Le quotidien De Morgen bannit le mot « allochtoon » de son vocabulaire

La récente remarque de Bart De Wever sur le fait que la ville d’ Anvers « n’est pas à tout le monde » et le débat qu’elle a suscité aura eu des rebondissements inattendus. Le journal De Morgen a décidé de supprimer le mot « allochtoon », trop flou et stigmatisant, de son vocabulaire. Et par la même occasion, lance une petite révolution au nord du pays.

À qui appartient la ville ? Une question a priori innocente, mais qui, en cette période électorale, a suscité débat et controverse à Anvers. Bart De Wever s’est fendu samedi d’une sortie aussi remarquée que virulente suite à la manifestation anti-islam de Borgerhout. Pour le président de la N-VA, cette flambée de violence est le signe que le slogan d’Anvers, « La ville est à tout le monde », ne veut plus rien dire. Pour lui « la ville n’est plus à tout le monde, mais seulement à ceux qui ont fait l’effort d’en faire partie ». Une déclaration qui lui a valu une volée de bois vert de l’actuel bourgmestre, Patrick Janssens et de Wouter Van Besien, le président de Groen et bourgmestre du district Borgerhout qui trouvent tout cela inutilement belliqueux.

Une question sémantique pour une question de fond

Devant ce tohubohu qui dépasse largement du cadre local, le quotidien De Morgen a souhaité élargir le débat en se posant la question : est-ce que la Belgique est à tous ceux qui y vivent…ou non. Et si tout le monde n’en fait pas partie, qui en est exclu et pourquoi ?

Pour pouvoir répondre au mieux à ces questions de fond, une question de sémantique s’est rapidement imposée au sein de la rédaction du journal. Comment utiliser le mot « allochtoon » ? Le mot allochtoon, allochtone en français, signifie littéralement quelqu’un qui est originaire d’ailleurs. Un mot flou, fourre-tout et néanmoins stigmatisant.

Dans son édito de ce matin, le rédacteur en Wouter Verschelden critique justement le peu de nuances qu’implique ce mot puisque binaire par essence. « On ne peut pas être un peu allochtone, on l’est ou on ne l’est pas ». Le rédacteur poursuit « et pourtant si ce terme est binaire, les contours en sont eux très flous . Alors que le mot ne signifie « pas d’ici », on ne l’emploiera jamais pour des Français ou pour des Allemands. C’est un nom de code qui regroupe un nombre illimité de qualifications comme : musulmans, peu instruits, pauvres, Arabes, Nord Africains, non européens… Ce terme un peu vague ouvre donc la voie au doute et à l’interprétation personnelle. Par exemple, un iranien n’est certainement pas un Arabe. Et pourtant, on aurait tendance à le classer parmi les « allochtoon ». Un Philippin c’est déjà plus ambigu. Alors qu’un chinois non, c’est plus simple, c’est un chinois. Le mot « allochtoon » n’est-il pas dès lors une excuse pour autoriser une labélisation simpliste et non nuancée d’un groupe de personne. Souvent utilisé, car c’est une façon pratique de désigner une importante minorité dans notre pays et dans nos villes. C’est même tellement pratique qu’il s’agit d’un phénomène linguistique unique: cette terminologie n’existe ni en anglais, ni en français ».

Loin d’être un geste anodin

Pour justement mettre fin à une stigmatisation sans nuances d’une franche de la population, le journal flamand De Morgen, via son rédacteur en chef Wouter Verschelden, a promis mercredi soir sur la chaîne VIER de ne plus employer le mot « allochtoon » . Utilisé avec nettement moins de parcimonie dans les médias flamands, ce terme y est même utilisé à toutes les sauces et sans nuances. Au point que chercher à le supprimer purement et simplement est loin d’être un geste anodin.

Pour Brecht Decaestecker, Nieuws Manager à De Morgen, il ne s’agit certainement pas d’un coup marketing à chaud. Au contraire, le journal , mal à l’aise avec l’utilisation constante et sans nuances du mot allochtoon, souhaitait faire cette démarche depuis très longtemps. Le débat entamé suite à la sortie de Bart De Wever aura donc été décisif pour lancer un mouvement longuement mûri. Si la démarche est innovante, elle entraîne aussi une surcharge de travail et d’attention non négligeable. « La tâche qui nous attend est gigantesque et très compliquée. Supprimer le mot allochtoon, qui est largement utilisé, va demander davantage de recherche, mais aussi de placer encore plus les évènements dans un contexte. Sans parler d’une attention constante lors de la relecture pour supprimer certains automatismes ». À la question de savoir s’ils seront suivis dans leur démarche Brecht Decaestecker répond « Ce serait beau que les autres médias nous suivent , surtout les chaînes publiques, mais chacun est libre de sa ligne éditoriale. »

Que le journal soit suivi ou non, pour Wouter Verschelden « le débat de l’immigration mérite d’être traité dans toute sa violence et chaque jour à nouveau. Le label « Allochtoon » a droit à plus de nuance, pas à une nouvelle étiquette ». Et de conclure « la langue néerlandaise est assez riche pour trouver des termes plus précis pour continuer à informer ».

LeVif.be

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