuré qu’il n’irait pas. Sauf que ce dernier ne lui a pas exactement dit cela, mais plutôt :  » Je ferai selon ce que tu feras.  »

Comprenne qui pourra. Les proches du maire de Bordeaux s’activent pour qu’il atteigne très vite la barre des 500 parrainages envoyés au Conseil constitutionnel.  » Une chose est de perdre la présidentielle, une autre est de mettre en péril le parti, une troisième de mettre en péril les institutions « , avance l’un de ses amis pour justifier l’opération.  » Juppé attend que la crise soit à 100 pour s’installer, tant qu’elle est à 80, cela ne suffit pas « , explique un autre. La justification de cette agitation tient en un mot, un nom qui n’est pas très propre pour le maire de Bordeaux : Marine Le Pen serait en route pour la victoire. Mais les conditions posées, non seulement le retrait proposé par Fillon lui-même, mais aussi l’appel unanime des Républicains, rendent impossible la réussite de la manoeuvre. Le Juppé défait de novembre 2016 n’avait que peu de chances de réussir, et ce n’est pas à 71 ans qu’on se réinvente en quatre mois. Exit Juppé.

Assassinat ? Suicide ? Le 30 octobre 1979, le corps de Robert Boulin, ministre français du Travail, est retrouvé dans un étang. Une immense polémique naît sur les conditions de son décès et porte notamment sur les responsabilités de certaines officines gaullistes. Joël Le Theule, qui siège dans le même gouvernement, convoque alors ses proches :  » A certains moments dans la vie politique, on est accusé de quelque chose et on ne peut pas se défendre.  » Dans son équipe, un jeune homme de 25 ans se souviendra du moindre de ces mots presque quarante ans plus tard. Il s’appelle François Fillon. Le M. Propre de la primaire se croyait à l’abri du scandale. Il tombera de Charybde en Scylla.

Le voilà emporté sept jours sur sept. Oui, même le dimanche.  » Au début, lui mettre quelque chose ce jour-là était un problème « , avoue un conseiller. C’était le temps de l’insouciance. En quatre jours est montée l’opération du Trocadéro, et tant pis si elle tombe un dimanche. Dès le départ, une ligne rouge est franchie : la mobilisation se bâtit contre les juges (rouges, eux aussi) et lorsque les derniers fidèles de François Fillon se seront efforcés de rectifier le tir, une autre polémique naîtra, sur le rôle de Sens commun dans l’organisation de ce qui est devenu un  » rassemblement « . Lors d’une réunion de préparation, le 2 mars au soir, chaque responsable Les Républicains est doublé d’un membre de ce mouvement issu de la Manif pour tous.

Le parvis des Droits-de-l’Homme, à Paris, avec la tour Eiffel en arrière-plan, permet des scénographies grandioses, facilite peut-être même des hallucinations. En 2012, dans son rassemblement entre les deux tours de la présidentielle, Nicolas Sarkozy aussi y avait vu  » 200000 personnes « .  » Hormonalement, il ne peut pas ne pas penser, à cet instant, qu’il va être élu « , observa son ami Nicolas Bazire. Le 5 mars 2017, à quoi songe François Fillon devant cette foule de drapeaux ? Même certains élus qui avaient douté de leur participation sont venus. Le plus visible, c’est François Baroin : le maire de Troyes a parlé au candidat, il a parlé à Nicolas Sarkozy, à Gérard Larcher, le président du Sénat – le seul auquel il ne parle pas, c’est Alain Juppé, qui n’a pas davantage cherché à le joindre.

Défections multiples

Comment expliquer aux électeurs de Fillon que la décision d’un juge peut annihiler leur vote ?

Peut-être François Fillon trouve-t-il la lucidité de se dire que cette campagne n’était pas son genre. Hystériser le débat permet certes de solidifier le socle, mais provoque souvent des dégâts incontrôlables. François Fillon, à rythme soutenu, regrette les propos qu’il a tenus quelque temps plus tôt.  » Donnez-moi quinze jours « , avait-il lancé aux parlementaires de son camp.  » Erreur grossière de ma part « , confiera-t-il. Le 5 mars, il admet que les mots de  » guerre civile  » ou d' » assassinat  » étaient sans doute excessifs. Ses deux dernières participations à des 20 heures, sur TF1 puis sur France 2, ont été exclusivement consacrées à l’affaire. Pas un mot sur son programme. Est-ce ainsi que les candidats meurent ?

