Les pédagogies alternatives permettent à beaucoup d'enfants de reprendre goût à l'école. © Belgaimage

Pourquoi les pédagogies alternatives sont toujours de plus en plus variées… et prisées

Julie Luong

L’école était une idée folle, mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, les pédagogies alternatives promettent de réinjecter du sens en plaçant l’enfant au centre et la rigidité au placard. Et si les pédagogues du xxe siècle, les Freinet, Decroly, Montessori et Steiner, avaient raison ? Ils font toujours des émules.

N’élevons pas nos enfants pour le monde d’aujourd’hui. Ce monde aura changé lorsqu’ils seront grands « , disait Maria Montessori. La conviction que nous vivons une période de mutation historique – avec les deux grands pôles du défi écologique et d’Internet – est sans doute pour beaucoup dans l’engouement que suscitent aujourd’hui les pédagogies dites actives, dont elle fut l’un des précurseurs.  » L’intérêt croissant pour ces pédagogies est incontestable, confirme Elsa Roland, chercheuse en sciences de l’éducation à l’ULB. Je reçois toutes les semaines des demandes de formation. Il y a ce besoin réel de transformer une école perçue comme ne correspondant plus au monde tel qu’il est.  » Le décrochage scolaire est l’une des raisons de l’angoisse. Mais il faut aussi compter avec le mal-être des enseignants – ils sont 40 % à quitter la profession dans les cinq premières années -, en quête de nouveaux modèles pour retrouver la flamme. Et avec la panique des parents, qui oscillent entre volonté d’armer leur enfant pour survivre en milieu hostile et désir de leur proposer un autre horizon que celui de la compétition acharnée, rongeuse d’âme et de temps. Il est aujourd’hui de notoriété publique que Larry Page et Jeff Bezos, respectivement fondateurs de Google et Amazon, ont été biberonnés à la pédagogie Montessori. Quant à savoir si c’est l’avenir de l’homme…

Des pédagogues… pas d’accord entre eux

Au début du xxe siècle, Montessori, Freinet, Decroly ou Steiner (lire page XX) proposaient chacun une forme d’éducation nouvelle, prônant la participation active de l’enfant à sa propre formation, dans le respect de sa singularité. Moins d’autorité, plus de créativité ; moins de règles, plus de vraie vie. Leurs théories se sont abondamment propagées dans l’entre-deux-guerres, dans une Europe frappée par une crise culturelle, sociale et économique. Des écoles s’ouvrent un peu partout en France, en Italie, en Espagne, en Suisse, en Belgique.

 » Il faut souligner la longévité remarquable de ces pédagogies. On en parle beaucoup aujourd’hui mais elles n’ont jamais disparu « , pointe Benoît Galand, chercheur en sciences de l’éducation à l’UCLouvain. Freinet, par exemple, s’est durablement implanté au niveau de l’enseignement communal dans les années 1980. A Liège, plus d’un enfant sur cinq est scolarisé dans une école Freinet. En Région bruxelloise, Decroly règne en maître dans les milieux favorisés. Montessori, c’est une dizaine d’écoles seulement, mais aussi des crèches.

Moins d’autorité, plus de créativité ; moins de règles, plus de vraie vie.

 » On a tendance à associer tous ces grands pédagogues, mais il ne faut pas oublier qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux, rappelle Benoît Galand. Freinet, c’était un homme de tendance communiste, guidé par cette conviction qu’on pouvait lutter contre les inégalités et que c’était à l’école de le faire. Maria Montessori, qui a tout de même reçu le soutien du régime fasciste en Italie, véhicule une vision beaucoup plus naturaliste, vitaliste. L’enfant arrive avec ses différences et l’adulte ne doit pas intervenir.  »

Terrains d’expérimentation

Parmi les nombreuses initiatives qui émergent aujourd’hui, beaucoup ne se revendiquent d’ailleurs pas d’un courant pédagogique spécifique. Les deux écoles secondaires – l’école Plurielle Maritime et l’école Plurielle Karreveld – qui ont ouvert leurs portes à Molenbeek en septembre 2017 s’inscrivent plus globalement dans la  » pédagogie active « , avec, comme objectif, de  » faire tomber les murs entre l’école et le monde extrascolaire « .

