En privilégiant Twitter, Donald Trump illustre sa modernité et sa capacité à s'emparer du plus formidable outil de communication au monde. © Jaap Arriens/Getty Images

Les mots de Trump, outil pour séduire et diviser

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Traductrice et auteure de La Langue de Trump, Bérengère Viennot compare la parole du président américain aux discours de Staline et des nazis : c’est le même langage binaire.

Bérengère Viennot est traductrice pour la presse, notamment des discours et tweets de Donald Trump, le candidat à la Maison-Blanche et le président des Etats-Unis investi en 2017. Elle publie La Langue de Trump (1), un essai, souvent savoureux, sur la difficulté à traduire la pensée de l’homme le plus puissant au monde.

Traduire Trump qui utilise des mots simples n’est pas simple, écrivez-vous. Pourquoi ?

Donald Trump utilise un vocabulaire assez limité. Les mêmes mots reviennent souvent : good, bad, great, tremendous, sad… Ils font partie des premiers que l’on apprend quand on n’est pas anglophone. Le problème est que la pensée, derrière ces mots simples, n’est pas facile à interpréter ni à comprendre. Quand les mots sont trop vagues, le message qu’ils recèlent est difficile à appréhender. Soit ils ne disent rien et traduire du rien, c’est mission impossible. Soit ils sont au service d’une certaine idéologie assez violente parce que le vocabulaire le plus souvent utilisé est clivant. L’utilisation de ces mots pour qualifier les Mexicains, les musulmans, les journalistes… crée l’idée simpliste que dans la société américaine, il y a les méchants et les gentils. Les premiers sont tous ceux qui s’opposent à lui et à sa politique ; les gentils sont les bons patriotes, ceux qui veulent défendre le pays. Ce vocabulaire l’aide à construire ce clivage politique.

Quand elle vise à pacifier la société, la langue de bois est utile.

Est-ce le fait d’une attitude étudiée ou d’un comportement naturel ?

Je ne sais pas trop. Au premier degré, on a l’impression qu’il ne le fait pas exprès parce qu’il énonce quand même pas mal de bêtises factuelles. Or, il est un excellent communicant. Il est devenu président des Etats-Unis ; ce qui n’est tout de même pas à la portée du dernier des idiots. Peut-être ce vocabulaire est-il son langage de prédilection. Et peut-être s’est-il rendu compte qu’il était efficace et qu’il lui permettait de gagner une base électorale qui, pour la première fois, comprend ce langage si simple et se sent dès lors représentée. Peut-être est-ce devenu un outil, malgré lui.

La sincérité est-elle l’atout électoral principal de Donald Trump, notamment parce qu’elle tranche avec l’attitude d’autres dirigeants politiques ?

L’apparence de franchise et de sincérité de Donald Trump – encore faut-il se demander si c’est exact ou pas – est un des éléments qui conforte sa base électorale. Il a l’air de dire ce qu’il pense. Il fait ce qu’il dit. Je ne suis cependant pas convaincue qu’il n’y ait pas, dans sa façon de parler et le choix de son vocabulaire, une instrumentalisation de sa part.

Bérengère Viennot : pas simple de traduire les mots simples de Donald Trump.
Bérengère Viennot : pas simple de traduire les mots simples de Donald Trump.© Pierre Hybre/MYOP

Twitter est un moyen de communication privilégié pour Donald Trump. En l’occurrence, le médium influence-t-il le contenu ?

Que Donald Trump soit à l’aise avec Twitter est une bonne illustration de sa modernité et de sa capacité à s’emparer d’un outil qui est le plus formidable et le plus efficace à disposition du monde de la communication. Communication et pas information. C’est un vecteur de spontanéité. Il peut prendre la parole à n’importe quel moment et être lu par le monde entier. Il peut se défendre quand il se sent attaqué, enfoncer le clou de son idéologie et de sa politique, attaquer ceux qu’il estime être des agresseurs. C’est extrêmement efficace parce que Twitter est de plus en plus confondu avec un outil d’information. Aux yeux du public, qu’une information provienne du Washington Post ou de Donald Trump, mal réveillé à 6 heures du matin, la crédibilité est la même. Pour le président des Etats-Unis, ce mélange des genres est une aubaine.

Vous dressez un parallèle entre les sorties de Donald Trump et les discours de dirigeants nazis et de Staline. N’est-ce pas dangereux ?

Ce qui serait dangereux serait de ne pas le faire. Je n’affirme pas que Donald Trump est comparable à Goebbels ou à Hitler. Je parle d’un langage et d’une propagande. Ces gouvernements ont détourné la langue de sa signification première pour lui donner une acception manichéenne et pour monter une partie de la population contre une autre, par le biais de boucs émissaires. Dans les années 1930, c’étaient les juifs ; aujourd’hui, pour Trump, ce sont les Mexicains et les musulmans. On observe le même langage binaire dans tous ces pays où l’extrême droite gagne du terrain. Il facilite la simplification de la pensée et la division de la société entre ceux qui sont pour nous et ceux qui sont contre. Staline parlait des  » ennemis du peuple « . Trump a repris cette expression ; ce n’est pas anodin. Si Barack Obama avait utilisé cette formule, cela aurait pris une tout autre ampleur et aurait été catastrophique pour son image. Pas pour celle de Trump.

Vous écrivez que Trump n’est pas un accident de l’histoire et qu’il laissera son empreinte sur la société. Quelle sera-t-elle ?

Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire ; il est dans la continuité de la violence du pays. Une fois parti en 2020, en 2024 ou avant, la base de ses électeurs sera toujours là. Très peu d’entre eux ont été déçus par sa politique. Cet homme, censé servir de surmoi à l’Amérique, a ouvert toutes les vannes par sa désinhibition totale, par son discours violent et clivant et par son déplacement de la notion du bien et du mal. Il été entendu par cette population américaine qui, peut-être jusque-là, se retenait et s’autorise maintenant à agir. Les mots façonnent la réalité. Donald Trump a libéré une vraie haine dans la société américaine. On l’observe tous les jours. Il y a de plus en plus de fusillades de masse. Et toutes les solutions proposées par l’administration Trump tendent à accroître les violences.

(1) La langue de Trump, par Bérengère Viennot, Les Arènes, 162 p.
(1) La langue de Trump, par Bérengère Viennot, Les Arènes, 162 p.

Vous formulez dans votre livre une défense du politiquement correct alors qu’il est fort décrié. Pourquoi ?

Nous vivons dans une société qui a établi un contrat social plus ou moins explicite : on arrête de se taper dessus, on édicte des lois qui nous empêchent de le faire et on désigne des personnes qui les font appliquer. Dans ce schéma, celles-ci appartiennent à une certaine élite intellectuelle et sociale et s’engagent à être des modèles. A l’échelon le plus élevé figure notamment le président des Etats-Unis. Quand elle ne sert qu’une politique un peu limite et une stratégie, la langue de bois peut être décriée. Mais quand elle vise à pacifier la société et cimenter la cohésion entre les citoyens, elle est utile. Car si ce contrat-là se délite, les lois sociales périclitent aussi. D’où le risque de violence. La sophistication de la parole est aussi une illustration de la sophistication de la pensée. En politique, une pensée complexe est préférable à une pensée trop simple.

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