Elio Di Rupo avait voulu tirer la liste européenne de son parti, Olivier Chastel aussi. Un a changé d'avis, l'autre pas. © Christophe Licoppe/photo news

Élections 2019 : dans les coulisses du choix des têtes de liste par parti

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Dans tous les partis, les grands arbitrages sont posés. Tous les gros bras savent à quelle place et sur quelle liste ils feront campagne en vue des élections du 26 mai prochain. Avec une constante : plus on a de pouvoir dans son parti, plus on a le choix. Et plus on fait le choix de soi-même.

Samedi 30 mars, à midi, tous les actes de candidature au triple scrutin régional, législatif et européen du 26 mai prochain devront être déposés dans les mains des présidents des bureaux principaux des circonscriptions. Toutes les listes auront été composées d’ici là et présentées à la presse. Il y a des mois, et parfois des années, que les candidats lorgnent les candidatures et qu’ils attendent que le ou les patrons tranchent. Mais le ou les patrons, avant de décider du destin des autres, doivent se forger le leur propre. Voici comment les uns et les autres ont choisi.

PS: Paul Magnette et Elio Di Rupo, le pacte migratoire

Entre un actuel bientôt ancien et un futur qui se veut actuel, la lutte des places aura été plus agonistique que dialectique. Paul Magnette ne voulait pas se trouver sur la même liste qu’Elio Di Rupo. Elio Di Rupo n’avait plus le pouvoir de l’imposer à Paul Magnette. Alors, Elio Di Rupo, que Paul Magnette, en mars 2018, avait empêché d’annoncer sa candidature à l’Europe, annonça, le jeudi 29 novembre 2018, qu’il serait candidat aux législatives dans le Hainaut. Cela surprit beaucoup de monde sauf Paul Magnette, qui avait été prévenu un tout petit peu plus tôt, et cela énerva tout le monde y compris Paul Magnette, qui menaça de tout plaquer, y compris et surtout Elio Di Rupo. Lundi 3 décembre, les deux se virent, se toisèrent et décidèrent de faire ce que Paul Magnette voulait. Le PS aurait eu intérêt à le voir sur la liste législative dans le Hainaut ou sur la liste régionale à Charleroi : il pourrait aider à gagner ces sièges indispensables pour remonter dans les gouvernements wallon et fédéral. Paul Magnette n’avait pas intérêt à se trouver cantonné dans d’étroites frontières hennuyères (où, poussant une liste tirée par Elio Di Rupo, il eût pu se faire battre en voix de préférence) ou carolorégiennes. Affaibli, son président lui permit d’émigrer, le temps d’une campagne, à l’Europe. Paul Magnette, ainsi, pourrra aller papillonner partout en Belgique francophone, où il sera probablement celui qui aura récolté le plus de voix de préférence, le dimanche 26 mai. Sans doute mieux qu’Elio Di Rupo dans le Hainaut aux législatives de mai 2019. Mais certainement moins que Di Rupo Elio en Belgique francophone aux européennes de mai 2004 : 483 000 voix de préférence, imbattable record à battre.

MR: Charles Michel, Olivier Chastel et Didier Reynders, la fuite des cerveaux

L’enthousiasme est si grand, au Mouvement réformateur, que les trois figures de proue du parti se sont disputé la seule place disponible en cabine. La tête de liste européenne, celle qui ne serait pas concernée par le naufrage que l’on craint. Mais Olivier Chastel, qui n’est plus son ami, a gardé le cap qu’il tenait depuis plus d’un an : Charles Michel a cédé, au risque que la comparaison avec 2014, comme tête de liste législative dans le Brabant wallon (34 000 voix de préférence, 40 % des suffrages, trois sièges sur cinq) lui soit peu flatteuse. Il a cédé, Charles Michel, mais tout en reprenant la présidence du parti. Tout en cédant aussi à Didier Reynders, qui n’est pas son ami et qui ne voulait céder sa tête de liste législative bruxelloise que pour la tête de liste européenne, car il ne veut cesser d’être parlementaire (et ministre) que s’il devient secrétaire général du Conseil de l’Europe. Et tout en ne cédant rien à Vincent De Wolf, qui est son ami et qui voulait la tête de liste à la Région bruxelloise. Une fois ces cessions effectuées, le nouveau président réformateur doit désormais faire céder ceux qui s’étaient crus tenus par les promesses de son prédécesseur. C’est pourquoi le MR tarde plus que d’autres à rendre publiques l’ensemble de ses listes, en particulier dans les grandes circonscriptions, et en particulier dans le Hainaut.