Quand il présente l’organigramme, le 15 décembre 2016, le directeur de campagne de François Fillon, Patrick Stefanini, est surtout content d’une chose : avoir fusionné les équipes de tous les candidats à la primaire et associé les centristes. La qualification pour le second tour est à ce prix : l’union des appareils pour l’unité des électorats.  » Je souhaite bien du courage à la gauche d’en faire autant, et à un moment beaucoup plus tardif de la campagne, à la fin de janvier « , confie-t-il. Patatras : dans les premiers jours de mars, l’échafaudage s’écroule à mesure que les défections se multiplient. Dans son bureau, autour de lui, Stefanini pouvait compter sur deux chevilles ouvrières, Sébastien Lecornu et Vincent Le Roux. Le 5 mars, le bureau est vide, les trois sont partis. Est-ce ainsi que les campagnes s’achèvent ?

Penelope Fillon est sortie de son silence pour, dans Le Journal du dimanche, expliquer a minima son emploi d'assistante parlementaire et défendre le combat de son mari.
Penelope Fillon est sortie de son silence pour, dans Le Journal du dimanche, expliquer a minima son emploi d’assistante parlementaire et défendre le combat de son mari.© P. WOJAZER/REUTERS

L’électorat de droite semblait puissant comme rarement ; il est plus fracturé que jamais. Comment expliquer aux 2,9 millions de citoyens qui ont choisi François Fillon le 27 novembre 2016, et notamment aux plus fervents d’entre eux, que la décision d’un juge – pas même un verdict judiciaire – peut annihiler leur vote à moins de deux mois du premier tour de l’élection présidentielle ? Et l’attitude du candidat ne peut ramener à la raison ces électeurs qui ont déjà l’impression d’être volés. Mais, pour une partie de ce camp, c’est François Fillon qui ruine les espoirs de la droite de reconquérir l’Elysée, par son comportement d’abord, par sa défense ensuite, par son obstination enfin. Et que dire de ceux qui ont déjà filé vers le FN… Tous les scrutins intermédiaires depuis la dernière élection présidentielle française promettaient à la droite la victoire – avant que ne surgisse l’ovni Macron.

« L’important n’est pas que François Fillon soit innocent ou pas »

Arnaud Robinet, maire de Reims issu de la vague bleue de 2014, quitte le navire le 1er mars. La campagne est devenue impossible, les meetings s’annulent. Deux jours plus tard devaient venir en Champagne François Baroin et Xavier Bertrand. La réunion publique tombe à l’eau.  » Depuis mercredi, j’ai été contacté par des gens de l’entourage d’Emmanuel Macron, avoue l’élu. Mais j’espère pouvoir voter pour quelqu’un de ma famille politique.  » Sera-ce pour Fillon ?  » Que chacun se reprenne « , lance le candidat le 6 mars. Le plan B s’appelle donc Fillon.

En ces temps déraisonnables, on aura entendu sur les ondes des propos curieux. Un responsable centriste explique :  » L’important n’est pas que François Fillon soit innocent ou pas.  » Ah bon ? Ce n’est tout de même pas un point anecdotique. Le 3 mars, c’est le candidat socialiste qui a des choses à dire. Benoît Hamon convoque une conférence de presse pour présenter ses propositions sur l’entrepreneuriat.  » Ce qui est devenu insupportable, c’est que je veux parler de service public. On me répond Fillon. Je veux parler d’entrepreneuriat, on me répond Fillon et affaires. Quand je voudrai parler d’Europe demain, on me répondra encore François Fillon. Ce n’est plus possible ! Nous n’arrivons pas à organiser le débat de cette campagne.  »

Ci-gît la présidentielle française. A l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, Bernard Cazeneuve, en Chine, discute avec Jean-Pierre Raffarin. Nous sommes fin février. Et quand un Premier ministre rencontre un ex-Premier ministre, de quoi parlent-ils ? De la possible future victoire de Marine Le Pen. Loin de toutes considérations partisanes, l’actuel locataire de Matignon paraît réellement inquiet ; celui qui fut nommé au lendemain du 21 avril l’est tout autant que lui. Dans Le Monde du 7 mars, François Hollande y va de son avertissement :  » Mon ultime projet, c’est de tout faire pour que la France ne puisse pas être convaincue par un tel projet.  » Le week-end dernier, la statue du général de Gaulle, en bas des Champs-Elysées, à Paris, a été vandalisée. La prochaine fois, à n’en pas douter, elle tombera de son socle.

Par Éric Mandonnet (Avec Jean-Baptiste Daoulas et Agnès Laurent)

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