A Liège, le projet Cité école vivante, porté par quelques enseignants, s’est construit au départ de diverses influences.  » Nous avons voulu davantage travailler sur l’organisation de l’école que sur un projet pédagogique. Nous voudrions une école organique, capable d’évoluer, avec beaucoup de souplesse dans les grilles horaires, des élèves qui se regroupent par thématiques et où les classes d’âge se mélangent « , explique Laurent Merenne, prof de français et membre fondateur.

 » Les écoles qui s’inscrivent dans un courant bénéficient quand même d’une forme de structuration à travers des associations, une mise en réseau et une formation spécifique des enseignants qui les distinguent d’initiatives privées ou semi-publiques qui ne s’en réclament pas « , commente Benoît Galand. Pour autant, le chercheur salue ces initiatives qui osent innover et poser les bonnes questions.  » Ce sont souvent des projets qui se voient comme des terrains d’expérimentation, où l’on procède par essais et erreurs, avec l’ambition de répondre à de nouveaux défis. En cela, ils doivent être encouragés.  »

Manque d’évaluation

Quant à savoir si les pédagogies  » actives  » sont meilleures que les autres, notamment au regard de l’objectif d’émancipation sociale de tous les élèves, la question reste en suspens.  » Nous manquons de données scientifiques dans le monde francophone. Il faudrait réaliser une grande étude d’envergure pour évaluer ces pédagogies de manière globale « , déclare Elsa Roland.

Aujourd’hui, seules quelques études qualitatives sont disponibles. La recherche menée par Yves Reuter ( Une école Freinet, L’Harmattan, 2007) pendant cinq ans dans une école primaire de la banlieue lilloise a par exemple montré qu’une méthode Freinet bien appliquée permettait à des enfants issus de milieux précarisés d’obtenir des résultats équivalents, voire meilleurs que ceux des enfants issus de catégories socio-économiques plus élevées.  » Mais ces résultats semblent plutôt inverses pour les autres pédagogies actives « , précise la chercheuse de l’ULB.

Au-delà de la doctrine, le véritable succès semble surtout dépendre de la composition et de la cohésion de l’équipe pédagogique elle-même.  » Ce qui fait vraiment la différence avec les pédagogies traditionnelles, c’est la dimension collective forte présente dans ces projets « , estime Benoît Galand. Un obstacle de taille demeure selon lui lié à la diffusion de ces pédagogies.  » Ce type de pédagogie est très exigeante pour les enseignants ! La préparation des activités, du matériel, l’attention permanente à chaque élève… Cela demande des enseignants qui y passent leurs soirées et leurs week-ends.  »

Autre frein : ces pédagogies requièrent aussi généralement un investissement plus important des parents, que ce soit financièrement ou en accompagnement à la maison. Le prix de l’émancipation ?

Le témoignage de Laurence Maroquin, psychologue

 » J’adore Decroly, mais je pense que ça ne convient pas à tous les enfants. J’ai deux fils. Le premier a 14 ans et ça se passe très bien. Le second a 7 ans et je l’ai sorti de cet enseignement, car il est malentendant et cela provoque chez lui des angoisses. Or, pour bénéficier de ce type d’enseignement, il faut être très structuré intérieurement afin d’être capable d’utiliser ses propres ressources. Il faut aussi avoir des parents disponibles. Les limites ne sont pas toujours franchement posées. On tutoie les profs et quand il y a de la violence entre les enfants, on les laisse déjà aller très loin avant d’intervenir. Soyons honnête : il n’y a pas non plus de mixité. Sur toute sa scolarité, mon aîné n’a jamais eu pour camarade un enfant d’origine maghrébine. C’est un milieu  » bobochic « . Le coût est d’environ 1 000 euros par an, même si cet aspect financier n’est pas nécessairement un frein. Des personnes qui ont des difficultés peuvent payer moins, voire une simple quote-part symbolique.  »