Le 26 mai, Zakia Khattabi et Jean-Marc Nollet feront ce qu'il leur plaît.
Le 26 mai, Zakia Khattabi et Jean-Marc Nollet feront ce qu’il leur plaît.© Mathieu Golinvaux/Belgaimage

Ecolo: Zakia Khattabi et Jean-Marc Nollet, heureux qui coprésident

Est-ce le beau temps, ou un effet secondaire du réchauffement climatique ? Chez Ecolo, les derniers mois ont vu se dilater les traditionnelles résistances internes. Zakia Khattabi a pu sans problème imposer Jean-Marc Nollet à la coprésidence après le retrait de Patrick Dupriez, fin octobre 2018, et Jean-Marc Nollet a pu s’imposer sans problème à la coprésidence. Et cette coprésidence, chose rare, a composé ses listes sans problème. Dans les circonscriptions respectives de Jean-Marc Nollet et Zakia Khattabi, les favoris se sont trouvés aux places favorables : Christophe Clersy, Vinciane Ruelle et Sandra Guily (1ère suppléante) sur la liste régionale carolorégienne, et une série de jeunes candidats bien protégés par la dévolution sur la liste régionale bruxelloise. Les favorisants eux-mêmes ne se sont pas défavorisés. Zakia Khattabi et Jean-Marc Nollet se sont autorisés le seul vrai apanage des puissants : la liberté absolue de choisir. Le 26 mai, l’un comme l’autre pourront décider. Ils seront élus à la Chambre, la première à Bruxelles, le second dans le Hainaut, et ils choisiront d’y rester, ou de monter dans un gouvernement (Zakia Khattabi a annoncé vouloir le faire comme ministre-présidente bruxelloise), ou de poursuivre à la coprésidence. Ou bien même d’en cumuler deux, moyennant dérogation.

Joëlle Milquet voulait mener la liste à l'Europe, Benoît Lutgen aussi. Un était président, l'autre pas.
Joëlle Milquet voulait mener la liste à l’Europe, Benoît Lutgen aussi. Un était président, l’autre pas.© LAURIE DIEFFEMBACQ/belgaimage

Cdh: Benoît Lutgen, le sacrifice qui sauve le sacrifié

C’est la ligne de com de celui qui abhorre les lignes de com : Benoît Lutgen a quitté la présidence du CDH, en janvier dernier, en sacrifiant son intérêt personnel au profit de celui de son parti.  » C’est cela qui doit l’emporter, toujours : l’engagement, au-dessus des intérêts personnels, des frustrations « , expliquait-il, propitiatoire, au Soir. Il s’était alors assuré, avec son successeur Maxime Prévot, de mener la liste européenne du CDH en mai prochain, comme le désirait pourtant aussi Joëlle Milquet. Beau sacrifice personnel, en effet. Car en ne se présentant pas aux régionales ni aux législatives, il pourrait faire perdre un siège à son parti là où il en a vraiment besoin, à la Chambre ou au parlement de Wallonie. En 2014, la popularité du Bastognard avait permis au CDH d’envoyer deux députés à Bruxelles : la liste qu’il tirait en province de Luxembourg avait rassemblé 33,4 % des suffrages là où, le même jour et sur le même espace, ses listes régionales et européenne en attiraient respectivement 30 et 24 %. Aucun de ces deux scores n’aurait laissé deux sièges fédéraux au CDH qui, en envoyant son plus célèbre Luxembourgeois à Strasbourg, s’empêche donc presque à coup sûr d’en mander deux à Bruxelles. Ainsi Benoît Lutgen inventa-t-il le sacrifice personnel qui ne sauve que le sacrifié. Et qui sacrifie Joëlle Milquet.