Le témoignage d’Ingrid Van Langendonck, journaliste

 » J’ai un fils de 17 ans qui est dyslexique, avec des problèmes d’apprentissage. Il y a quelques années, il était à deux doigts du décrochage scolaire. On l’a changé pour une école inspirée par la pédagogie Freinet et ça l’a littéralement sauvé. J’ai mis le plus jeune dans cette école aussi, mais pour lui, ça n’a pas été si convaincant. Il est un peu paresseux, avec beaucoup de facilités, et ce type d’enseignement ne l’a pas poussé à se dépasser. La volonté de neutralité me semble dommageable pour les enfants qui ont plus de potentiel. C’est un système qui a tendance à lisser tout. Or, c’est un peu utopique d’attendre que ces jeunes apprennent à se dépasser seuls, sans cette émulation, cette valorisation. Mais il ne s’ennuyait pas, loin de là. On l’a d’ailleurs laissé dans cette école, car il nous a suppliés de le faire, à cause de sa bande d’amis. J’espère qu’il se rattrapera plus tard, car il n’a pas été poussé dans ses capacités.  »

Comment ouvrir une école active ?

1. Se rassembler autour d’un projet. Généralement, celui-ci est porté par quelques parents ou quelques enseignants. Il peut s’inscrire dans une pédagogie existante ou s’inspirer de plusieurs courants. Visiter des établissements portant un projet similaire, en Belgique ou à l’étranger, est souvent une étape obligée pour peaufiner ses objectifs et ses méthodes.

2. Créer une asbl. C’est la formule la plus courante. Mais le projet peut aussi être proposé par un pouvoir organisateur gérant déjà une école.

3. Chercher un bâtiment. C’est souvent un parcours du combattant.

4. Faire une demande de reconnaissance auprès de la FWB. Dans le meilleur des cas, une subvention est accordée. Il faut alors élaborer un business plan.

5. Communiquer via les réseaux sociaux. Aujourd’hui, de nombreux projets d’écoles rassemblent des sympathisants avant même l’ouverture. La demande est là.

Le témoignage de Roger Job, photographe

 » Je ne croyais pas du tout à tout ça, moi. Je croyais que c’étaient des délires de bobos écolos qui mangent des radis. Mais voilà, j’ai une fille qui a aujourd’hui 14 ans et qui n’aimait pas l’école. Ça allait, mais elle subissait, elle était sous la domination du pouvoir du savoir. Depuis son entrée en secondaire, elle fréquente une école Decroly et ça a changé sa vie. Elle est heureuse. A la moitié des vacances, elle a déjà envie de retourner à l’école. Quand elle rentre après sa journée, elle a envie de partager tout ce qu’elle a acquis. Son meilleur ami, qui est dans une école catholique, a signalé que le jour de la rentrée, la directrice avait fait un discours pour leur expliquer tout ce qu’ils ne pouvaient pas faire dans l’école. Ma fille lui a répondu que la directrice était venue les voir eux aussi et qu’elle leur avait expliqué tout ce qu’ils pouvaient faire. Bien sûr, ça a aussi ses désavantages. La déférence envers les adultes, par exemple. Quand ma fille va chez le médecin, elle lit la prescription et elle demande pourquoi elle doit prendre ce médicament, quel effet ça va avoir dans son corps. Quand je lui demande d’aller dormir, il lui arrive de me citer la Déclaration universelle des droits de l’homme… Mais elle est aussi à fond pour le climat. Rien ne pouvait l’empêcher d’aller manifester, même si la direction n’était pas d’accord. Elle prend des décisions, à l’âge où je passais mon temps à regarder par la fenêtre en m’emmerdant. « 

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