Olivier Maingain a toutes les cartes en main pour composer ses listes législatives et européenne.
Olivier Maingain a toutes les cartes en main pour composer ses listes législatives et européenne.© NICOLAS MAETERLINCK/belgaimage

Défi: Olivier Maingain, l’homme libéré

 » Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre.  » La fin de carrière d’Olivier Maingain, presque éternel président de DéFI, et seule figure de son parti à avoir réussi son scrutin communal, ressemble à la célèbre épitaphe du Grec Nikos Kazantzakis. Il n’espère rien, Olivier Maingain, parce qu’il a annoncé qu’il quitterait la présidence de DéFI cette année, qu’il ne serait pas candidat à une place éligible, et donc qu’il se présentera sur la liste européenne histoire de faire campagne en Wallonie. Il ne craint rien parce qu’il est à peu près certain que son parti sera du prochain gouvernement bruxellois, et qu’il faudrait une catastrophe pour qu’il perde ses deux sièges de la circonscription bruxelloise à la Chambre. Il est libre parce qu’il a pu composer la liste législative bruxelloise sans s’embarrasser de l’avis de quiconque, souverain absolu qu’il fut, en plaçant à sa tête l’ancien directeur de Myria, François De Smet, son ancienne attachée parlementaire – dont les habitués de la Chambre disent qu’elle fut bien plus parlementaire qu’attachée au cours de la législature écoulée – et Jonathan De Lathouwer, très actif membre de la communauté juive mais pas du tout de son parti. Moins libre pour l’équipe régionale, Olivier Maingain s’y est contenté d’y conserver les traditionnels équilibres, laissant son cher et éternel rival Bernard Clerfayt la possibilité d’échouer, par exemple en faisant moins de voix de préférence que son prédécesseur Didier Gosuin (23 000 en 2014) sans avoir l’air d’y être pour rien. Parce qu’on a beau être libre, parfois on a des espoirs un peu méchants.

Peter Mertens : le Flamand qui voulait se faire élire par des Wallons.
Peter Mertens : le Flamand qui voulait se faire élire par des Wallons.© Joris Herregods/id photo agency

PTB: Peter Mertens, les transferts sud-nord

Au PTB, où on est depuis quelques mois chauds, chauds, plus chauds que le climat, pas question de se laisser noyer dans les eaux froides du calcul égoïste, et surtout pas question de le faire savoir. Parce que la formation maoïste se préoccupe d’un déséquilibre de popularité nord-sud qui rompt avec son historique implantation flamande, elle avait déjà misé en 2014 sur le Parlement fédéral plutôt que sur les parlements wallon et bruxellois. La publicité nationale qu’en tira Raoul Hedebouw, donc le parti, devra aider le président du PTB, l’Anversois Peter Mertens, à conquérir un siège à la Chambre qui lui échappa de très peu en 2014. Un autre mécanisme de coopération sud-nord aidera au développement de la gauche de la gauche flamande : la fabrication d’élus flamands avec des électeurs francophones. La tête de liste bruxelloise, Maria Vindevoghel et le troisième candidat sur la circonscription fédérale liégeoise, le Limbourgeois Gaby Colebunder, sont donnés élus par tous les sondages. Avec la Groen Tinne Van der Straeten, troisième sur la liste Ecolo à Bruxelles, il y aura donc probablement trois Flamands de plus dans la prochaine Chambre fédérale. Encore un de ces transferts sud-nord qui ne disent pas leur nom.

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